Alors que le soleil de fin d’après-midi projette de longues ombres sur les rues urbaines d’Ottawa, le contraste entre le chaos de l’heure de pointe et la tranquillité des quartiers n’a jamais été aussi prononcé. Debout à l’intersection d’Elgin et Laurier, j’observe les cyclistes qui se faufilent entre les VUS tandis que les piétons traversent prudemment des passages pour piétons qui ressemblent plus à des suggestions qu’à de véritables mesures de sécurité.
« Je marche sur ce trajet depuis vingt ans, » confie Marion Fitzgerald, 67 ans, serrant fermement ses sacs d’épicerie. « Ces temps-ci, je retiens mon souffle à chaque traversée. Ce n’est pas ainsi que ça devrait être dans notre capitale. »
L’anxiété de Marion n’est pas un cas isolé. Partout au Canada, une coalition grandissante d’organisations communautaires, de défenseurs de la sécurité et d’urbanistes se rallient derrière ce qu’ils appellent l’Initiative pour des rues plus sécuritaires Canada – un mouvement populaire qui gagne un élan remarquable tant dans les centres urbains que dans les petites communautés comme Niagara-on-the-Lake.
Les dernières données de Transports Canada montrent que les décès de piétons ont augmenté de 24% entre 2019 et 2022, les usagers vulnérables – aînés, enfants et cyclistes – supportant le fardeau disproportionné de ces statistiques. Ce ne sont pas que des chiffres; ils représentent des vies canadiennes à jamais changées par des incidents évitables.
« Nous avons créé une culture du transport qui privilégie la vitesse des véhicules au détriment de la sécurité humaine, » explique Dr. Miriam Chen, chercheuse en sécurité urbaine à l’École d’urbanisme de l’Université Ryerson. « L’Initiative pour des rues plus sécuritaires vise fondamentalement à rééquilibrer cette équation. »
Ce qui distingue ce mouvement des campagnes de sécurité précédentes, c’est son approche globale. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur le comportement des conducteurs ou l’infrastructure, les défenseurs préconisent un changement culturel dans notre façon de concevoir les espaces partagés.
À Winnipeg, l’initiative a réussi à faire pression pour réduire les limites de vitesse dans les quartiers résidentiels, entraînant une réduction de 17% des blessures graves chez les piétons selon les données de la Société d’assurance publique du Manitoba publiées en mars dernier. Le succès de la province offre un modèle pour les communautés à travers le pays.
« Il ne s’agit pas d’être anti-voiture, » affirme Thomas Williams, porte-parole du chapitre ottavien de l’initiative. « Il s’agit de concevoir des communautés où tous les modes de transport peuvent coexister en toute sécurité. Cela pourrait signifier repenser la conception des rues, les limites de vitesse et, oui, nos responsabilités individuelles en tant qu’usagers de la route. »
Dans mes conversations avec les dirigeants municipaux, j’ai remarqué une évolution des perspectives. Là où les mesures d’apaisement de la circulation étaient autrefois considérées comme des obstacles à un transport efficace, on reconnaît de plus en plus que sécurité et mobilité ne sont pas des intérêts concurrents mais complémentaires.
Lors d’une récente assemblée publique à Burlington, la mairesse Marianne Meed Ward a reconnu cette évolution de la pensée: « Nous avons hérité de conceptions de rues d’une époque où déplacer les véhicules rapidement était l’objectif principal. Les recherches actuelles nous montrent que les rues conçues pour les personnes – toutes les personnes – fonctionnent en réalité mieux pour tout le monde, y compris les conducteurs. »
L’argument économique est tout aussi convaincant. Transports Canada estime que les collisions routières coûtent à notre économie environ 25 milliards de dollars annuellement en coûts de soins de santé, perte de productivité et dommages matériels. Les communautés qui ont investi dans des mesures de sécurité complètes rapportent des économies significatives à long terme.
Mais au-delà des dollars et des cents, ce mouvement témoigne de quelque chose de plus fondamental concernant les valeurs canadiennes. Voulons-nous des communautés où les enfants peuvent marcher en sécurité jusqu’à l’école? Où les aînés maintiennent leur indépendance sans craindre chaque traversée de rue? Où le handicap ne signifie pas l’exclusion de l’espace public?
