Lorsqu’une compagnie aérienne émergente se mesure aux plus grands acteurs de l’industrie, chaque détail compte—surtout la capacité à maintenir ses avions dans les airs. Pour Flair Airlines, le transporteur canadien à très bas prix qui ambitionne de perturber le duopole Air Canada-WestJet, un différend croissant avec des sociétés de location d’avions menace de compliquer sa trajectoire.
Selon des documents judiciaires récents, plusieurs sociétés de location d’aéronefs ont formulé de sérieuses allégations contre la compagnie basée à Edmonton, affirmant que Flair n’a pas effectué ses paiements dans les délais pour ses Boeing 737 en location. Ces accusations surviennent à un moment particulièrement délicat pour l’industrie aérienne canadienne, qui continue de naviguer dans les turbulences post-pandémiques et face à une vigilance accrue des consommateurs.
« On a déjà vu ce scénario, » affirme l’analyste en aviation Robert Kokonis d’AirTrav Inc. « Quand les sociétés de location commencent à exprimer publiquement des préoccupations concernant le calendrier des paiements, cela signale souvent des défis opérationnels plus profonds que les investisseurs et les passagers devraient surveiller. »
Les documents judiciaires, déposés à la Cour supérieure de l’Ontario, allèguent que Flair a régulièrement accusé des retards sur les paiements mensuels pour au moins sept appareils de sa flotte. Un bailleur affirme que les paiements en souffrance dépassent 4 millions de dollars, tandis que d’autres suggèrent que la compagnie demande des prolongations de paiement depuis la fin 2023.
Flair Airlines présente quant à elle une version différente des faits. Dans une déclaration, l’entreprise a qualifié la situation de « négociations commerciales standard » et a souligné qu’aucun avion n’a été cloué au sol en raison de problèmes de paiement.
« Comme toute entreprise prudente, nous révisons continuellement et parfois renégocions les conditions contractuelles avec nos partenaires, » a déclaré Garth Lund, directeur commercial de Flair. « Tous nos avions en location restent en service actif, et nous sommes pleinement engagés dans notre stratégie de croissance sur le marché canadien. »
Mais les experts de l’industrie soulignent que les différends concernant la location d’avions peuvent rapidement passer de simples formalités administratives à des perturbations opérationnelles. En mars 2023, Flair a précisément connu ce scénario lorsque quatre de ses Boeing 737 MAX ont été saisis par des bailleurs en raison de différends de paiement, forçant la compagnie à annuler de nombreux vols et à louer en urgence des avions de remplacement.
« Les bailleurs d’avions ne se précipitent généralement pas devant les tribunaux à moins que les méthodes de recouvrement conventionnelles n’aient échoué, » explique Margaret Trethewey, avocate spécialisée en financement aéronautique chez Skypath Legal à Toronto. « Le marché de la location reste tendu à l’échelle mondiale, et les bailleurs peuvent souvent redéployer des avions vers d’autres compagnies aériennes prêtes à payer rapidement les tarifs du marché. »
Pour les consommateurs canadiens, ce différend soulève des questions sur la viabilité du modèle des transporteurs à très bas prix dans le paysage aérien canadien, particulièrement exigeant. Flair s’est positionnée comme l’alternative économique, offrant des tarifs de base aussi bas que 49 $ entre les principales villes canadiennes tout en facturant des suppléments pour pratiquement tout le reste—des bagages à main à la sélection des sièges.
Cette stratégie axée sur les prix exige une efficacité opérationnelle exceptionnelle et un contrôle rigoureux des coûts. Toutes dépenses supplémentaires, comme des intérêts de pénalité sur les paiements de location tardifs ou la nécessité potentielle d’obtenir rapidement des avions de remplacement, pourraient grever les marges déjà minces de Flair.
Transports Canada a refusé de commenter les allégations spécifiques mais a confirmé qu’il surveille la conformité de tous les transporteurs canadiens aux exigences de capacité financière dans le cadre de ses responsabilités de surveillance continue.
Le moment de ces allégations ne pourrait être plus difficile pour Flair. La saison estivale—traditionnellement la période la plus rentable pour les compagnies aériennes canadiennes—approche, et les concurrents ne restent pas les bras croisés. Air Canada et WestJet défendent agressivement leurs parts de marché, tandis que le nouveau venu Lynx Air continue d’étendre son empreinte à très bas prix à travers le pays.
« Le marché canadien de l’aviation est notoirement difficile à pénétrer, » note Cameron Doerksen, analyste en transport à la Banque Nationale. « Les frais aéroportuaires élevés, la vaste géographie et les fluctuations saisonnières de la demande créent des obstacles importants pour tout nouvel entrant, surtout ceux qui fonctionnent avec des marges réduites. »
Malgré ces défis, Flair maintient que ses fondamentaux restent solides. La compagnie a rapporté avoir transporté plus de 4 millions de passagers en 2023, un record pour l’entreprise, et continue d’étendre son réseau avec de nouvelles destinations annoncées pour 2024.
Ce différend souligne une tension fondamentale dans l’écosystème aérien canadien : les consommateurs veulent et méritent plus de concurrence et des tarifs plus bas, mais bâtir un challenger durable face aux transporteurs établis nécessite du temps, du capital et une excellence opérationnelle.
Alors que le processus juridique se déroule, les voyageurs canadiens observeront attentivement si Flair peut naviguer dans ces vents financiers contraires tout en tenant sa promesse de voyages aériens abordables. Pour une industrie habituée aux turbulences, ce dernier différend représente un test supplémentaire pour déterminer si le marché aérien canadien peut soutenir avec succès une véritable alternative à bas coût.