Le brouillard matinal flotte comme un rideau de soie au-dessus de la rivière Kicking Horse tandis que j’observe les premiers rayons de soleil caresser les sommets des montagnes Purcell. Il est 6h30 à Golden, en Colombie-Britannique, et déjà j’entends le grondement lointain du Canadien Pacifique—un son qui définit ce paysage depuis la fin des années 1800, quand les guides suisses sont arrivés pour aider à cartographier ces imposants massifs.
« Nous ne vivons pas simplement dans les montagnes—nous vivons avec elles, » me confie Elena Haig-Anderson, dont l’arrière-grand-père faisait partie des guides suisses originaux qui se sont établis dans la région. Nous partageons un café au Bistro Whitetooth Mountain, où les fenêtres encadrent des vues qu’on pourrait facilement confondre avec les Alpes. « Ma famille est ici depuis quatre générations, mais quand les visiteurs passent, ils nous demandent encore si nous venons de Suisse. »
Cette confusion est compréhensible. Golden est nichée entre six chaînes de montagnes dans la vallée de Columbia, présentant une ressemblance frappante avec certains cantons suisses. L’influence européenne est indéniable—des bâtiments à colombages qui parsèment le centre-ville revitalisé aux soirées fondue devenues incontournables dans les restaurants locaux.
Je suis venue à Golden pour explorer ce que Tourisme C.-B. commercialise discrètement comme la « Petite Suisse », une destination qui offre d’authentiques expériences alpines sans le vol transatlantique. Ce que je découvre est une ville profondément connectée à son patrimoine d’alpinisme tout en forgeant sa propre identité canadienne distincte.
Au Musée et Archives de Golden, le conservateur Ryan Bavin me montre des photographies en noir et blanc des guides suisses arrivés entre 1899 et 1954. Ces hommes, recrutés par le Canadien Pacifique, étaient chargés de guider les touristes fortunés à travers les Rocheuses pendant les années d’expansion du chemin de fer.
« Le CP était brillant, » explique Bavin. « Ils avaient besoin que ces montagnes soient accessibles aux touristes fortunés, mais aussi qu’elles soient perçues comme suffisamment exotiques et stimulantes pour justifier le voyage. » La solution: importer des guides de montagne professionnels de Suisse qui pouvaient mener en toute sécurité les visiteurs à travers la réponse canadienne aux Alpes.
L’influence suisse s’est étendue au-delà du guidage. Plusieurs guides se sont mariés localement et sont restés, apportant des styles architecturaux, une cuisine et des traditions culturelles qui ont transformé Golden d’un simple arrêt ferroviaire en une communauté montagnarde aux sensibilités européennes.
Cette histoire s’incarne physiquement dans l’iconique pont piétonnier à colombages qui enjambe la rivière Kicking Horse. Construit en 2001 avec l’aide d’une guilde de charpentiers venue de toute l’Amérique du Nord, ce pont couvert de 45 mètres a été conçu par l’expert allemand Jürgen Rüdinger. Il relie le centre historique aux nouveaux développements et sert d’espace de rassemblement communautaire qui honore les traditions européennes de construction.
« Nous aurions pu construire un simple pont métallique, » explique Joanne Sweeting, directrice exécutive de Tourisme Golden. « Mais cela n’aurait pas reflété qui nous sommes. Ce pont raconte notre histoire—le mélange de l’artisanat européen avec les matériaux canadiens et l’esprit communautaire. »
Cet esprit est particulièrement évident à la station de ski Kicking Horse, où je retrouve Éric Rochon, moniteur de ski local de longue date. Alors que nous prenons la télécabine jusqu’à 2 350 mètres d’altitude pour rejoindre le restaurant Eagle’s Eye—l’établissement le plus haut du Canada—Rochon me fait remarquer le terrain distinctif qui rend Golden unique parmi les destinations de ski nord-américaines.
« Ce que nous avons ici est très européen, » explique-t-il pendant que nous montons au-dessus de la limite des arbres. « Des cuvettes abruptes, des lignes de pente naturelles et des couloirs qui seraient à leur place dans les Alpes. Mais nous avons aussi ce truc canadien—l’espace. Même les jours d’affluence, on peut trouver des pistes fraîches et de la solitude. »
Le développement de la station au début des années 2000 a marqué un tournant pour Golden, attirant l’attention internationale sur une ville qui était auparavant éclipsée par Banff et Lake Louise. Aujourd’hui, la station offre 1 375 hectares de terrain skiable et a contribué à établir Golden comme une destination plutôt qu’un lieu de passage.
