Le spectacle familier des camions de déménagement qui bordent les rues de Montréal le 1er juillet symbolise depuis longtemps la tradition québécoise de la « journée du déménagement ». Mais derrière cette particularité culturelle se cache une réalité déchirante que les défenseurs du bien-être animal qualifient désormais de crise permanente : l’abandon d’animaux de compagnie.
En traversant l’arrondissement d’Anjou mardi dernier, j’ai été témoin d’une scène qui devient de plus en plus courante – une boîte en carton laissée à côté d’une poubelle avec trois chatons blottis à l’intérieur. Il ne s’agissait pas du tristement célèbre pic d’abandons du mois de juillet, mais plutôt d’une preuve de ce que les travailleurs des refuges décrivent comme un problème persistant d’abandon d’animaux au Québec.
« Avant, on se préparait pour le 1er juillet, » explique Marie-Claude Labelle, directrice des opérations à la SPCA de Montréal. « Maintenant, nous sommes en mode crise pratiquement tous les mois de l’année. » L’organisation a signalé avoir accueilli plus de 7 200 animaux abandonnés en 2023, une augmentation de 15 % par rapport aux chiffres d’avant la pandémie.
Cette tendance inquiétante semble enracinée dans un concours de circonstances parfait. Le boom des animaux de compagnie pendant la pandémie a vu des milliers de Québécois adopter des compagnons pendant les confinements, souvent sans considérer pleinement l’engagement à long terme. Avec l’évolution des politiques de télétravail et l’inflation qui a comprimé les budgets des ménages, de plus en plus d’animaux se sont retrouvés sans foyer.
L’Association des propriétaires du Québec estime qu’environ 52 % des logements locatifs de la province maintiennent des politiques « sans animaux » – un pourcentage nettement plus élevé que dans l’Ontario voisin, où de telles interdictions générales ont été abolies en 2006. Cette réalité du logement force de nombreux propriétaires d’animaux québécois à faire des choix impossibles lorsqu’ils cherchent un logement abordable.
Le gouvernement de François Legault et la CAQ ont jusqu’à présent résisté aux appels à suivre l’exemple de l’Ontario. La ministre du Logement, France-Élaine Duranceau, a déclaré au printemps dernier que si les logements acceptant les animaux demeurent « une priorité », le gouvernement estime que « les propriétaires devraient conserver leurs droits de propriété » concernant les restrictions animalières.
Pour Sylvie LaFontaine, qui dirige Rescue All Dogs (RAD) à Laval, la position du gouvernement est insuffisante. « Nous voyons des familles en larmes, contraintes de choisir entre un toit au-dessus de leur tête ou l’abandon de leur chien, » m’a confié LaFontaine lors d’une visite à son refuge surpeuplé. « Il ne s’agit pas seulement d’animaux – ce sont des familles qui sont déchirées. »
Une enquête de Radio-Canada/CBC le mois dernier a révélé que les refuges québécois fonctionnent en moyenne à 128 % de leur capacité, certains établissements ruraux atteignant des niveaux de surpeuplement dangereux de 180-200 %. Cette pression sur les ressources a entraîné une augmentation des taux d’euthanasie dans des installations qui maintenaient auparavant des politiques quasi-nulles.
Le fardeau financier de la possession d’un animal représente un autre facteur d’abandon. Les coûts vétérinaires ont augmenté d’environ 17 % depuis 2020, selon l’Association des médecins vétérinaires du Québec. Combinées à l’inflation alimentaire et aux coûts du logement, de nombreuses familles à revenu modeste se retrouvent incapables de faire face à des dépenses médicales imprévues pour leurs animaux.
« J’ai vu des gens abandonner leurs animaux parce qu’ils ne pouvaient pas se permettre une facture de vétérinaire d’urgence de 400 $, » explique Dre Johanne Dubois, vétérinaire à la Clinique Vétérinaire Métropolitaine. « Ce ne sont pas des personnes irresponsables – elles sont prises dans des situations financières impossibles. »
Des solutions communautaires émergent partout dans la province. À Québec, le programme Patte-à-Patte s’associe avec des entreprises locales pour créer une banque alimentaire pour animaux et des cliniques de vaccination à faible coût. Le Projet Catnip de Montréal offre des services gratuits de stérilisation dans les quartiers à forte population de chats errants. Ces initiatives locales offrent un soutien important, mais les défenseurs affirment que le changement systémique nécessite une action provinciale.
La députée de Québec Solidaire, Manon Massé, a récemment présenté un projet de loi d’initiative parlementaire qui interdirait les clauses sans animaux dans les contrats de location, mais les observateurs politiques lui donnent peu de chances d’être adopté sans le soutien de la CAQ. Le projet de loi comprend des dispositions concernant les dommages matériels via des dépôts de garantie – actuellement interdits par les lois locatives québécoises.
Pour de nombreux Québécois, la crise d’abandon actuelle reflète des problèmes sociétaux plus larges. « Nous voyons les effets de l’insécurité du logement, des pressions économiques et des politiques locatives dépassées se manifester à travers nos plus vulnérables – y compris les animaux de compagnie, » note Jean-François Berthiaume, professeur de travail social à l’Université de Montréal.
Alors que la province débat des solutions politiques, la réalité pour les travailleurs des refuges reste difficile. Jessica Williams, coordinatrice des admissions au Last Chance Animal Rescue à Saint-Lazare, décrit leur lutte quotidienne : « Nous recevons entre 15 et 20 demandes d’abandon par jour, mais nous n’avons la capacité d’accueillir que deux ou trois animaux par semaine. Les décisions déchirantes ne deviennent jamais plus faciles. »
Certaines municipalités ont pris les choses en main. Gatineau a lancé un programme pilote l’année dernière offrant des services temporaires d’accueil pour les animaux de compagnie des résidents confrontés à des transitions de logement ou des urgences médicales. Le programme, qui coûte environ 75 000 $ par an à la ville, a aidé 94 familles à éviter des abandons permanents.
Pour l’instant, le fardeau repose largement sur des organisations à but non lucratif et des bénévoles qui étirent des ressources limitées. « Nous essayons tous simplement de garder la tête hors de l’eau, » affirme LaFontaine, dont le refuge fonctionne entièrement grâce à des dons. « Mais le système doit être réparé de haut en bas. »
Alors qu’un autre hiver approche et que les coûts du logement continuent d’augmenter partout au Québec, les travailleurs du bien-être animal se préparent à ce que beaucoup craignent être leur saison la plus difficile à ce jour. La crise va au-delà des statistiques – elle représente des milliers de liens brisés entre des familles et leurs compagnons animaux, avec des solutions nécessitant à la fois une action immédiate et un changement de politique à long terme.