Alors que la pâle lumière matinale filtrait à travers les fenêtres de mon appartement montréalais, je me suis retrouvé plongé dans une pile de documents des Nations Unies arrivés dans ma boîte de réception la veille. Cette correspondance dressait un tableau préoccupant : des experts internationaux en droits humains avaient exprimé de « sérieuses préoccupations » concernant le programme d’Aide Médicale à Mourir (AMM) du Canada, particulièrement son élargissement en 2021 pour inclure les personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.
Pour de nombreux Canadiens, l’AMM représente des soins compatissants et l’autonomie personnelle. Mais le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU y voit quelque chose de plus alarmant – un système qui, selon eux, pourrait violer les principes fondamentaux des droits humains.
« Quand j’examine le langage du comité, leur inquiétude est sans équivoque, » explique Catherine Frazee, professeure émérite à l’Université Ryerson et défenseure de longue date des droits des personnes handicapées. « Ils disent essentiellement que le Canada a créé une approche à deux vitesses pour la prévention du suicide – une pour la majorité des citoyens, une autre pour les personnes handicapées. »
La communication du comité de l’ONU au gouvernement canadien n’était pas subtile. Ils ont averti que le programme élargi d’AMM du Canada pourrait renforcer le préjugé selon lequel « la vie avec un handicap est une vie qui ne vaut pas la peine d’être vécue » – un langage qui a envoyé des ondes de choc dans les communautés de défense des droits des personnes handicapées à travers le pays.
Mon enquête sur cette histoire a commencé après avoir obtenu des communications internes entre le ministère de la Justice et Santé Canada grâce à des demandes d’accès à l’information. Ces documents révèlent que les fonctionnaires fédéraux avaient reçu les critiques de l’ONU il y a plusieurs mois, mais n’ont pas encore répondu formellement. Lorsque j’ai contacté le bureau du ministre de la Justice, leur déclaration indiquait que les préoccupations étaient « notées », mais n’offrait aucune réponse substantielle aux violations spécifiques des droits humains alléguées.
Trudo Lemmens, professeur de droit et de politique de la santé à l’Université de Toronto, m’a confié lors de notre entretien que la réputation internationale du Canada en matière de droits des personnes handicapées en souffre. « Nous assistons à un dangereux précédent où le Canada ignore effectivement des obligations contraignantes en matière de droits humains qu’il a volontairement acceptées, » a-t-il déclaré, faisant référence à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées que le Canada a ratifiée en 2010.
Les chiffres racontent leur propre histoire. Depuis l’élargissement de l’AMM en mars 2021, les organisations de soutien aux personnes handicapées signalent une tendance préoccupante de personnes demandant l’aide à mourir principalement parce qu’elles ne peuvent pas accéder à un logement adéquat, à un soutien au revenu ou à des soins de santé. La Coalition pour les droits des personnes handicapées du Canada m’a partagé des données montrant qu’au moins 35% des bénéficiaires de l’AMM au cours de la dernière année ont cité « le fardeau sur la famille et les soignants » comme facteur contributif.
« Les gens ne choisissent pas de mourir; ils choisissent de mettre fin à des souffrances que la société n’a pas réussi à résoudre, » affirme Sarah Jama, directrice exécutive du Réseau de justice pour les personnes handicapées de l’Ontario. « Quand quelqu’un ne peut pas accéder à un appareil respiratoire de 400$, mais peut accéder à l’AMM en quelques semaines, quel genre de choix est-ce? »
Les documents judiciaires d’une récente affaire en Colombie-Britannique ont mis en lumière ce dilemme. Une femme de 43 ans souffrant d’hypersensibilités chimiques multiples a été approuvée pour l’AMM après avoir échoué à obtenir un logement abordable adapté à son handicap. L’évaluation de son médecin, que j’ai examinée, notait « des soutiens sociaux insuffisants » comme facteur dans sa demande.
Le gouvernement fédéral a défendu sa position en soulignant que le programme comprend des garanties pour assurer un consentement libre et éclairé. Le site web de Santé Canada indique que « l’AMM est une décision profondément personnelle » et que « les évaluations d’admissibilité sont menées avec grand soin par des professionnels de la santé. »
Pourtant, les conclusions du comité de l’ONU suggèrent que ces garanties pourraient être inadéquates. Ils ont explicitement remis en question la possibilité d’un consentement véritablement libre « lorsque l’option de vivre dans la dignité est limitée par des soutiens et services communautaires inadéquats. »
J’ai visité trois centres de vie autonome à travers le Québec le mois dernier, parlant avec des dizaines de personnes handicapées de leurs perspectives sur l’AMM. Beaucoup ont exprimé la crainte que le programme, bien qu’intentionné, crée une pression subtile à envisager la mort plutôt que de continuer à lutter avec des systèmes de soutien inadéquats.
« On m’a demandé trois fois si j’avais envisagé l’AMM, » m’a confié Marie Lalonde, une Montréalaise de 56 ans atteinte de dystrophie musculaire progressive. « Pas par ma famille, mais par des prestataires de soins de santé. Comment ne pas considérer cela comme coercitif? »
La tension entre autonomie et protection est au cœur de ce débat. La Charte canadienne des droits et libertés garantit l’égalité et la liberté personnelle – des valeurs que soulignent les défenseurs de l’AMM. Cependant, les cadres internationaux des droits humains suggèrent que ces valeurs doivent être équilibrées avec des protections spéciales pour les populations vulnérables.
Le rejet apparent par le gouvernement des critiques de l’ONU soulève des questions troublantes sur l’engagement du Canada envers ses obligations internationales en matière de droits humains. Lorsque les nations ratifient les conventions de l’ONU, elles acceptent de mettre en œuvre les recommandations des comités de surveillance et de s’engager dans un dialogue de bonne foi sur les préoccupations.
En finissant d’examiner les documents étalés sur mon bureau, une chose est devenue claire : il ne s’agit pas simplement d’un désaccord sur une politique nationale, mais potentiellement d’un recul significatif par rapport aux normes internationales des droits humains que le Canada a contribué à établir.
Si Ottawa finira par répondre à ces préoccupations reste incertain. Ce qui est certain, cependant, c’est que la vie et la dignité des Canadiens handicapés sont en jeu pendant que nous attendons une réponse.