La page Facebook semblait anodine à première vue. Un groupe pour les militaires actuels et anciens permettant de partager leurs expériences et souvenirs. Mais en défilant plus profondément, on découvrait quelque chose de bien plus inquiétant : des mèmes dégradants envers les femmes en uniforme, des commentaires racistes concernant les membres autochtones et des menaces visant le personnel LGBTQ+.
La semaine dernière, la police militaire a lancé une enquête formelle sur ce groupe Facebook privé après que des lanceurs d’alerte ont présenté des captures d’écran de contenus qui violent à la fois les politiques de conduite des Forces armées canadiennes (FAC) et potentiellement la loi canadienne.
« Nous examinons des publications remontant à au moins 18 mois contenant du matériel qui n’a pas sa place dans notre communauté militaire, » a déclaré la major Élise Gauthier, porte-parole du Service national d’enquêtes des Forces canadiennes. « Ces allégations sont prises très au sérieux. »
Le groupe, qui comptait environ 8 000 membres avant d’être fermé, exigeait des références militaires pour y adhérer mais fonctionnait en dehors des canaux officiels des FAC. Selon les documents que j’ai examinés, les membres comprenaient du personnel de presque toutes les branches des services, des simples soldats à plusieurs officiers supérieurs.
L’ancienne caporal-chef Jasmine Rodriguez figurait parmi ceux qui ont signalé la page. « Je l’ai rejoint en pensant qu’il s’agirait de camaraderie. Au lieu de cela, j’ai trouvé des personnes avec qui j’avais servi publiant des commentaires ignobles sur les femmes et les minorités en uniforme, » m’a-t-elle confié. « Quand j’ai protesté, je suis devenue moi-même une cible. »
L’enquête survient dans le contexte des efforts continus pour remédier à la discrimination systémique au sein de l’armée canadienne. L’an dernier, le ministère de la Défense nationale a publié son rapport d’étape sur la lutte contre les comportements préjudiciables, soulignant des améliorations mais reconnaissant que d’importants défis demeurent.
Michel Drapeau, colonel à la retraite et expert en droit militaire à l’Université d’Ottawa, explique que les implications juridiques dépassent la discipline militaire. « Les membres qui publient ce contenu pourraient faire face à des accusations en vertu de la Loi sur la défense nationale pour conduite indigne, mais selon la gravité, nous pourrions également voir des accusations en vertu du Code criminel pour discours haineux ou proférer des menaces. »
J’ai examiné des captures d’écran fournies par des sources montrant des publications utilisant des insultes raciales pour décrire des membres autochtones et suggérant que des femmes auraient obtenu des promotions grâce à des faveurs sexuelles. D’autres publications contenaient des mèmes homophobes et des discussions sur la façon de rendre la vie difficile au personnel transgenre.
La Commission canadienne des droits de la personne surveille des incidents similaires dans différents contextes institutionnels. La commissaire Marie-Claude Landry a noté dans une récente déclaration que « les comportements en ligne qui créent un environnement empoisonné pour les groupes protégés constituent de la discrimination, même lorsqu’ils se produisent dans des espaces numériques apparemment privés. »
Pour le sergent (retraité) Omar Williams, qui a servi pendant 22 ans avant de prendre sa retraite en 2021, ces révélations n’étaient pas surprenantes. « Beaucoup d’entre nous ont vécu cette toxicité directement. La différence maintenant, c’est qu’il y a enfin une certaine responsabilisation, » a-t-il déclaré. « Pendant mon service, les plaintes concernant la discrimination étaient souvent mises de côté. »
Le ministère de la Défense nationale a refusé de fournir des détails spécifiques sur les publications individuelles faisant l’objet d’une enquête, mais a confirmé que l’enquête examinerait si le personnel de supervision était au courant ou participait au groupe. La lieutenante-générale Jennie Carignan, cheffe de la conduite professionnelle et de la culture, a publié une déclaration soulignant que « le comportement en ligne reflète l’institution et doit répondre aux mêmes normes que nous attendons dans les lieux de travail physiques. »
Cette enquête émerge dans un contexte de scandales antérieurs. En 2021, plusieurs hauts dirigeants militaires ont fait face à des allégations d’inconduite sexuelle, déclenchant une crise de confiance dans le leadership des FAC. Le rapport Arbour qui a suivi a formulé 48 recommandations pour lutter contre l’inconduite sexuelle et la discrimination.
L’enquête sur la page Facebook met également en lumière les défis auxquels les organisations militaires sont confrontées pour surveiller la conduite dans les espaces numériques. L’Enquête auprès de l’Équipe de la Défense de 2023 a révélé que 41% des répondants avaient été témoins ou victimes de discrimination en ligne de la part de collègues, mais seulement 13% ont signalé ces incidents.
La Dre Aisha Ahmad, experte en sécurité à l’Université de Toronto, souligne un problème plus profond. « La culture militaire mondiale a du mal avec les limites des médias sociaux. Le personnel a souvent l’impression que sa vie privée en ligne devrait rester séparée de la surveillance professionnelle, mais les discours haineux affectent la cohésion des unités, peu importe où ils se produisent. »
Le ministre des Anciens Combattants, Lawrence MacAulay, a abordé l’enquête lors d’une conférence de presse hier. « Notre gouvernement s’engage à garantir que chaque personne qui sert soit traitée avec dignité. Ce comportement déshonore l’uniforme et tout ce que représente notre armée. »
Pour des membres touchés comme Rodriguez, l’enquête représente un possible tournant. « Je suis partie en partie à cause de cet environnement toxique. Peut-être que si l’armée fait enfin le ménage, d’autres n’auront pas à faire ce choix. »
L’enquête devrait se poursuivre pendant plusieurs mois, avec des mesures disciplinaires potentielles allant de mesures correctives à l’exclusion du service et d’éventuelles accusations criminelles. La police militaire a établi un canal de signalement dédié pour le personnel disposant d’informations sur des comportements similaires en ligne.
Alors que l’armée canadienne s’efforce de reconstruire la confiance du public et le moral interne, cette affaire démontre que la lutte contre la discrimination s’étend au-delà des bases physiques jusque dans les espaces numériques où les valeurs de l’institution sont soit respectées, soit compromises, une publication à la fois.