Le brouillard matinal flottait épais sur le chenal Douglas de Kitimat tandis que j’observais des travailleurs en casques et gilets de sécurité s’affairer autour de l’immense chantier de LNG Canada. Derrière eux, la structure de ce qui deviendra la plus grande installation d’exportation de gaz naturel liquéfié du Canada s’élevait vers le ciel – un pari de 40 milliards de dollars sur l’avenir des combustibles fossiles dans un monde de plus en plus préoccupé par le changement climatique.
« Nous croyons que ce projet peut aider à réduire les émissions mondiales, » m’a expliqué Sarah, une ingénieure environnementale sur le site qui a demandé que j’utilise uniquement son prénom. « Le gaz naturel est plus propre que le charbon, et des pays comme la Chine et l’Inde ont besoin d’options plus écologiques pendant leur transition vers les énergies renouvelables. »
Cette narration – que le GNL canadien représente une solution climatique plutôt qu’un problème – est devenue l’argument central d’une industrie en expansion malgré les avertissements climatiques urgents. Mais comme le brouillard qui obscurcit périodiquement la côte montagneuse de la Colombie-Britannique, la relation entre les exportations canadiennes de GNL et les émissions mondiales est loin d’être claire.
Pour des communautés comme Kitimat et la Nation Haisla, dont le territoire traditionnel accueille l’installation, le projet représente une opportunité économique. Crystal Smith, conseillère en chef de la Nation Haisla, a exprimé à plusieurs reprises son soutien au développement, notant que le partenariat a apporté des avantages économiques sans précédent tout en maintenant des normes environnementales plus élevées que celles des juridictions concurrentes.
« Notre peuple vit sur cette terre depuis des milliers d’années, » m’a dit Smith lors d’une précédente entrevue. « Nous comprenons la nécessité d’équilibrer le développement économique avec la protection de l’environnement. Nous croyons que ce projet réalise cet équilibre tout en créant des opportunités que notre communauté n’a jamais eues auparavant. »
L’argument technique en faveur du GNL comme exportation positive pour le climat repose sur le déplacement. Lorsqu’il est exporté vers des marchés comme la Chine, le Japon ou l’Inde, le gaz naturel canadien pourrait remplacer la production d’électricité au charbon, réduisant potentiellement les émissions de 40 à 50% par unité d’énergie produite. Environnement et Changement climatique Canada a reconnu cet effet de déplacement, sans toutefois affirmer des avantages climatiques définitifs.
À l’École de politique publique de l’Université de Calgary, la chercheuse Sara Hastings-Simon offre une vision plus complexe. « La réalité est que le gaz naturel pourrait remplacer le charbon dans certains contextes, mais il pourrait aussi remplacer les énergies renouvelables ou simplement s’ajouter à la consommation totale d’énergie, » explique-t-elle. « Nous devons être honnêtes sur ces dynamiques plutôt que de supposer le scénario le plus favorable. »
Ses recherches indiquent que pour que le GNL canadien procure des avantages climatiques significatifs, quatre conditions doivent être remplies : le gaz doit principalement remplacer le charbon plutôt que les énergies renouvelables; les fuites de méthane doivent être minimisées tout au long du processus de production et de transport; le processus énergivore de liquéfaction doit être alimenté par de l’électricité propre; et des politiques doivent garantir que le gaz est un combustible de transition plutôt qu’une destination finale.
En me promenant le long du front de mer à Prince Rupert, où d’autres terminaux GNL ont été proposés, j’ai rencontré James Wilson, un pêcheur commercial dont la famille récolte ces eaux depuis des générations. Ses mains usées par le temps ont gesturé vers l’horizon tandis que les préoccupations concernant le trafic de pétroliers émergeaient dans notre conversation.
« Les politiciens parlent des émissions dans d’autres pays, mais qu’en est-il de ce qui se passe ici ? » a-t-il demandé. « Plus de pétroliers, plus de pipelines, plus de fracturation hydraulique dans le nord. Nous constatons déjà des changements dans nos eaux à cause du changement climatique. Des océans plus acides, des migrations de saumon qui changent. »
Les préoccupations de Wilson mettent en évidence un problème crucial de comptabilité. Selon les accords internationaux, les émissions provenant de la combustion des combustibles exportés ne sont pas comptabilisées dans les totaux nationaux du Canada – seules les émissions provenant de la production et du traitement à l’intérieur de nos frontières le sont. Cela crée un angle mort potentiel où le Canada peut revendiquer un leadership climatique tout en développant ses exportations de combustibles fossiles.
Selon l’Institut Pembina, un groupe de réflexion sur l’énergie propre, les émissions du cycle de vie complet du seul projet LNG Canada pourraient atteindre 93 millions de tonnes d’équivalent CO2 annuellement lorsque la combustion à l’étranger est incluse – soit environ l’équivalent de 13% des émissions annuelles totales du Canada. Seulement environ 13 millions de tonnes seraient comptabilisées dans l’inventaire national du Canada.
