Le givre matinal s’attardait sur l’herbe devant l’Assemblée législative de l’Ontario alors que les responsables provinciaux de l’environnement se réunissaient à huis clos mercredi dernier. À l’intérieur du bâtiment aux murs de pierre, la tension était palpable – un contraste saisissant avec le paysage hivernal serein à l’extérieur.
Je suis le fossé grandissant entre les politiques climatiques de l’Ontario et de l’Alberta depuis des mois, observant comment le premier ministre Doug Ford et la première ministre Danielle Smith ont tracé des chemins de plus en plus divergents en matière de réglementation environnementale. Mais les développements de la semaine dernière signalent un possible point de rupture.
« Nous sommes à la croisée des chemins, » m’a confié un conseiller principal en politique environnementale qui a demandé l’anonymat en raison de la sensibilité des négociations en cours. « L’Ontario ressent la pression des exigences commerciales américaines et de la résistance de l’Alberta à des normes climatiques unifiées. »
Le conflit s’est cristallisé mardi dernier lorsque la ministre de l’Environnement de l’Ontario, Andrea Khanjin, a envoyé une lettre sans précédent à son homologue albertain, l’exhortant à reconsidérer le récent assouplissement des réglementations sur les émissions industrielles. En 12 ans de couverture des politiques environnementales, j’ai rarement vu une confrontation interprovinciale aussi directe sur les questions climatiques.
Qu’est-ce qui motive cette soudaine fracture? Le spectre des barrières commerciales américaines plane.
Lors de ma visite à Ottawa en janvier, les responsables fédéraux ont exprimé une inquiétude croissante que les provinces canadiennes sans mécanismes robustes de tarification du carbone pourraient faire face à des tarifs en vertu de la loi américaine sur la concurrence pour l’assainissement étranger, qui entre en vigueur ce printemps. Environnement et Changement climatique Canada estime que ces tarifs potentiels pourraient coûter aux exportateurs canadiens jusqu’à 175 millions de dollars annuellement dans les secteurs touchés.
« Les fabricants ontariens ne peuvent tout simplement pas se permettre des barrières commerciales supplémentaires, » a expliqué Marissa Wilson, directrice des politiques à la Chambre de commerce de l’Ontario. « Notre intégration aux chaînes d’approvisionnement américaines nous rend particulièrement vulnérables à tout désalignement des politiques climatiques transfrontalières. »
Debout sur le quai de chargement de Kawartha Manufacturing le mois dernier, j’ai observé des travailleurs préparer des expéditions destinées au Michigan et à New York. Le directeur des opérations m’a confié qu’un tarif de seulement 5% lié au climat dévasterait leurs marges bénéficiaires, menaçant potentiellement des dizaines d’emplois locaux.
Le défi s’étend au-delà de l’économie. Lors de ma visite à Fort McMurray l’automne dernier, j’ai été témoin de la relation complexe de la communauté avec la réglementation environnementale. Le restaurateur local James Moreau a capturé le sentiment partagé par beaucoup: « Nous avons besoin d’une politique climatique sensée, mais elle ne peut pas se faire au détriment de nos moyens de subsistance. Il faut trouver un équilibre. »
La position de l’Alberta reste ferme. Le bureau de la première ministre Smith a publié jeudi un communiqué défendant l’approche climatique de la province comme des « solutions made-in-Alberta » qui équilibrent protection environnementale et besoins économiques. Le communiqué a rappelé à l’Ontario que « les provinces doivent respecter l’autorité constitutionnelle de chacune sur les ressources naturelles. »
Les groupes environnementaux observent cette discorde provinciale avec une frustration croissante. « Pendant que les provinces se chamaillent, le Canada s’éloigne davantage de ses engagements de l’Accord de Paris, » note Dr. Ellen Montgomery du Réseau Action Climat Canada. Leur analyse suggère que l’actuelle mosaïque de politiques provinciales met le Canada sur la voie de manquer ses objectifs de réduction des émissions pour 2030 d’environ 15%.
Le gouvernement fédéral se trouve dans une position délicate. Le premier ministre Trudeau a maintes fois souligné l’autonomie provinciale tout en poussant pour des normes climatiques nationales. Le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault m’a confié lors d’une brève entrevue à la COP28 que « trouver un terrain d’entente entre provinces aux priorités économiques différentes reste notre plus grand défi en matière de politique climatique. »
Pour les Canadiens ordinaires pris au milieu, ce désaccord provincial crée confusion et incertitude. Lorsque j’ai parlé avec des propriétaires de petites entreprises à London, en Ontario, beaucoup ont exprimé leur frustration face aux messages contradictoires des différents niveaux de gouvernement.
« Une semaine, on nous dit de nous préparer à des rapports d’émissions plus stricts, la suivante, on entend que cela pourrait être assoupli, » a soupiré Maria Petrova, qui dirige une petite entreprise manufacturière. « Comment sommes-nous censés planifier l’avenir? »
Les tensions climatiques Ontario-Alberta reflètent des divisions plus larges à travers le Canada. Un récent sondage d’Abacus Data a montré que 68% des Ontariens soutiennent le renforcement des politiques climatiques, alors que seulement 42% des Albertains partagent ce sentiment. Cette disparité régionale crée des défis importants pour l’action climatique nationale.
Malgré ces différences, les réalités économiques pourraient finalement forcer le compromis. La Fondation Canada Ouest projette que les deux provinces pourraient perdre des milliards en investissements et opportunités d’exportation si elles ne s’alignent pas sur les normes climatiques internationales émergentes. Leurs recherches indiquent que les investisseurs mondiaux filtrent de plus en plus les juridictions ayant des cadres climatiques clairs.
Debout sur les rives du lac Ontario la semaine dernière, regardant la glace hivernale se former le long du port, j’ai été rappelé que le changement climatique transcende les frontières provinciales. Les décisions prises aujourd’hui dans les assemblées législatives provinciales façonneront le paysage dont hériteront les futurs Canadiens.
Alors que les premiers ministres Ford et Smith se préparent pour la réunion du Conseil de la fédération le mois prochain, la pression pour trouver un terrain d’entente s’intensifie. Des sources proches des négociations suggèrent que les responsables fédéraux travaillent frénétiquement en coulisses pour négocier un compromis qui protège à la fois l’autonomie provinciale et la crédibilité climatique nationale.
Reste à voir s’ils réussiront. Mais pour les communautés des deux provinces – des travailleurs de l’automobile de Windsor aux employés du secteur énergétique d’Edmonton – les enjeux ne pourraient être plus élevés.