Les froides réalités de l’immobilier commercial: La Baie d’Hudson face à un carrefour décisif
La froide mathématique de l’immobilier commercial fait rarement les manchettes, mais quand elle implique la plus ancienne chaîne de grands magasins du Canada et l’un des promoteurs immobiliers les plus fortunés de la Colombie-Britannique, les tensions deviennent impossibles à ignorer.
Cette semaine, La Compagnie de la Baie d’Hudson a discrètement dévoilé sa stratégie complète de location à plusieurs grands propriétaires commerciaux canadiens, dont Shape Properties, l’empire immobilier contrôlé par le milliardaire britanno-colombien John Horton. Selon trois sources proches des négociations, la proposition du grand magasin a été accueillie avec froideur par des propriétaires déjà frustrés par ce qu’ils décrivent comme des années de détérioration des relations.
« Ils demandent essentiellement aux propriétaires d’accepter une réduction de 40% de la superficie tout en maintenant 85% de la valeur initiale du bail, » a expliqué un courtier immobilier commercial qui a requis l’anonymat parce qu’il n’était pas autorisé à discuter des négociations confidentielles. « C’est le genre de proposition qu’on fait quand on ne cherche pas vraiment un accord. »
Le document de location, dont j’ai examiné certaines sections, présente la vision de La Baie d’Hudson pour ce qu’elle appelle des « empreintes commerciales redimensionnées » dans 25 emplacements canadiens, avec un accent particulier sur la conversion des étages supérieurs en espaces de bureaux ou leur restitution complète aux propriétaires. Pour les magasins Saks, qui fonctionnent comme une filiale de luxe sous la bannière HBC, la stratégie semble plus sélective, ciblant seulement quatre magasins canadiens pour des changements significatifs.
Au Brentwood Town Centre à Burnaby, où Shape Properties a investi plus de 1,2 milliard de dollars en réaménagement depuis 2018, la situation a atteint une impasse particulièrement tendue. La Baie occupe actuellement environ 150 000 pieds carrés répartis sur trois étages, mais propose de consolider ses opérations uniquement au rez-de-chaussée tout en maintenant un positionnement premium dans l’emplacement phare du centre commercial.
« Ce n’est pas la première fois que des détaillants tentent de renégocier pendant des périodes difficiles, » note Diane Brisebois, présidente du Conseil canadien du commerce de détail. « Mais ce qui est inhabituel ici, c’est l’ampleur de la proposition et son caractère unilatéral. La plupart des négociations réussies impliquent des concessions mutuelles. »
La position de La Baie d’Hudson reflète les défis plus larges auxquels font face les grands magasins à l’échelle mondiale. Le dernier rapport de Statistique Canada sur le commerce de détail montre que les ventes des grands magasins ont chuté de 12% depuis 2019, tandis que le commerce électronique a augmenté de plus de 60% pendant la même période. La pandémie a accéléré ces tendances, poussant même les détaillants stables à reconsidérer leur présence physique.
« Les calculs ne fonctionnent tout simplement plus, » explique Katherine White, professeure de marketing et de sciences comportementales à l’École de commerce Sauder de l’UBC. « Les grands magasins ont été conçus pour une époque où les consommateurs voulaient tout sous un même toit. L’acheteur d’aujourd’hui est plus susceptible de visiter des détaillants spécialisés ou de magasiner en ligne. »
Contactée pour commentaire, La Baie d’Hudson a fourni une déclaration soulignant son engagement à « réimaginer l’expérience du grand magasin pour l’ère numérique. » L’entreprise a mis en avant ses récents investissements technologiques, notamment un nouveau système de point de vente et une plateforme de commerce électronique améliorée. Cependant, elle a refusé de répondre aux questions spécifiques concernant les négociations de bail.
