À l’ombre du Mont-Sainte-Anne, là où le cœur industriel du Québec rencontre sa puissance en énergie renouvelable, un développement majeur redessine le paysage industriel canadien. Le géant de l’aluminium Alouette a annoncé un investissement massif de 1,5 milliard de dollars pour moderniser et agrandir son aluminerie de Sept-Îles, suite à la négociation réussie d’un accord crucial d’approvisionnement en électricité avec Hydro-Québec.
Cette annonce survient à un moment charnière pour le secteur industriel nord-américain. Alors que les marchés mondiaux de l’aluminium traversent des eaux agitées, cet investissement témoigne à la fois de la confiance dans l’avenir manufacturier québécois et de la reconnaissance du rôle essentiel de l’aluminium dans la transition vers une économie verte.
« Cela représente bien plus que des capitaux qui affluent dans notre région, » explique Michel Desbiens, PDG d’Alouette. « Nous créons un modèle montrant comment les industries énergivores peuvent évoluer dans un marché conscient du carbone tout en maintenant leur compétitivité mondiale. »
Au cœur de l’entente se trouve un contrat d’électricité renégocié qui fournit à Alouette 450 mégawatts d’hydroélectricité à des tarifs préférentiels jusqu’en 2040—suffisamment d’électricité pour alimenter environ 270 000 foyers. L’accord comprend des dispositions liant les coûts d’électricité aux prix mondiaux de l’aluminium, créant ainsi une protection contre la volatilité du marché qui a historiquement affecté l’industrie.
Pour contextualiser, la production d’aluminium figure parmi les procédés industriels les plus énergivores, consommant typiquement jusqu’à 15 kilowattheures par kilogramme d’aluminium produit. Cette dépendance énergétique a historiquement poussé les alumineries vers des régions disposant d’électricité abondante et abordable.
L’investissement a des implications économiques substantielles pour la région de la Côte-Nord. L’analyse économique provinciale suggère que l’expansion préservera 830 emplois existants tout en créant environ 200 postes supplémentaires pendant la phase de construction. Le gouvernement provincial estime que l’effet d’entraînement générera près de 275 millions de dollars d’activité économique annuelle.
François Legault, premier ministre du Québec, a qualifié ce développement de « pierre angulaire de notre stratégie visant à utiliser l’électricité propre comme avantage concurrentiel pour le secteur manufacturier québécois. » La province positionne de plus en plus ses abondantes ressources hydroélectriques comme un aimant pour les industries cherchant à réduire leur empreinte carbone.
Le moment coïncide avec l’évolution des marchés mondiaux de l’aluminium. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et aux sanctions subséquentes sur l’aluminium russe, les producteurs nord-américains ont connu un regain d’intérêt de la part des fabricants en quête de chaînes d’approvisionnement stables. Les prix de l’aluminium ont connu une certaine volatilité, oscillant entre 2 200 $ et 3 800 $ la tonne métrique au cours des dix-huit derniers mois.
Les analystes de l’industrie observent la convergence de multiples forces rendant cet investissement stratégiquement judicieux malgré ces fluctuations.
« Nous assistons à l’intersection de la politique énergétique, de la stratégie industrielle et du réalignement géopolitique, » note Teresa Chen, analyste des métaux chez RBC Marchés des Capitaux. « L’hydroélectricité québécoise crée une couverture naturelle contre les réglementations carbone et la volatilité des prix de l’énergie—deux facteurs qui empêchent les dirigeants de l’aluminium de dormir la nuit. »
Cette expansion représente le premier ajout majeur de capacité à la production nord-américaine d’aluminium depuis près d’une décennie. Depuis 2016, le continent a en fait connu une réduction nette de sa capacité de fusion, les installations plus anciennes et moins efficaces ayant fermé sous la pression de la production chinoise.
