Alors que le soleil se couchait sur la mine 777 de Hudbay dans le nord du Manitoba, les travailleurs se sont rassemblés pour ce qui pourrait être leur dernier grand envoi avant que tout ne change. L’équipe composée principalement de vétérans semblait inhabituellement silencieuse, digérant une nouvelle qui avait voyagé de Washington jusqu’à ce avant-poste canadien isolé en un temps record.
« On a déjà traversé des cycles difficiles, mais des tarifs ciblés? C’est une tout autre affaire, » confie James Kelleher, directeur des opérations, sa voix à peine audible par-dessus le grondement des machines. « Un tarif de 50%, c’est pratiquement une condamnation à mort pour nos contrats américains. »
L’annonce par l’ancien président Trump d’un projet de tarif de 50% sur les importations de cuivre a envoyé des ondes de choc à travers l’industrie nord-américaine des métaux, particulièrement au Canada, qui a exporté environ 3,7 milliards de dollars en produits de cuivre vers les États-Unis l’an dernier. Le tarif proposé, que Trump a annoncé comme applicable à tous les pays, représente l’une des actions commerciales les plus agressives envisagées ces dernières années.
Les dirigeants des sociétés minières canadiennes se sont réunis hier en sommet virtuel d’urgence pour tenter d’évaluer les conséquences. Les projections initiales de l’Association minière du Canada suggèrent que ce tarif pourrait éliminer jusqu’à 7 000 emplois directs à travers le pays et potentiellement compromettre 11,5 milliards de dollars d’investissements miniers actuellement prévus pour les cinq prochaines années.
« Il ne s’agit pas seulement du choc immédiat sur les prix du cuivre, » explique Vera Chen, analyste des métaux chez Moody’s. « Les effets secondaires se répercutent sur la fabrication, la construction, et particulièrement le secteur des technologies vertes, où le cuivre est essentiel pour tout, des batteries de VÉ aux éoliennes. »
L’annonce survient à un moment particulièrement amer pour le secteur canadien du cuivre, qui connaissait une renaissance stimulée par la demande mondiale de véhicules électriques et d’infrastructures d’énergie renouvelable. Le rapport sur les minéraux et métaux dans la transition énergétique de Ressources naturelles Canada avait projeté une croissance de la demande de cuivre de 350% d’ici 2040 pour soutenir les initiatives climatiques.
Depuis sa résidence de Mar-a-Lago, Trump a présenté cette mesure comme une protection des intérêts miniers américains et une revitalisation de l’industrie nationale. « Ils profitent de nous depuis des années, déversant leur cuivre ici pendant que nous fermons nos mines. C’est fini. Les mineurs américains auront des emplois américains pour produire du cuivre américain, » a-t-il déclaré dans des remarques qui contredisent les réalités actuelles du marché.
Les experts de l’industrie notent que la production américaine ne couvre qu’environ 23% de la demande intérieure en cuivre, le reste devant nécessairement être importé. Même avec des permis accélérés et des investissements renouvelés, la capacité nationale ne pourrait réalistement pas remplacer les volumes d’importation avant au moins 8 à 10 ans, selon la dernière évaluation des ressources de l’U.S. Geological Survey.
Pris dans ce feu croisé politique, les responsables canadiens ont entamé des consultations d’urgence avec l’industrie et les gouvernements provinciaux. La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a qualifié la proposition de « fondamentalement incompatible avec la nature intégrée des chaînes d’approvisionnement nord-américaines » et a promis une « réponse tous azimuts » si elle était mise en œuvre.
En arpentant le périmètre du Harbour Centre de Vancouver, où plusieurs grandes sociétés minières maintiennent des bureaux, l’ambiance parmi les dirigeants est morose. « Nous avons passé des décennies à construire un marché nord-américain des métaux intégré, » déplore Raymond Larouche, vice-président des opérations chez TransNorth Metals. « On ne peut pas simplement démanteler ça d’un trait de plume sans causer de graves dommages aux deux économies. »
Le tarif potentiel menace particulièrement plusieurs communautés minières du nord de la Colombie-Britannique, du Québec et de l’Ontario, où les exploitations de cuivre constituent l’épine dorsale économique. À Rouyn-Noranda, au Québec, la mairesse Diane Dallaire a déjà demandé des réunions d’urgence avec les responsables provinciaux pour discuter de plans d’urgence si le tarif se concrétisait.
La proposition a créé d’étranges alliances, les fabricants américains se joignant aux mineurs canadiens dans leur opposition. L’Association des fabricants américains estime que le tarif ajouterait environ 12,6 milliards de dollars annuellement aux coûts de production américains dans des secteurs allant de la construction à l’électronique, éliminant potentiellement plus d’emplois qu’il n’en créerait.
« Ce n’est pas seulement un problème canadien, » explique Keith Wilkins, économiste à la Chambre de commerce américaine. « Quand on gonfle artificiellement les coûts des intrants de 50%, on rend des secteurs entiers de fabrication non compétitifs à l’échelle mondiale. Les chiffres ne fonctionnent tout simplement pas. »
De retour à la mine 777 au Manitoba, les travailleurs font face à des choix difficiles. Sarah Montrose, technicienne souterraine, a déjà mis sa maison en vente. « Ma famille travaille dans les mines depuis trois générations. Nous savons ce qui se passe quand les politiques changent du jour au lendemain, » dit-elle en retirant son casque à la fin de son quart. « Mieux vaut prendre les devants que d’être la dernière à essayer de vendre quand tout le monde quitte la ville. »
Les représentants commerciaux canadiens ont commencé à préparer d’éventuelles mesures de représailles, bien que la plupart des analystes croient que la négociation reste l’approche privilégiée. « La nature intégrée de nos économies signifie que des représailles ciblées pourraient être assez efficaces, » note l’ancien négociateur commercial canadien Michael Wilson. « Mais les dommages économiques seraient importants des deux côtés de la frontière. »
Alors que les marchés s’ajustent à cette annonce, le prix du cuivre sur les marchés mondiaux est devenu de plus en plus volatile, les algorithmes de trading peinant à intégrer le risque politique face à la demande fondamentale. Pendant ce temps, dans les communautés minières à travers le Canada, les familles attendent anxieusement de savoir si des décennies d’intégration continentale vont s’effondrer avec une seule décision politique.