Shape Properties a été plus direct dans sa réponse. « Nous valorisons notre relation de longue date avec La Baie d’Hudson, mais tout arrangement doit être mutuellement bénéfique et refléter les réalités du marché, » a déclaré un porte-parole de l’entreprise dans un communiqué envoyé par courriel. « La proposition actuelle ne répond pas à cette norme. »
Le différend révèle à quel point le paysage du commerce de détail a fondamentalement changé. Aussi récemment qu’en 2015, des grands magasins comme La Baie étaient considérés comme des locataires de premier ordre que les propriétaires de centres commerciaux se disputaient. Aujourd’hui, de nombreux propriétaires considèrent les halles alimentaires, les lieux de divertissement et même les cabinets médicaux comme des locomotives plus fiables générant un achalandage constant.
Selon les données du dernier rapport de CBRE sur le marché canadien du commerce de détail, les taux de location pour les espaces commerciaux de premier ordre dans les grands centres urbains se sont stabilisés après les baisses liées à la pandémie, avec une moyenne de 35 à 45 dollars par pied carré dans les centres commerciaux de banlieue de premier plan – ce qui rend l’offre rapportée de La Baie d’environ 18 à 22 dollars par pied carré nettement inférieure au marché.
Pour les consommateurs, l’issue de ces négociations pourrait transformer l’expérience d’achat dans des emplacements familiers. La Baie d’Hudson a déjà fermé sept magasins depuis 2020, y compris des emplacements importants à Winnipeg et Edmonton. D’autres fermetures pourraient suivre si des accords ne sont pas conclus.
« Nous assistons en temps réel à la fin du modèle traditionnel du grand magasin, » affirme l’analyste du commerce de détail Bruce Winder, auteur de « Le commerce de détail avant, pendant et après la COVID-19. » « La question n’est pas de savoir si La Baie survivra, mais quelle forme elle prendra – moins de magasins, plus petits, soutenus par des opérations de commerce électronique robustes semble inévitable. »
La situation est compliquée par la structure de propriété de La Baie d’Hudson. L’entreprise est devenue privée en 2020 lorsqu’un groupe dirigé par le président Richard Baker a acquis les actions en circulation. Cette décision a offert la flexibilité nécessaire pour apporter des changements radicaux sans l’examen trimestriel des actionnaires publics, mais a également augmenté l’endettement de l’entreprise.
Pour les propriétaires de centres commerciaux comme Shape Properties, le défi va au-delà de La Baie. Leur modèle d’affaires entier dépend de la création d’environnements commerciaux qui attirent un achalandage constant, et perdre un locataire majeur – même sous-performant – crée des effets d’entraînement dans toute la propriété.
« L’effet domino est réel, » explique un gestionnaire de location d’un centre commercial concurrent qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat. « Quand une locomotive part ou réduit drastiquement son espace, les petits locataires ont généralement des clauses de co-occupation qui leur permettent de renégocier leurs propres conditions ou de partir complètement. »
Alors que les négociations se poursuivent à huis clos, les deux parties semblent se préparer à toutes les éventualités. La Baie d’Hudson aurait engagé des conseillers en restructuration pour évaluer ses options, tandis que Shape Properties a discrètement commencé à développer des plans alternatifs pour l’espace.
Ce qui est clair, c’est que ce qui émergera de ces négociations établira probablement des précédents pour l’immobilier commercial à travers le Canada. Comme l’a dit un dirigeant immobilier: « Il ne s’agit pas seulement de La Baie et de Shape – il s’agit de redéfinir la relation entre détaillants et propriétaires dans l’économie post-pandémique. »
Pour une entreprise qui a survécu à tout, du commerce des fourrures aux deux guerres mondiales en passant par le commerce en ligne, La Baie d’Hudson fait face à un nouveau défi existentiel. La façon dont elle naviguera ces négociations de bail pourrait déterminer si le plus ancien détaillant du Canada peut se réinventer une fois de plus pour l’ère numérique – ou s’il a finalement atteint la fin de son remarquable parcours de 355 ans.