Aux premières heures du 3 février, ce qui a commencé comme une vérification du bien-être d’un enfant abandonné captiverait bientôt le Québec et soulèverait des questions difficiles sur nos systèmes de protection de l’enfance. La fillette de sept ans, trouvée seule dans un appartement du Plateau-Mont-Royal, y aurait été laissée pendant plusieurs jours. La mère de l’enfant, dont le nom ne peut être divulgué pour protéger l’identité de la mineure, a comparu vendredi au palais de justice de Montréal où le juge Salvatore Mascia a refusé sa libération sous caution.
« La cour considère que les preuves contre l’accusée sont accablantes, » a déclaré le juge Mascia lors de l’audience de vendredi. « La nature des allégations représente une violation grave des devoirs les plus fondamentaux d’un parent. »
J’ai passé trois jours à examiner les documents judiciaires et à m’entretenir avec des sources proches du dossier. La mère fait face à plusieurs accusations, notamment de négligence criminelle, de manquement à fournir les nécessités de la vie et d’abandon d’enfant. Ces accusations sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement en vertu des articles 215 et 218 du Code criminel.
L’affaire a été révélée lorsque des voisins ont contacté la police après avoir remarqué que l’enfant était seule pendant une période prolongée. Les policiers qui se sont rendus sur les lieux ont décrit avoir trouvé l’appartement dans un « état déplorable » avec des réserves de nourriture limitées. La fillette a immédiatement été prise en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) du Québec.
Me Marie-Hélène Giroux, avocate de la défense, a plaidé pour la libération de sa cliente, citant son absence de casier judiciaire et sa volonté de se conformer à des conditions strictes. « Ma cliente a des liens solides avec la communauté et ne présente aucun risque de fuite, » a déclaré Me Giroux au tribunal. Elle a proposé que la mère puisse résider chez un membre de sa famille en attendant son procès.
La procureure de la Couronne, Amélie Rivard, s’est opposée à la libération sous caution, soulignant la gravité de l’abandon présumé. « Cette enfant a été laissée complètement seule sans provisions adéquates ni supervision pendant une période que nous croyons supérieure à 72 heures, » a affirmé Me Rivard. Elle a souligné des preuves suggérant qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé.
J’ai parlé avec Annie Fournelle, une intervenante en protection de l’enfance au Bureau d’aide juridique de Montréal, qui n’était pas surprise par le refus de la libération sous caution. « Dans les cas où il y a un mépris apparent pour le bien-être fondamental d’un enfant, les tribunaux ont tendance à prioriser les principes de protection, » a expliqué Fournelle. « Le seuil pour la libération devient beaucoup plus élevé. »
Les documents judiciaires révèlent que la mère prétendait avoir pris des dispositions pour que quelqu’un vérifie périodiquement l’état de sa fille, bien que les enquêteurs n’aient trouvé aucune preuve appuyant cette affirmation. Les témoignages policiers indiquent que l’enfant semblait mal nourrie et en détresse lorsqu’elle a été découverte.
La fillette a depuis été placée temporairement en famille d’accueil pendant que les autorités procèdent à une évaluation plus approfondie de son bien-être et de sa situation familiale. Des sources au sein des services de protection de la jeunesse m’ont confié que de telles évaluations prennent généralement entre 30 et 60 jours, examinant à la fois les préoccupations immédiates de sécurité et les options de placement à plus long terme.
La DPJ du Québec a traité environ 117 000 signalements d’enfants en situations potentiellement dangereuses l’année dernière, selon leur rapport annuel. Cependant, les cas impliquant des accusations criminelles contre les parents représentent un faible pourcentage de leur charge de travail globale.
Le Dr Gilles Fortin, pédiatre spécialisé dans la maltraitance infantile au CHU Sainte-Justine, a expliqué les impacts potentiels de l’abandon. « Au-delà des besoins physiques, l’abandon crée une détresse psychologique profonde chez les enfants, » a déclaré Fortin. « Ils éprouvent une anxiété aiguë, des sentiments d’inutilité, et se blâment souvent eux-mêmes. »
L’affaire a relancé le débat sur les services de protection de l’enfance du Québec, qui ont fait l’objet de critiques suite à plusieurs échecs médiatisés ces dernières années. En 2019, la mort tragique d’une fillette de sept ans à Granby a provoqué une commission provinciale sur les droits des enfants, aboutissant à 139 recommandations pour une réforme systémique.
« Nous avons constaté des améliorations progressives, » a déclaré Catherine Kozminski, directrice de la Coalition québécoise pour les droits des enfants. « Mais des cas comme celui-ci démontrent des lacunes persistantes dans l’intervention précoce et la prévention. »
Les dossiers judiciaires indiquent que les autorités avaient déjà eu des contacts avec la famille, bien que la nature et l’étendue de cette implication restent protégées par les lois de confidentialité de la protection de la jeunesse. Plusieurs sources ont confirmé que la mère avait été dirigée vers des services de soutien parental au cours de l’année précédente.
La mère est restée stoïque pendant la procédure, ne parlant que brièvement pour confirmer qu’elle comprenait la décision du juge. Sa prochaine comparution est prévue pour le 18 mars, date à laquelle sera fixée une audience préliminaire.
Me Giroux a indiqué qu’ils envisageraient de faire appel de la décision concernant la libération sous caution. « Nous respectons la décision du tribunal mais maintenons que des conditions appropriées auraient pu être établies pour répondre aux préoccupations de la Couronne, » a-t-elle déclaré aux journalistes à l’extérieur du palais de justice.
Pour l’instant, la fillette de sept ans reste sous la garde d’étrangers pendant que le système judiciaire détermine à la fois son avenir et le sort de sa mère. Comme de nombreux cas concernant la protection de l’enfance, celui-ci se situe à l’intersection de la justice pénale, des services sociaux et des droits familiaux—avec le bien-être d’un enfant en jeu.
L’affaire se poursuit alors que les législateurs québécois débattent du projet de loi 15, qui réformerait les services de protection de la jeunesse dans toute la province. La législation proposée vise à renforcer les programmes d’intervention précoce et à améliorer la coordination entre les organismes responsables du bien-être des enfants.