Selon les données de Destination BC, le tourisme dans la région des Kootenay Rockies, qui inclut Golden, a augmenté d’environ 23% depuis 2015, avec une croissance particulière des visiteurs internationaux à la recherche d’expériences montagnardes authentiques.
Mais la culture alpine de Golden s’étend au-delà du ski. La ville est située au confluent des rivières Columbia et Kicking Horse, ce qui en fait une destination privilégiée pour les eaux vives. Elle est entourée de cinq parcs nationaux, offrant d’exceptionnelles possibilités de randonnée, de vélo de montagne et d’observation de la faune. Le sanctuaire des zones humides à proximité abrite plus de 15 espèces de sauvagine et 95 espèces d’oiseaux au total.
Pour ceux qui recherchent une expérience suisso-canadienne par excellence, Alpine Helicopters propose des excursions d’héli-randonnée vers des prairies alpines isolées qui fleurissent spectaculairement de juillet à septembre. Ces prairies, remplies de lys des glaciers, de castilléjies et de bruyères de montagne, créent des tapis de couleurs sur fond de sommets enneigés.
« Quand nous amenons les gens là-haut, ils sont souvent émus, » raconte la pilote Sarah Jenkins. « Il y a quelque chose dans ces prairies qui vous connecte à la fois à la fragilité et à la permanence de ces montagnes. »
Cette dualité—l’équilibre délicat entre préservation et accès—est quelque chose que Golden a soigneusement négocié. Contrairement à certaines villes de montagne qui se sont complètement abandonnées au tourisme, Golden conserve une âme ouvrière ancrée dans la foresterie, le chemin de fer et les petites entreprises.
Au Wolf’s Den, un restaurant logé dans un bâtiment patrimonial de 1911, je rencontre James McKnight, un bûcheron de troisième génération dont la famille a été témoin de l’évolution de Golden. Autour d’hamburgers d’orignal sourcés localement, il réfléchit à la transformation de la ville.
« Il y a vingt ans, nous n’aurions pas eu d’endroits comme celui-ci, » dit-il en désignant la salle à manger au style rustique-chic. « Mais les changements ont été majoritairement positifs. Le tourisme a apporté des opportunités sans complètement changer qui nous sommes. »
Ce sentiment fait écho dans toute la ville, où le raffinement européen coexiste avec le pragmatisme canadien. Chez Bacchus Books & Café, je parcours une impressionnante sélection de littérature d’alpinisme tout en sirotant un espresso expertement préparé. De l’autre côté de la rue, Mountain Goodness Natural Foods propose des produits biologiques à côté d’équipements pour les aventures en arrière-pays.
Alors que le soleil se couche derrière les Purcells lors de ma dernière soirée, je rejoins un petit rassemblement à la Whitetooth Brewing Company. Nommée d’après la colline de ski locale qui a précédé la station Kicking Horse, la brasserie produit des bières d’inspiration belge et west coast qui ont acquis une reconnaissance nationale.
« Nous n’essayons pas de recréer la Suisse, » explique le cofondateur Kent Donaldson. « Nous célébrons ce que Golden est devenue—un endroit où les traditions européennes rencontrent l’innovation canadienne, le tout entouré de montagnes qui nous rappellent quotidiennement notre humilité. »
C’est peut-être cette humilité face à la grandeur naturelle qui définit le mieux le charme particulier de Golden. Comme ses prédécesseurs suisses qui reconnaissaient à la fois la beauté et le danger de ces sommets, Golden embrasse son cadre alpin avec révérence et pragmatisme.
En levant mon verre de Blower Pow IPA primée de la brasserie avec mes nouveaux amis, je réalise que Golden offre quelque chose de plus en plus rare dans le tourisme de montagne—l’authenticité. C’est un endroit où le patrimoine suisse n’est ni un gadget marketing ni une note de bas de page historique, mais plutôt une tradition vivante qui continue d’évoluer de façon distinctement canadienne.
Le lendemain matin, alors que mon train s’éloigne de la gare, j’aperçois une dernière fois le pont en bois qui enjambe la rivière, représentant à la fois un lien avec le passé et un chemin vers l’avenir—tout comme Golden elle-même.