Mark Jaccard, professeur à l’École de gestion des ressources et de l’environnement de l’Université Simon Fraser, suggère que nous devons dépasser la pensée simpliste du tout ou rien. « L’avantage climatique du gaz dépend entièrement des politiques dans les pays récepteurs, » explique-t-il. « S’ils ont des plafonds d’émissions contraignants ou des prix du carbone croissants, alors le gaz pourrait servir de combustible de transition. Sans ces politiques, ajouter n’importe quel combustible fossile au mix mondial ne fait qu’aggraver le problème. »
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a souligné que limiter le réchauffement à 1,5°C nécessite des réductions importantes de tous les combustibles fossiles, y compris le gaz naturel. Leur rapport de 2022 note que bien que le gaz produise moins d’émissions que le charbon lorsqu’il est brûlé, les fuites de méthane pendant la production et le transport peuvent éroder considérablement cet avantage. Le méthane piège environ 86 fois plus de chaleur que le dioxyde de carbone sur une période de 20 ans.
De retour à Kitimat, j’ai visité le centre communautaire de la Nation Haisla, où des photographies du territoire traditionnel côtoient des cartes montrant l’installation GNL. Cette juxtaposition saisit la réalité compliquée pour de nombreuses communautés autochtones qui naviguent dans les décisions de développement des ressources.
Matthew Moccasin, un aîné Haisla avec qui j’ai parlé lors de ma visite dans la communauté, a offert une perspective qui ne s’inscrit pas nettement dans les catégories pro ou anti-GNL. « Notre peuple a toujours utilisé les ressources de notre territoire, » a-t-il dit. « Mais nous avons aussi toujours pensé à l’avenir. Sept générations devant nous. Ce sont des choix difficiles pour nous. »
Le principe des sept générations auquel Moccasin fait référence soulève des questions sur le verrouillage d’infrastructures de combustibles fossiles qui pourraient fonctionner pendant des décennies. Avec la plupart des nations du monde engagées à atteindre des émissions nettes nulles d’ici le milieu du siècle, les nouvelles installations de GNL pourraient faire face à des risques d’actifs délaissés si la demande chute plus rapidement que ne le suggèrent les projections de l’industrie.
Le ministère des Ressources naturelles du Canada maintient que la demande mondiale de GNL continuera de croître jusqu’en 2040 au moins, les marchés asiatiques alimentant une grande partie de cette augmentation. Les responsables soulignent le besoin déclaré par l’Agence internationale de l’énergie de gaz naturel pendant la transition énergétique.
Cependant, cette même agence a publié un rapport choc en 2021 concluant qu’aucun nouveau champ pétrolier et gazier ne devrait être développé si le monde espère atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Cette contradiction apparente illustre les récits contradictoires sur le gaz naturel – soit comme combustible de transition, soit comme problème climatique.
Sur le plan pratique, le Canada fait face à la concurrence sur le marché mondial du GNL de grands exportateurs comme le Qatar, l’Australie et les États-Unis, qui ont tous considérablement augmenté leur capacité. Cette concurrence soulève des questions quant à savoir si les projets canadiens trouveront un espace de marché suffisant, surtout alors que les coûts des énergies renouvelables continuent de baisser.
« L’économie du GNL est aussi compliquée que les calculs d’émissions, » explique Werner Antweiler, professeur à l’École de commerce Sauder de l’Université de la Colombie-Britannique. « Ces projets nécessitent des milliards d’investissements initiaux et des décennies pour récupérer ces coûts. La fenêtre de rentabilité pourrait se rétrécir à mesure que le monde accélère vers la décarbonisation. »
Pour les Canadiens vivant près des zones de production dans le nord-est de la C.-B., le débat se concentre souvent sur des impacts plus immédiats. Les opérations de fracturation hydraulique – la principale source de gaz pour les exportations de GNL – ont soulevé des préoccupations concernant l’utilisation de l’eau, la sismicité induite et la qualité de l’air local.
Comme je me préparais à quitter Kitimat, le brouillard matinal s’était dissipé, révélant les spectaculaires montagnes côtières qui encadrent cette ville industrielle. La clarté semblait momentanément symbolique – pourtant, plus j’en apprenais sur le GNL canadien et sa relation complexe avec les émissions mondiales, plus je reconnaissais que des réponses simples restent insaisissables.
Ce qui est clair, c’est que la stratégie canadienne en matière de GNL représente un pari substantiel sur l’avenir du gaz naturel dans un monde en rapide décarbonisation. Que ce pari soit payant – pour les investisseurs, les communautés et le climat – dépend de facteurs allant des politiques climatiques internationales aux développements technologiques en passant par l’évolution des marchés énergétiques.
Pour l’instant, la construction se poursuit à Kitimat, le méthane continue de s’écouler des puits du nord-est de la C.-B., et les communautés le long du parcours du gaz continuent de naviguer entre les tensions entre opportunité économique et préoccupation environnementale. Le brouillard, semble-t-il, ne s’est pas encore complètement dissipé.