La salle d’audience est tombée dans un silence pesant lorsque Gilbert Rozon a pris place à la barre hier au palais de justice de Montréal, faisant face à des questions concernant des commentaires qu’il aurait tenus au sujet d’une affaire d’agression sexuelle de 1998 qui continue d’assombrir l’héritage du fondateur de Juste pour rire.
Rozon, maintenant âgé de 70 ans, semblait visiblement mal à l’aise lorsque la procureure de la Couronne Marie-Claude Bourassa l’a interrogé sur des déclarations qu’il aurait faites à des associés suite à son absolution conditionnelle de 1998 pour agression sexuelle contre une femme de 19 ans.
« M. Rozon, plusieurs témoins ont déclaré que vous avez décrit l’incident comme ‘juste un malentendu’ et ‘exagéré’ lors d’événements de l’entreprise entre 2000 et 2005. Avez-vous fait ces déclarations? » a demandé Bourassa.
Le magnat du festival, vêtu d’un costume gris anthracite et d’une cravate bleue, s’est agité sur son siège avant de répondre. « J’ai toujours respecté la décision de la cour et mes obligations légales. Je ne me souviens pas d’avoir fait ces commentaires précis. »
J’ai consulté les transcriptions judiciaires de l’affaire originale de 1998, qui montrent que Rozon a admis des « attouchements forcés » sur la victime lors d’une soirée, tout en maintenant que la rencontre était consensuelle. L’absolution conditionnelle lui a permis d’éviter la prison tout en accomplissant des heures de travaux communautaires.
Les juristes qui observent la procédure notent l’importance de revisiter ces commentaires aujourd’hui. « La cour examine essentiellement si Rozon a violé l’esprit de son absolution conditionnelle en minimisant potentiellement la gravité de ses actes, » a expliqué Dominique Bernier, avocate en défense criminelle à l’Association des juristes progressistes.
L’interrogatoire survient dans le cadre d’une affaire civile plus large contre Rozon déposée par Les Courageuses, un groupe de femmes alléguant un schéma d’inconduite s’étendant sur des décennies. Bien que la Cour d’appel du Québec ait précédemment rejeté leur demande de statut d’action collective, des cas individuels continuent d’avancer.
Marie-Ève Normandin du Regroupement québécois des centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle a assisté aux procédures d’hier. « Cet interrogatoire est important car il examine si les personnalités puissantes acceptent véritablement leur responsabilité ou simulent simplement des remords en public tout en maintenant leur innocence en privé, » m’a-t-elle confié à l’extérieur de la salle d’audience.
Des documents judiciaires obtenus par des demandes d’accès à l’information révèlent qu’au moins trois anciens employés ont fourni des déclarations sous serment indiquant que Rozon avait tenu des propos désobligeants concernant l’affaire de 1998 lors de réunions privées de l’entreprise entre 1999 et 2004.
L’équipe de direction actuelle du festival a travaillé pour distancer l’organisation de son fondateur. « Juste pour rire fonctionne indépendamment de M. Rozon et a mis en œuvre des politiques complètes contre le harcèlement, » a déclaré la directrice des communications Yasmine Abdelfadel dans une déclaration écrite.
Lors du contre-interrogatoire, l’avocat de Rozon, François Doré, a fait valoir que les commentaires allégués remontent à plus de vingt ans et dépassent la portée des procédures actuelles. « Mon client a mené une vie conforme à la loi depuis 1998 et a rempli toutes les obligations qui lui ont été imposées par la cour, » a souligné Doré.
La juge Marie-Claire Lefebvre n’a pas semblé convaincue par cette ligne d’argumentation. « La cour doit comprendre s’il y a eu une véritable acceptation de responsabilité ou simplement une conformité publique tout en maintenant une position différente en privé, » a-t-elle noté.
Les groupes québécois de défense des victimes ont suivi l’affaire de près. « Lorsque des absolutions conditionnelles sont accordées, il y a une hypothèse sous-jacente que l’individu reconnaît le préjudice causé, » a expliqué Mélanie Lemay, cofondatrice de Québec Contre les Violences Sexuelles. « Si cette reconnaissance était insincère, cela soulève de sérieuses questions sur l’efficacité de notre système judiciaire. »
Les procédures se poursuivent la semaine prochaine lorsque deux témoins supplémentaires devraient témoigner concernant les commentaires présumés de Rozon. Les observateurs du tribunal notent que cette affaire met en lumière les tensions persistantes dans la façon dont le système judiciaire canadien traite les cas d’agression sexuelle impliquant des personnalités influentes.
En observant Rozon quitter la salle d’audience, entouré de son équipe juridique, son expression est restée stoïque. L’héritage d’un homme qui a bâti un empire international de l’humour dépend maintenant de la gravité avec laquelle il a pris sa propre condamnation des décennies auparavant.
Pour les dizaines d’observateurs dans la galerie, dont plusieurs sont liés au mouvement #MoiAussi qui a finalement conduit à la démission de Rozon de Juste pour rire en 2017, cet examen représente plus que de simples procédures judiciaires—il symbolise une remise en question de la façon dont la société traite les admissions d’agression sexuelle de personnes en position de pouvoir.