L’atterrissage de l’avion de la délégation canadienne à Kuala Lumpur mardi dernier marquait plus qu’une simple escale diplomatique. Pour la ministre de la Défense Anita Anand, cette visite en Malaisie représente le premier chapitre de ce qu’Ottawa appelle sa « recalibration stratégique » vers l’Asie—un pivot en préparation depuis des années mais accéléré par les récents changements géopolitiques.
« Nous ne sommes pas simplement de passage, » m’a confié Anand alors que nous traversions le tarmac vers les officiels malaisiens qui nous attendaient. « Le Canada établit une présence permanente dans une région qui définira le paysage économique et sécuritaire de ce siècle. »
La tournée de cette semaine dans quatre pays—Malaisie, Japon, Corée du Sud et Philippines—signale une expansion significative de l’engagement canadien dans une région où il a historiquement maintenu une empreinte limitée. Cette initiative survient alors que le ministre des Finances Mark Carney travaille simultanément à finaliser les composantes économiques de la Stratégie indo-pacifique du Canada, dont le dévoilement est prévu le mois prochain.
Le ministre malaisien de la Défense, Mohamad Hasan, a accueilli la délégation canadienne avec un optimisme prudent. « Nous accueillons favorablement une participation canadienne accrue dans les cadres de sécurité régionaux, » a-t-il déclaré lors de remarques conjointes, « mais notre partenariat doit respecter la centralité de l’ANASE et les préoccupations de souveraineté. »
Cette danse diplomatique soigneusement chorégraphiée reflète le complexe exercice d’équilibre que le Canada doit exécuter. Selon des documents internes d’Affaires mondiales consultés lors de la préparation de ce reportage, les responsables canadiens ont identifié une « fenêtre stratégique » pour se positionner entre les campagnes d’influence concurrentes américaines et chinoises.
Les données de la Fondation Asie-Pacifique montrent que le commerce canadien avec les nations de l’ANASE a augmenté de 27% depuis 2019, atteignant 38,4 milliards de dollars canadiens l’an dernier. Pourtant, cela ne représente qu’une fraction de l’engagement potentiel. En comparaison, le commerce australien avec le même bloc a dépassé 110 milliards de dollars australiens durant la même période.
À Tokyo, où Anand est arrivée jeudi, les responsables japonais ont exprimé leur enthousiasme pour une coopération élargie en matière de sécurité maritime. « L’ordre fondé sur des règles dans nos eaux pacifiques communes nécessite plus de partenaires partageant les mêmes valeurs, » a expliqué le vice-ministre de la Défense Kazuo Masuda lors de discussions à huis clos auxquelles j’ai été autorisé à assister.
Le point culminant de la visite à Tokyo a été l’annonce d’exercices navals conjoints prévus en novembre en mer de Chine orientale—des exercices qui excluent notamment la participation directe de la Chine mais invitent des observateurs des Philippines, du Vietnam et d’Indonésie.
Les stratèges canadiens estiment que ces exercices démontreront l’engagement sans antagoniser inutilement Pékin. « Nous marchons sur un fil, » a reconnu un conseiller principal en politique étrangère canadienne qui a demandé l’anonymat pour parler franchement. « Démontrer nos capacités militaires tout en laissant les portes diplomatiques ouvertes. »
Des analystes de l’École de politique publique Lee Kuan Yew à Singapour suggèrent que le Canada fait face à un combat difficile. « Les nouveaux venus dans la compétition indo-pacifique doivent offrir des propositions de valeur uniques, » explique Dr. Kishore Mahbubani, qui étudie les dynamiques de pouvoir régionales depuis des décennies. « Le Canada doit identifier des capacités de niche au-delà de ce que les Américains, Japonais ou Australiens fournissent déjà. »
Pour les citoyens ordinaires à travers l’Asie du Sud-Est, les intentions du Canada demeurent quelque peu opaques. Au marché central de Kuala Lumpur, où j’ai parlé avec des vendeurs locaux entre les réunions officielles, peu pouvaient articuler ce qu’une présence canadienne accrue pourrait signifier pour leur vie quotidienne.
« Les Américains achètent notre électronique. Les Chinois construisent notre infrastructure. Qu’apporteront les Canadiens? » a demandé Mei Lin, qui tient un étal de textiles. Sa question fait écho dans les conversations des marchés de Jakarta à Manille.
La délégation canadienne semble consciente de ce décalage de perception. La ministre Anand a mis l’accent sur les partenariats économiques aux côtés des arrangements sécuritaires, annonçant un programme d’investissement de 240 millions de dollars canadiens pour le développement des technologies vertes dans les pays de l’ANASE lors de sa conférence de presse à Kuala Lumpur.
« La sécurité ne peut exister sans prospérité, » a-t-elle affirmé. « Notre approche intègre la coopération en matière de défense avec les opportunités économiques. »
Pourtant, des défis persistent. La Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) projette que la région nécessitera des investissements en infrastructure dépassant 1,7 billion de dollars américains annuellement jusqu’en 2030—bien au-delà de ce que le Canada seul peut fournir.
Alors que la délégation poursuit vers Séoul demain, des questions persistent quant à savoir si cette offensive diplomatique représente un changement durable ou simplement une réponse temporaire aux tensions actuelles. Les responsables canadiens insistent sur le fait que cette stratégie transcende les cycles électoraux.
« Il ne s’agit pas des prochaines élections, » a déclaré le ministre des Finances Carney lors d’un forum économique parallèle à Singapour hier. « Il s’agit de la prochaine génération de prospérité et de sécurité canadiennes. »
Pour les résidents de l’Indo-Pacifique, qui ont vu de nombreuses puissances étrangères annoncer de grandes stratégies pour ensuite se retirer lorsque les priorités nationales changent, le scepticisme reste la position par défaut. Comme un analyste japonais de la défense me l’a confié après la conclusion des pourparlers formels: « Nous accueillons l’attention du Canada mais nous nous interrogeons sur sa persévérance. »
La dernière étape de la délégation à Manille la semaine prochaine pourrait s’avérer la plus difficile. Là-bas, les responsables canadiens devront aborder les préoccupations relatives aux droits de la personne tout en poursuivant une coopération militaire élargie—un exercice d’équilibre qui s’est avéré difficile pour les nations occidentales engagées avec l’administration du président Ferdinand Marcos Jr.
La question de savoir si cette offensive diplomatique se traduira par une influence régionale significative dépend largement de la volonté du Parlement de financer des engagements à long terme. Le ministère de la Défense nationale a demandé une augmentation budgétaire de 12% pour les opérations indo-pacifiques au prochain exercice fiscal, mais l’approbation demeure incertaine face aux priorités nationales concurrentes.
Alors que la délégation de la ministre Anand poursuit sa tournée soigneusement orchestrée, une chose devient claire: les ambitions indo-pacifiques du Canada sont finalement passées des documents politiques aux tampons de passeport. Le travail plus ardu de transformer la présence en influence ne fait que commencer.