L’industrie canadienne de l’aluminium face à la menace des tarifs américains
Je suis arrivé à Montréal deux jours après l’annonce choc des tarifs par l’administration Biden, trouvant le secteur de l’aluminium partagé entre panique et planification stratégique. Cette industrie qui emploie directement 10 000 Canadiens et fait vivre 60 000 emplois connexes fait maintenant face à un possible mur tarifaire de 25% imposé par son plus grand client.
« Il ne s’agit pas simplement de métal, » m’a confié le ministre de l’Économie du Québec, Pierre Fitzgibbon, lors d’une entrevue organisée à la hâte dans son bureau du centre-ville. « Ce sont des communautés du Saguenay-Lac-Saint-Jean et de tout le Québec qui dépendent de ces alumineries pour leur survie économique. »
Les tarifs américains proposés, annoncés la semaine dernière dans le cadre d’un ensemble plus large de mesures de sécurité nationale ciblant l’aluminium et l’acier chinois, ont envoyé des ondes de choc à travers l’industrie canadienne de l’aluminium évaluée à 10 milliards de dollars. Bien que conçues principalement pour contrer la capacité industrielle chinoise, les dommages collatéraux pour les producteurs canadiens pourraient être graves.
En réponse, Ottawa envisage d’importantes mesures de soutien financier pour les producteurs d’aluminium touchés. Celles-ci pourraient inclure des allègements fiscaux, des subventions directes, ou même des achats soutenus par le gouvernement pour stabiliser le marché. Le ministre de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a souligné que « toutes les options demeurent sur la table » lors de notre discussion dans une usine manufacturière québécoise.
Ce bras de fer sur l’aluminium représente le dernier test de l’ACEUM, récemment mis en œuvre. Selon les termes de l’accord, le Canada s’attendait à être protégé contre de telles actions unilatérales. Les dirigeants canadiens de l’aluminium avec qui j’ai parlé ont exprimé leur frustration d’être pris dans ce qu’ils considèrent comme la stratégie américaine face à la Chine.
« Nous exploitons certaines des alumineries les plus propres au monde, alimentées presque entièrement par l’hydroélectricité, » a expliqué Jean Simard, président de l’Association de l’aluminium du Canada. « L’empreinte carbone de notre aluminium est environ dix fois inférieure à celle de la production chinoise. Si les considérations climatiques comptent dans la politique commerciale, nous devrions être le fournisseur privilégié. »
Une analyse économique de la Banque TD suggère que les tarifs proposés pourraient réduire jusqu’à 0,4% de la croissance du PIB du Québec s’ils étaient mis en œuvre sans atténuation. La province produit plus de 90% de l’aluminium canadien, ce qui la rend particulièrement vulnérable.
En coulisses, les responsables canadiens explorent des recours auprès de l’OMC tout en négociant simultanément des exemptions. Un haut fonctionnaire d’Affaires mondiales Canada, s’exprimant sous couvert d’anonymat en raison des efforts diplomatiques en cours, a révélé que « des équipes techniques travaillent jour et nuit pour démontrer la nature intégrée des chaînes d’approvisionnement nord-américaines en aluminium. »
La situation rappelle particulièrement la crise des tarifs sur l’acier et l’aluminium de 2018 sous l’administration Trump. Ces mesures étaient restées en place pendant près d’un an avant d’être levées, causant d’importantes perturbations économiques.
Ce qui diffère cette fois-ci, c’est la rapidité de la réponse canadienne. Dans les 48 heures suivant l’annonce américaine, la ministre des Finances Chrystia Freeland avait formé un groupe de travail industriel et commencé à élaborer des contre-mesures. Lors de notre bref échange après une réunion avec les parties prenantes, elle a souligné que « le Canada a tenu bon auparavant, et nous tiendrons bon à nouveau. »
Au Saguenay, cœur de la production canadienne d’aluminium, j’ai été témoin de l’anxiété communautaire. Dans un restaurant local où de nombreux employés de Rio Tinto se rassemblent pour déjeuner, les conversations tournaient autour des possibles mises à pied.
« Mon père travaillait à l’aluminerie, et maintenant c’est mon tour, » a déclaré Marc Tremblay, travailleur de l’aluminium de troisième génération. « Ces emplois sont l’épine dorsale de notre région. Sans eux, qu’adviendra-t-il de nos villes? »
La situation souligne la vulnérabilité des communautés dépendantes des ressources face aux différends commerciaux. Selon les données de Statistique Canada, des régions comme le Saguenay-Lac-Saint-Jean ont une diversification économique limitée, ce qui les rend particulièrement susceptibles aux chocs spécifiques à l’industrie.
Les représentants commerciaux américains justifient ces mesures comme fermant des échappatoires qui permettent à l’aluminium chinois d’entrer aux États-Unis via des pays tiers. Cependant, les producteurs canadiens soutiennent que ce raisonnement ignore la traçabilité rigoureuse et la vérification dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine.
L’Aluminum Association, représentant les producteurs américains, s’est notamment désolidarisée de l’administration Biden sur cette question. Dans un communiqué publié hier, ils ont souligné que « l’aluminium canadien est essentiel à la fabrication américaine » et ont appelé au maintien des chaînes d’approvisionnement nord-américaines intégrées.
Les observateurs politiques notent que le moment coïncide avec une année électorale aux États-Unis, où le protectionnisme commercial gagne souvent du terrain pendant les campagnes. Les États clés du Michigan, du Wisconsin et de Pennsylvanie ont tous d’importantes opérations de transformation d’aluminium qui pourraient bénéficier de telles protections, du moins à court terme.
Le potentiel programme de soutien du Canada pour son secteur de l’aluminium devrait naviguer prudemment dans les règles du commerce international. Des subventions directes pourraient déclencher des plaintes supplémentaires de la part des représentants commerciaux américains ou d’autres nations productrices d’aluminium.
Alors que je me préparais à quitter Montréal pour des réunions à Ottawa, les parties prenantes de l’industrie mobilisaient une réponse coordonnée. Le message était clair: l’industrie canadienne de l’aluminium est prête pour un combat prolongé, mais espère que les voies diplomatiques prévaudront.
« Nous avons déjà vécu cela, » a fait remarquer un consultant chevronné de l’industrie alors que nous nous séparions. « La différence, c’est que cette fois, nous savons exactement quoi faire – et nous n’attendons pas pour le faire. »