Le programme d’investissement comprend 780 millions de dollars pour la modernisation des lignes de cuves existantes, 420 millions pour des améliorations environnementales incluant une technologie avancée de captage des émissions, et 300 millions pour une nouvelle installation de coulée spécialisée dans l’aluminium de qualité automobile—un marché en croissance alors que les constructeurs automobiles recherchent des matériaux plus légers pour améliorer l’efficacité énergétique.
Les groupes environnementaux ont offert un soutien mesuré. « Bien que la production d’aluminium reste énergivore, l’énergie hydroélectrique représente l’une des voies les moins intensives en carbone, » reconnaît Jean-François Blain de Conservation Québec. « La question devient comment équilibrer la croissance industrielle avec les engagements climatiques plus larges du Québec. »
L’usine Alouette figure déjà parmi les opérations d’aluminium les moins intensives en carbone d’Amérique du Nord, avec des émissions environ 70% inférieures à la moyenne mondiale de l’industrie. L’expansion vise à réduire davantage cette intensité carbone en mettant en œuvre des cellules d’électrolyse de nouvelle génération qui améliorent l’efficacité énergétique de 15%.
Du point de vue du marché, l’investissement s’aligne sur l’évolution des modèles de demande. La consommation d’aluminium en Amérique du Nord a augmenté régulièrement de 3,2% par an depuis 2020, principalement dans les secteurs du transport, de la construction et des infrastructures d’énergie renouvelable. Les véhicules électriques, qui contiennent généralement 250-340 kg d’aluminium contre 150-200 kg dans les véhicules conventionnels, représentent un segment de croissance particulièrement prometteur.
« La transition automobile vers l’électrification crée une croissance naturelle de la demande pour les matériaux légers, » explique Michel Desbiens. « En nous spécialisant dans l’aluminium de haute pureté pour ces applications, nous nous positionnons pour l’avenir du marché, pas pour son passé. »
L’expansion n’est pas sans défis. Les coûts de construction ont augmenté pour tous les projets industriels, l’acier, le béton et les équipements spécialisés connaissant une inflation à deux chiffres depuis 2021. Les contraintes de main-d’œuvre dans le secteur de la construction québécois pourraient potentiellement retarder l’achèvement, actuellement prévu pour fin 2027.
Pour la politique industrielle canadienne au sens large, l’expansion d’Alouette fournit une étude de cas sur l’équilibre entre développement économique et objectifs climatiques. Le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a décrit le projet comme « exemplaire du type d’investissement dont le Canada a besoin—tirant parti de notre avantage en énergie propre pour renforcer les chaînes d’approvisionnement nationales en matériaux critiques. »
Alors que les fabricants mondiaux intègrent de plus en plus les émissions de carbone dans leurs décisions d’achat, l’aluminium québécois à faible teneur en carbone pourrait commander des prix premium sur certains marchés. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, qui commencera à appliquer des frais financiers aux importations à forte intensité de carbone en 2026, pourrait créer des avantages concurrentiels supplémentaires pour la production basée sur l’hydroélectricité.
Pour l’avenir, les dirigeants d’Alouette indiquent que cet investissement représente seulement la première phase d’une vision à plus long terme. L’entreprise a obtenu des droits fonciers pour une expansion future potentielle qui pourrait augmenter la capacité de 40% supplémentaires d’ici 2032, en fonction des conditions du marché et de la disponibilité de l’électricité.
Pour les résidents de Sept-Îles et des communautés environnantes, l’investissement apporte une certitude économique bien nécessaire. « Cette installation a été notre ancre économique dans les bons comme dans les mauvais moments, » note la mairesse de Sept-Îles, Marie Corbey. « Savoir qu’elle ne fait pas que rester mais qu’elle se développe nous donne confiance pour planifier l’avenir de notre communauté. »
Alors que le Québec se positionne à l’intersection du patrimoine industriel et de l’avenir énergétique propre, l’expansion d’Alouette offre un aperçu de la façon dont la fabrication traditionnelle pourrait évoluer en réponse aux impératifs climatiques—maintenant les emplois tout en réduisant l’impact environnemental.