Les chefs des Premières Nations de l’Ontario ont vivement critiqué Ottawa cette semaine, qualifiant l’approche du gouvernement fédéral en matière de développement des infrastructures autochtones via le projet de loi C-5 de profondément défectueuse et potentiellement nuisible pour leurs communautés.
Lors d’une assemblée spéciale à Toronto, les chefs de toute la province ont exprimé leur frustration croissante face à ce qu’ils décrivent comme un processus de consultation qui est loin de respecter les obligations constitutionnelles du gouvernement envers les Premières Nations.
« Ce n’est pas un partenariat – c’est le même manuel colonial avec une nouvelle couverture, » a déclaré le chef régional de l’Ontario Glen Hare lors de la réunion de mardi. « Le projet de loi C-5 propose de créer des systèmes qui prendront des décisions concernant nos terres et nos ressources sans garantir que nos droits inhérents soient protégés. »
La législation, officiellement intitulée Modification à la Loi sur la Banque d’infrastructure du Canada, vise à restructurer la façon dont les grands projets d’infrastructure sont réalisés dans les communautés autochtones. Les responsables fédéraux l’ont présentée comme une approche transformatrice qui simplifierait le financement et accélérerait le développement dans les communautés confrontées à d’importantes lacunes en matière d’infrastructure.
Mais les chefs présents à l’assemblée ont dressé un tableau nettement différent.
« Plusieurs de nos communautés manquent encore d’eau potable, d’électricité fiable et de logements adéquats, » a souligné la cheffe Laurie Carr de la Première Nation Hiawatha. « Avant de créer de nouvelles structures bureaucratiques, peut-être faudrait-il tenir les promesses déjà faites pour répondre à ces droits humains fondamentaux. »
L’assemblée a mis en évidence plusieurs préoccupations fondamentales concernant la législation. Les leaders des Premières Nations soutiennent que le projet de loi crée de nouveaux mécanismes d’approbation qui pourraient potentiellement contourner les obligations issues des traités et le devoir de consulter. Ils ont également critiqué le modèle de financement proposé comme étant inadéquat compte tenu de l’ampleur des besoins en infrastructure dans les communautés autochtones.
Les données de Services aux Autochtones Canada montrent un déficit d’infrastructure actuel dépassant les 30 milliards de dollars dans les communautés des Premières Nations. Cela inclut 31 avis concernant l’eau potable à long terme toujours en vigueur malgré la promesse du gouvernement de mettre fin à tous ces avis d’ici mars 2021.
Les analystes financiers de l’Assemblée des Premières Nations estiment que la structure de financement proposée par le projet de loi C-5 ne répondrait qu’à moins de 8 % des besoins actuels en infrastructure tout en créant potentiellement de nouveaux obstacles à l’accès au capital.
La ministre des Services aux Autochtones Patty Hajdu a défendu la législation dans une déclaration publiée mercredi, affirmant que le gouvernement « demeure engagé à travailler en collaboration avec les partenaires des Premières Nations » et que le projet de loi « crée de nouvelles voies pour le développement dirigé par les Autochtones. »
Cependant, cette position a été rapidement contestée par le chef Mark Hill des Six Nations de la rivière Grand, qui a participé aux consultations préliminaires sur le projet de loi.
« J’étais présent à ces réunions, et les appeler des consultations est exagéré, » a déclaré Hill. « Nous avons fourni des commentaires détaillés qui n’apparaissent nulle part dans la version actuelle. Une véritable consultation signifie que notre contribution façonne réellement le résultat, pas simplement cocher une case. »
Ce différend représente un nouveau chapitre dans la relation complexe entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations. Le premier ministre Justin Trudeau est arrivé au pouvoir en 2015 en promettant une « relation renouvelée de nation à nation » avec les peuples autochtones, mais les critiques affirment que cet engagement a donné des résultats mitigés au mieux.
Un récent sondage d’Abacus Data montre que 67 % des Canadiens estiment que le gouvernement fédéral n’a pas réalisé de progrès significatifs en matière de réconciliation avec les Autochtones, les lacunes en matière d’infrastructure étant fréquemment citées comme preuve de cet échec.
L’assemblée a adopté une résolution exigeant que le gouvernement fédéral suspende la progression du projet de loi C-5 au Parlement jusqu’à ce qu’un processus de consultation plus robuste puisse être établi. Les chefs demandent des négociations directes avec les ministres du Cabinet et des équipes techniques pour remédier aux lacunes de la législation.
« Nous ne nous opposons pas au développement – nous nous opposons à être développés sans notre consentement, » a expliqué le chef Melvin Hardy de Biinjitiwaabik Zaaging Anishinaabek. « Nos communautés ont désespérément besoin d’investissements, mais selon des conditions qui respectent notre souveraineté et notre vision de l’avenir. »
Les chefs sont particulièrement préoccupés par les sections du projet de loi qui créeraient une nouvelle Autorité des infrastructures autochtones dotée de larges pouvoirs pour approuver des projets, mais avec des exigences limitées en matière de représentation de la gouvernance des Premières Nations.
Les documents parlementaires montrent que le projet de loi C-5 est actuellement prévu pour une deuxième lecture le mois prochain, bien que des sources gouvernementales s’exprimant sous couvert d’anonymat suggèrent qu’il pourrait y avoir une ouverture à des amendements suite aux réactions négatives de cette semaine.
Des analyses économiques du Centre canadien de politiques alternatives indiquent que répondre aux besoins en infrastructure des Premières Nations pourrait générer d’importants avantages économiques, créant potentiellement plus de 100 000 emplois à l’échelle nationale tout en améliorant les conditions de vie dans des communautés qui comptent parmi les populations les plus jeunes et à la croissance la plus rapide du Canada.
« L’ironie, c’est que nous voulons en fait le même résultat que le gouvernement – des communautés durables et résilientes, » a déclaré le chef régional Hare. « Mais le chemin pour y arriver ne peut pas contourner nos droits. C’est une leçon que le Canada devrait avoir apprise maintenant. »
Alors que les législateurs fédéraux se préparent à débattre du projet de loi, les chefs de l’Ontario ont clairement indiqué qu’ils s’attendent à des changements substantiels avant d’apporter leur soutien à tout nouveau cadre d’infrastructure.