Les jeunes Canadiens font face au marché du travail le plus difficile depuis des décennies, ce qui devrait inquiéter tous ceux qui ont un intérêt dans notre avenir économique. Alors que le taux de chômage global tourne autour de 6,5%, le chômage des jeunes a grimpé au-dessus de 13% à l’échelle nationale, certaines régions affichant des taux avoisinant les 20%. Ce ne sont pas que des statistiques – elles représentent des milliers de diplômés talentueux qui envoient des centaines de CV sans recevoir de réponse.
Les conséquences vont bien au-delà des difficultés financières temporaires. Pour de nombreux jeunes travailleurs, ces perturbations en début de carrière auront des répercussions tout au long de leur vie professionnelle. Les recherches de Statistique Canada indiquent que les diplômés qui entrent sur le marché du travail pendant les ralentissements économiques gagnent généralement 10 à 15% de moins que leurs homologues diplômés pendant les périodes de prospérité, ces écarts de salaire persistant jusqu’à une décennie.
« Nous créons une génération qui pourrait ne jamais rattraper son retard financier, » prévient Armine Yalnizyan, économiste et boursière Atkinson sur l’avenir des travailleurs. « Il ne s’agit pas seulement de manquer un chèque de paie aujourd’hui – il s’agit de manquer le développement crucial des compétences, la création de réseaux et les opportunités d’avancement qui s’accumulent avec le temps. »
Les racines de cette crise sont plus profondes que les perturbations pandémiques. Si la COVID-19 a accéléré certaines tendances, le décalage fondamental entre l’éducation et les besoins des employeurs se construit depuis des années. De nombreux étudiants obtiennent leur diplôme avec des connaissances théoriques mais manquent des compétences pratiques que les employeurs privilégient.
Emily Chen, 24 ans, a obtenu son diplôme avec mention en communications de l’Université Ryerson en 2023. « J’ai postulé à plus de 200 postes en neuf mois, » explique-t-elle. « La plupart des entreprises exigent 3 à 5 ans d’expérience pour des postes de débutant. Comment sommes-nous censés acquérir de l’expérience si personne ne veut nous embaucher sans elle? »
Son histoire fait écho à celle de milliers de personnes à travers le pays. La Fédération canadienne des étudiantes et étudiants rapporte que près de 40% des récents diplômés sont sous-employés – travaillant dans des emplois qui ne nécessitent pas leur niveau d’éducation ou seulement à temps partiel alors qu’ils ont besoin d’un travail à temps plein.
Les secteurs qui servaient traditionnellement de tremplin aux jeunes travailleurs ont considérablement changé. Le commerce de détail et la restauration, autrefois sources fiables de premiers emplois, ont vu les bouleversements technologiques réduire les postes de débutants. Parallèlement, les gels d’embauche gouvernementaux et les réductions d’effectifs des entreprises ont davantage limité les opportunités.
« Ce qui est particulièrement alarmant, c’est la disparité géographique, » note Pedro Barata, directeur exécutif du Centre des Compétences futures. « Les jeunes des régions rurales et des petits centres urbains font face à des taux de chômage presque deux fois plus élevés que ceux des grandes régions métropolitaines, créant une fuite des talents alors que les jeunes migrent vers des marchés d’emploi déjà saturés à Toronto, Vancouver et Montréal. »
Les conséquences sociales sont tout aussi préoccupantes. Les recherches de l’Association canadienne pour la santé mentale montrent que le chômage prolongé est corrélé à des taux plus élevés de dépression, d’anxiété et d’abus de substances chez les jeunes adultes. L’insécurité financière retarde les grandes étapes de la vie comme l’accession à la propriété, le mariage et la fondation d’une famille – des changements démographiques ayant des implications à long terme pour le tissu social et la croissance économique du Canada.
Alors, que peut-on faire? Plusieurs approches prometteuses émergent dans les secteurs public, privé et éducatif.
D’abord, le recrutement basé sur les compétences représente un changement significatif par rapport au recrutement axé sur les diplômes. Des entreprises comme Shopify, Microsoft Canada et IBM ont commencé à évaluer les candidats sur la base de leurs capacités démontrées plutôt que sur leurs diplômes ou leurs années d’expérience.
« Nous avons éliminé les exigences de diplôme pour plus de 50% de nos postes, » explique Stephanie Garrett, directrice de l’acquisition de talents chez Lightspeed Commerce. « Nos évaluations se concentrent sur la résolution de problèmes, la communication et les aptitudes techniques plutôt que sur les diplômes. Cela a considérablement élargi notre bassin de talents et amélioré la diversité. »
La réforme de l’éducation représente une autre voie essentielle. Plusieurs provinces étendent leurs programmes coopératifs, d’apprentissage appliqué et de modèles éducatifs intégrés au travail. Les programmes coopératifs technologiques de la Colombie-Britannique affichent des taux d’emploi de 93% pour les diplômés, comparativement à 78% pour les programmes traditionnels.
La Nouvelle-Écosse a introduit un programme « Graduate to Opportunity » offrant des subventions salariales aux employeurs qui embauchent des diplômés récents. Le programme couvre 25% du salaire de première année d’un nouveau diplômé et 12,5% de ses revenus de deuxième année, créant de puissantes incitations pour les employeurs à donner leur chance aux jeunes talents.
« Ces programmes fonctionnent parce qu’ils partagent les risques, » explique Alec Cowan, économiste à l’Institut C.D. Howe. « Les employeurs reçoivent un soutien financier pendant la période de formation où la productivité pourrait être plus faible, tandis que les diplômés obtiennent cette première expérience professionnelle cruciale. »
Les initiatives de formation numérique montrent également des résultats prometteurs. Canada en Programmation s’est associé à de grands employeurs pour créer des programmes de formation accélérée dans des domaines très demandés comme l’analyse de données, le marketing numérique et la cybersécurité. Ces programmes durent généralement 12 à 16 semaines et se concentrent intensément sur les compétences pratiques.
Le gouvernement fédéral a augmenté le financement de la Stratégie emploi et compétences jeunesse de 575 millions de dollars sur trois ans, mais les critiques soutiennent que ces investissements restent insuffisants compte tenu de l’ampleur du défi. Les gouvernements provinciaux montrent une variation significative dans leurs approches, les programmes d’emploi jeunesse du Québec étant généralement considérés comme les plus complets.
Le leadership du secteur privé reste essentiel. L’Engagement Paré pour l’avenir de la Banque TD comprend une promesse d’embaucher 1 000 nouveaux diplômés chaque année, quelles que soient les conditions économiques. D’autres grands employeurs comme Deloitte, RBC et Shopify ont créé des filières d’embauche dédiées aux jeunes avec des exigences d’expérience modifiées.
Les approches communautaires comblent les lacunes là où les initiatives plus larges sont insuffisantes. Le programme de mentorat du Conseil d’emploi pour les immigrants de la région de Toronto met en relation des professionnels expérimentés avec de jeunes nouveaux arrivants, tandis que des communautés rurales comme Sault Ste. Marie ont créé des initiatives de rétention des jeunes combinant emploi, aide au logement et intégration communautaire.
Pour les jeunes Canadiens comme Emily Chen, les solutions ne peuvent pas arriver assez vite. « Je ne m’attends pas à ce qu’on me donne un emploi parfait, » dit-elle. « Mais j’ai besoin que quelqu’un me donne une chance de faire mes preuves. Cette première opportunité fait toute la différence. »