Si nos politiciens devaient écrire un manuel d’économie canadienne, le chapitre sur le commerce interprovincial serait probablement marqué « en révision permanente ». Alors que les célébrations de la fête du Canada s’estompent et que les barbecues d’été se poursuivent, peu de Canadiens réalisent qu’ils paient un supplément sur tout, de la bière aux matériaux de construction, en raison des frontières invisibles entre nos provinces.
L’Accord de libre-échange canadien (ALEC) était censé abattre ces barrières lors de son lancement en 2017, remplaçant le vieillissant Accord sur le commerce intérieur. Sept ans plus tard, les progrès demeurent frustrants et minimes malgré les promesses répétées des premiers ministres provinciaux et du gouvernement fédéral.
« Nous fonctionnons essentiellement comme 13 économies séparées plutôt que comme un marché unifié de 40 millions de personnes, » affirme Trevin Stratton, économiste en chef chez Deloitte Canada. « Le coût économique est stupéfiant – entre 50 et 130 milliards de dollars annuellement, selon les études que l’on consulte. »
Pour mettre cela en perspective, l’estimation la plus élevée représente environ 7 % du PIB total du Canada – de l’argent qui pourrait autrement aller aux ménages canadiens sous forme de prix plus bas et de salaires plus élevés.
La persistance de ces barrières semble particulièrement déconcertante quand on considère que le Canada a activement poursuivi des accords commerciaux internationaux. Nous avons ouvert avec enthousiasme nos frontières aux partenaires commerciaux européens et du Pacifique tout en maintenant des murs réglementaires entre l’Alberta et l’Ontario.
Les barrières elles-mêmes semblent souvent triviales jusqu’à ce qu’on examine leur impact réel. Les réglementations provinciales différentes en matière de camionnage obligent les entreprises de transport à ajuster l’empattement de leurs camions lorsqu’elles franchissent certaines frontières provinciales. Les entrepreneurs en construction font face à des exigences de certification différentes dans chaque province, empêchant les travailleurs qualifiés de se déplacer là où ils sont le plus nécessaires. Même quelque chose d’aussi simple que la bière est confrontée à un réseau complexe de monopoles provinciaux et de réglementations de distribution.
Les restrictions sur les boissons alcoolisées à elles seules coûtent aux Canadiens environ 1,2 milliard de dollars par an selon un rapport de l’Institut C.D. Howe. Lorsque la Cour suprême a confirmé le droit du Nouveau-Brunswick de restreindre les importations de bière du Québec dans l’affaire « Libérez la bière » de 2018, elle a essentiellement validé l’autorité constitutionnelle des provinces pour maintenir ces barrières.
Trevor Tombe, professeur d’économie à l’Université de Calgary et chercheur de premier plan sur le commerce intérieur, affirme que le problème va au-delà des réglementations spécifiques. « Le véritable défi n’est pas d’identifier les barrières – nous savons ce qu’elles sont. Le problème est la volonté politique. Chaque province protège jalousement son autorité réglementaire, et les intérêts particuliers locaux bénéficient du maintien de ces protections. »
Le gouvernement fédéral a tenté d’exercer des pressions par l’intermédiaire de la Table de conciliation et de coopération en matière de réglementation établie dans le cadre de l’ALEC, mais les progrès ont été fragmentaires. Bien que certaines avancées aient été réalisées dans des domaines comme les normes de santé et de sécurité au travail et les réglementations de transport, des obstacles majeurs persistent dans les licences professionnelles, la commercialisation agricole et les marchés publics.
Pour les entreprises canadiennes, en particulier les petites et moyennes entreprises, ces barrières créent de véritables difficultés. Kelsey Ramsden, PDG de Belvedere Place Development, une société de construction basée à Vancouver, décrit les défis auxquels son entreprise est confrontée : « Nous avons des projets dans trois provinces, et c’est comme opérer dans trois pays différents. La paperasse, les certifications et les exigences d’enregistrement triplent notre charge administrative. »
Ce fardeau se traduit finalement par des coûts plus élevés pour les consommateurs. Les économistes estiment que les Canadiens paient entre 2 et 15 % de plus pour de nombreux biens et services qu’ils ne le feraient dans un marché véritablement unifié.
Certaines provinces ont pris des mesures bilatérales pour résoudre ces problèmes. L’Alberta, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan ont créé l’Accord commercial du nouveau partenariat de l’Ouest en 2010, qui a éliminé de nombreuses barrières entre ces provinces. De même, l’Ontario et le Québec ont signé des accords de coopération pour harmoniser les réglementations dans des secteurs spécifiques.
La pandémie a brièvement catalysé des progrès lorsque les provinces ont accepté de reconnaître mutuellement les titres de compétences des travailleurs essentiels et ont simplifié les processus d’approvisionnement pour les fournitures médicales. Mais cet élan s’est largement estompé avec la fin de la crise immédiate.
Le plus frustrant est peut-être que la sensibilisation du public à ces barrières reste faible, créant peu de pression politique pour le changement. Alors que les différends commerciaux internationaux font la une des journaux, les barrières commerciales interprovinciales fonctionnent dans une relative obscurité malgré leur impact économique plus important.
« C’est un exemple parfait d’avantages concentrés et de coûts diffus, » explique Robin Shaban, directrice chez Vivic Research, un cabinet de conseil économique. « Un petit nombre d’entreprises protégées bénéficient énormément de ces barrières, tandis que les coûts sont répartis entre des millions de consommateurs qui paient individuellement un peu plus – mais collectivement des milliards. »
La voie à suivre n’est pas entièrement sombre. L’ALEC comprend des mécanismes de négociation continue et de conciliation des réglementations. Et certaines provinces ont unilatéralement éliminé des barrières, reconnaissant leur propre intérêt économique dans le libre-échange intérieur.
Le Manitoba, par exemple, a adopté une législation en 2019 pour reconnaître unilatéralement les certifications professionnelles d’autres provinces et territoires. Les résultats ont été positifs – une mobilité accrue de la main-d’œuvre sans le chaos réglementaire que les critiques craignaient.
Les groupes d’affaires se sont de plus en plus mobilisés autour de cette question. La Chambre de commerce du Canada a lancé sa campagne « Libre entreprise » plus tôt cette année, se concentrant spécifiquement sur les barrières commerciales interprovinciales. « Nous devons faire de cela un sujet de discussion à table, » déclare Perrin Beatty, président de la Chambre. « Les Canadiens doivent comprendre qu’ils paient une taxe cachée chaque fois qu’ils font leurs achats en raison de ces barrières. »
Pour un pays qui s’enorgueillit du libre-échange et de l’intégration économique, la persistance des barrières internes représente un angle mort particulier dans la politique économique canadienne. Alors que nous nous tournons vers la reprise économique post-pandémique, l’élimination de ces barrières offre une rare opportunité de croissance qui ne nécessite pas de nouvelles dépenses – juste le courage politique de démanteler les politiques protectionnistes qui ne servent plus leur objectif.
L’ironie n’échappe pas aux économistes : le Canada négocie vigoureusement l’accès aux marchés étrangers tout en maintenant des barrières à l’intérieur de ses propres frontières. Jusqu’à ce que cela change, les Canadiens continueront à payer un supplément pour le privilège de vivre dans une fédération économique supposément unifiée.