L’encre fraîche de l’accord d’Alouette Aluminium représente bien plus qu’une simple poignée de main corporative dans le paysage industriel québécois. L’entente sur l’énergie conclue la semaine dernière entre le gouvernement provincial et le géant de l’aluminium assure un agrandissement massif de 1,5 milliard de dollars à l’aluminerie de Sept-Îles, préservant 830 emplois existants tout en promettant des centaines de nouveaux postes.
Derrière les communiqués de presse reluisants se cache un coup d’échecs économique calculé. Le ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibbon, l’a présenté comme « assurant la compétitivité de l’usine pour les décennies à venir » – mais qu’est-ce qui est réellement en jeu dans ce mariage entre ressources hydroélectriques et ambition industrielle?
Essentiellement, l’accord prolonge les tarifs préférentiels d’électricité d’Alouette jusqu’en 2050, une bouée de sauvetage cruciale dans une industrie où les coûts énergétiques représentent généralement 30 à 40 % des dépenses de production. Il ne s’agit pas seulement de garder les lumières allumées – c’est une question de positionnement stratégique du Québec sur le marché mondial de l’aluminium.
« La sécurité énergétique est primordiale dans la production d’aluminium, » explique Marie-Claude Guay, analyste des métaux chez Desjardins Valeurs mobilières. « Quand les producteurs peuvent verrouiller des coûts énergétiques prévisibles pour des décennies, cela change complètement l’équation d’investissement. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’installation de Sept-Îles, déjà la plus grande aluminerie du Québec, augmentera sa capacité de production annuelle de 620 000 à 770 000 tonnes – suffisamment d’aluminium supplémentaire pour encadrer environ 600 000 nouvelles maisons. L’expansion suit un scénario similaire à l’accord de 2022 du gouvernement avec l’aluminerie Arvida de Rio Tinto, signalant la détermination du Québec à consolider sa position de puissance nord-américaine de l’aluminium.
Ce qui rend cet accord particulièrement remarquable, c’est son timing. Les marchés mondiaux de l’aluminium font face à une pression sans précédent de deux côtés : une demande explosive pour les métaux légers dans les véhicules électriques et la construction durable, parallèlement à l’intensification des préoccupations concernant la dépendance à la production chinoise.
« Les fabricants nord-américains recherchent désespérément des approvisionnements régionaux sécurisés en aluminium, » note Catherine Virga, chercheuse en matières premières chez CPM Group. « L’environnement politique stable du Québec et ses ressources hydroélectriques le positionnent de façon unique pour capitaliser sur ce changement. »
Le calcul du gouvernement s’étend au-delà des retombées économiques immédiates. L’aluminium produit au Québec génère environ 70 % moins d’émissions de carbone que la moyenne mondiale, créant un avantage marketing alors que les fabricants font face à une pression croissante pour écologiser leurs chaînes d’approvisionnement.
Pourtant, des questions subsistent sur les termes de l’accord. Bien que les responsables aient confirmé la structure des tarifs préférentiels, ils sont restés discrets sur les prix exacts. Cela a incité des groupes environnementaux à se demander si les ressources hydroélectriques propres du Québec sont correctement valorisées.
« Nous soutenons le développement industriel, mais la transparence concernant ces engagements énergétiques à long terme est essentielle, » affirme Émile Boisseau-Bouvier d’Équiterre. « Les Québécois méritent de connaître le véritable coût d’opportunité d’allouer notre capacité hydroélectrique à ces projets industriels par rapport à d’autres utilisations potentielles. »
Pour les résidents de Sept-Îles, une ville côtière de 25 000 habitants où les industries de ressources définissent depuis longtemps le paysage économique, les aspects pratiques éclipsent les débats politiques. L’expansion promet des emplois de construction et des postes permanents dans une région qui a traversé des cycles d’expansion et de ralentissement depuis des générations.
« Ce ne sont pas que des emplois – ce sont des carrières qui soutiennent des familles et maintiennent nos communautés viables, » déclare le maire de Sept-Îles, Steeve Beaupré. « Quand on parle d’aluminium dans notre région, on parle de stabilité économique qui se répercute sur tout, des restaurants locaux aux inscriptions scolaires. »
La structure de propriété de l’installation d’Alouette ajoute une autre dimension à l’histoire. Contrairement à de nombreuses exploitations de ressources canadiennes contrôlées par des sociétés multinationales uniques, Alouette fonctionne comme un consortium avec des partenaires autrichiens, canadiens et japonais, chacun ayant ses propres intérêts de fabrication en aval. Cette diversité protège potentiellement l’opération des caprices d’une seule société mère.
Le contexte mondial de cet accord québécois ne peut être négligé. Quelques jours avant l’annonce, le London Metal Exchange rapportait que les prix de l’aluminium atteignaient leurs plus hauts niveaux depuis près de deux ans, poussés par les réductions de production en Chine et la demande croissante des secteurs de la construction et de l’automobile. Le timing suggère que les bailleurs de fonds d’Alouette voient une fenêtre stratégique pour augmenter leur capacité.
Ce qui reste flou, c’est comment cette expansion positionnera le Québec dans les segments à valeur ajoutée de la production d’aluminium. Bien que la fonderie crée des emplois stables, les rendements économiques les plus élevés proviennent souvent de la transformation en aval – transformer l’aluminium brut en composants spécialisés pour l’aérospatiale, l’automobile et les biens de consommation.
« Le défi pour le Québec n’est pas seulement de produire plus d’aluminium – c’est de capturer davantage de la chaîne de valeur, » observe Michel Kelly-Gagnon de l’Institut économique de Montréal. « Singapour ne mine rien, pourtant ils ont bâti une richesse considérable grâce à la transformation et la fabrication. C’est le modèle auquel le Québec devrait aspirer. »
Alors que les équipements de construction commencent à arriver sur le site de Sept-Îles plus tard cette année, l’expansion représente à la fois continuité et évolution dans l’économie des ressources du Québec. La province a tiré parti de son avantage hydroélectrique pour sécuriser la production industrielle pour une autre génération, tout en se positionnant comme une alternative propre aux producteurs à plus forte intensité carbone.
Pour un monde de plus en plus préoccupé par les dimensions environnementales et géopolitiques des chaînes d’approvisionnement industrielles, la stratégie québécoise de l’aluminium offre une étude de cas sur la façon dont les régions peuvent transformer leurs avantages naturels en résilience économique. La véritable mesure du succès sera toutefois de savoir si cet investissement crée simplement une plus grande fonderie ou les fondations d’un écosystème industriel plus diversifié.