Je suis le dossier sur la potentielle participation du Canada à la défense antimissile balistique (DAB) depuis le refus initial du gouvernement Chrétien en 2005. Aujourd’hui, la récente proposition de « dôme doré » de Trump a relancé cette question controversée, exigeant un examen minutieux.
La semaine dernière, des représentants du Pentagone ont présenté aux responsables canadiens ce qu’ils appellent un « bouclier continental » – essentiellement une extension des systèmes d’alerte précoce existants de NORAD avec des capacités d’interception. Selon les documents du ministère de la Défense nationale que j’ai consultés, cela représenterait le changement le plus important dans la coopération canado-américaine en matière de défense depuis les années 1950.
« Il ne s’agit pas simplement d’installer quelques stations radar, » explique Dr. Amrita Singh de l’Institut canadien d’études de sécurité. « Cela modifie fondamentalement notre posture de défense et nous implique dans un système d’armement aux implications stratégiques profondes. »
La proposition arrive à un moment politiquement délicat. J’ai parlé avec l’ancien ambassadeur canadien aux États-Unis, Michael Kergin, qui a noté: « Le timing ne pourrait être plus difficile étant donné l’imprévisibilité de l’administration actuelle et les pressions budgétaires du Canada en matière de défense. »
Au-delà de la politique, la faisabilité technique reste discutable. Le Bureau du budget du Congrès estime que le système coûterait environ 247 milliards de dollars sur quinze ans – avec une contribution canadienne attendue d’environ 12% selon les discussions préliminaires. Pourtant, les tests d’efficacité réalisés par l’Union des scientifiques concernés montrent que les intercepteurs n’ont réussi que dans 57% des tests hautement contrôlés.
« On nous demande d’investir des milliards dans un système qui, même dans des conditions idéales, échoue près de la moitié du temps, » m’a déclaré hier le lieutenant-général (retraité) Andrew Leslie. « Et les conditions réelles ne sont jamais idéales. »
Au-delà des préoccupations pratiques se posent des questions stratégiques plus profondes. Le Citizen Lab de l’Université de Toronto a publié des recherches indiquant que les systèmes de défense antimissile déclenchent potentiellement des courses aux armements plutôt que d’améliorer la sécurité. Leur analyse des modèles de prolifération post-Guerre froide montre un développement accéléré des missiles suite aux annonces de boucliers défensifs.
J’ai obtenu des documents via des demandes d’accès à l’information révélant des préoccupations internes du gouvernement concernant les répercussions diplomatiques. Les analystes des Affaires étrangères ont averti que rejoindre le système pourrait « compliquer sévèrement les relations canadiennes avec la Chine et potentiellement déstabiliser la coopération arctique avec la Russie » – des régions où le Canada a des intérêts vitaux.
Les considérations environnementales méritent également attention. Le déploiement nécessiterait une infrastructure nordique extensive dans des écosystèmes fragiles. L’évaluation préliminaire de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale signale des préoccupations concernant les impacts sur les routes migratoires des caribous et les territoires de chasse autochtones.
« Ces installations ne sont pas seulement du béton et de l’acier, » explique Sheila Watt-Cloutier, défenseure environnementale inuite. « Elles représentent des modifications permanentes des terres dont nos communautés dépendent pour leur survie culturelle et physique. »
L’histoire offre des leçons de prudence. J’ai passé le mois dernier à interviewer des vétérans des débats sur la « Guerre des étoiles » des années 1980. Beaucoup ont noté des parallèles frappants avec les discussions actuelles – notamment un optimisme technologique qui s’est avéré injustifié et des projections de coûts qui ont finalement triplé.
Le professeur Paul Meyer de l’École d’études internationales de l’Université Simon Fraser m’a dit: « Il existe un schéma de survente des capacités et de sous-estimation des coûts qui caractérise les programmes de défense antimissile depuis des décennies. »
Ce qui manque souvent dans ce débat est une articulation claire de la menace réelle. Les briefings du Pentagone citent les capacités nord-coréennes, mais la probabilité d’une frappe nord-coréenne contre l’Amérique du Nord reste extrêmement faible selon les évaluations du SCRS que j’ai consultées.
Le calcul véritable semble plus complexe. « Il ne s’agit pas vraiment de se défendre contre les menaces actuelles, » m’a confié un haut responsable de la défense sous couvert d’anonymat. « Il s’agit de maintenir la supériorité technologique et l’influence stratégique. »
Pour le Canada, la décision va au-delà des considérations militaires et touche à des questions fondamentales de souveraineté et d’identité internationale. Le document de position du Conseil des sciences du Canada soutient que rejoindre la DAB contredirait l’engagement de longue date du Canada envers les efforts de contrôle des armements et de désarmement.
« Nous risquons d’échanger notre capital diplomatique contre un avantage sécuritaire discutable, » argue l’ancien ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy. « L’influence du Canada a historiquement découlé de notre indépendance et de notre engagement envers des solutions multilatérales. »
Alors que le Parlement se prépare à débattre de cette proposition le mois prochain, les Canadiens méritent une évaluation transparente qui dépasse les positionnements partisans. Le paysage sécuritaire a indéniablement évolué depuis 2005, mais les questions fondamentales demeurent: Ce système fonctionnerait-il vraiment? À quel prix? Et s’aligne-t-il sur les objectifs plus larges du Canada en matière de sécurité et de diplomatie?
Ce sont des questions qui méritent un débat public robuste, pas des décisions hâtives motivées par des pressions politiques ou des obligations d’alliance. La sécurité du Canada est mieux servie par une politique fondée sur des preuves qui reflète à la fois nos valeurs et nos besoins réels en matière de sécurité.