L’Initiative pour des rues plus sécuritaires a trouvé des alliés inattendus parmi les associations commerciales locales. Dans le North End d’Halifax, les commerçants initialement réticents à la réduction du stationnement et des limites de vitesse ont découvert que les rues favorables aux piétons augmentaient en fait la circulation piétonnière et les dépenses des consommateurs de près de 23%, selon l’association d’amélioration des affaires du district.
« Quand les gens se sentent en sécurité en marchant ou en faisant du vélo, ils sont plus susceptibles de s’arrêter et de magasiner, » explique Jennifer Morrison, propriétaire d’une librairie dans le secteur. « Ils remarquent des devantures qu’ils auraient pu manquer en conduisant. Ils font des achats spontanés. Il y a un aspect de construction communautaire qui profite à tous. »
Cet avantage économique s’étend au-delà du commerce de détail. Les valeurs immobilières dans les quartiers dotés d’infrastructures favorables aux piétons surpassent constamment celles des zones comparables axées principalement sur la circulation des véhicules, un modèle documenté par l’Association canadienne de l’immobilier dans son analyse de marché 2022.
Tout le monde n’accueille pas ces changements à bras ouverts. Dans les petites communautés particulièrement, la résistance provient souvent de préoccupations concernant les ressources limitées et la perception que les mesures de sécurité pourraient entraver les temps de réponse d’urgence.
« Nous avons entendu ces préoccupations dans notre communauté, » admet le conseiller David Wolk de Niagara-on-the-Lake. « Mais quand nous avons mis en œuvre des projets pilotes et collecté des données, nous avons constaté qu’une conception réfléchie des rues améliorait en fait l’accès d’urgence tout en rendant les déplacements quotidiens plus sûrs pour tous. »
Le gouvernement fédéral en a pris note. L’annonce l’automne dernier du Fonds pour le transport actif de 280 millions de dollars représente un investissement sans précédent dans l’infrastructure soutenant la marche, le vélo et autres transports à propulsion humaine. Les communautés participant à l’Initiative pour des rues plus sécuritaires sont particulièrement bien placées pour accéder à ces fonds, ayant déjà élaboré des plans de sécurité complets.
Comme l’a souligné le ministre fédéral des Transports Omar Alghabra lors de l’annonce du financement, « Il ne s’agit pas seulement de construire des pistes cyclables ou d’élargir des trottoirs. Il s’agit de réimaginer comment les Canadiens se déplacent dans leurs communautés pour les générations à venir. »
Les responsables de la santé publique sont également devenus de puissants défenseurs. La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, a récemment souligné le lien entre le transport actif et les résultats en matière de santé de la population, notant que les communautés avec des taux plus élevés de marche et de cyclisme rapportent constamment des taux plus bas de maladies chroniques.
Alors que la soirée s’assombrit sur la rue Elgin, j’observe des familles rentrant de sorties au restaurant, de jeunes professionnels sur des trottinettes électriques partagées, et des cyclistes-livreurs équilibrant précairement des commandes alimentaires emballées. La chorégraphie du mouvement urbain continue autour de moi, un ballet quotidien exécuté sur une infrastructure qui semble souvent décennies derrière nos besoins réels.
Ce que l’Initiative pour des rues plus sécuritaires offre ultimement, c’est une vision des communautés canadiennes où cette danse devient moins dangereuse – où l’infrastructure reflète nos valeurs communes d’inclusion, de sécurité et de bien-être communautaire.
Marion Fitzgerald, attendant toujours patiemment au passage piéton, l’exprime simplement: « J’ai vécu assez longtemps pour voir comment nous avons changé notre façon de penser concernant le tabagisme dans les lieux publics et la conduite en état d’ébriété. Peut-être est-il temps que nous changions notre façon de penser concernant la sécurité routière aussi. Certains changements sont tout simplement logiques. »
En regardant les visages autour de moi – divers en âge, capacité et situation – il est difficile de ne pas être d’accord avec sa sagesse. Peut-être que la véritable mesure de nos communautés n’est pas la rapidité avec laquelle nous pouvons les traverser, mais la sécurité avec laquelle nous pouvons les partager.