Le petit timbre-poste — un simple carré de 35 mm — présente une image saisissante : une famille de quatre personnes en silhouette contre une clôture de barbelés. Dans ce design d’une simplicité trompeuse, Postes Canada a cristallisé l’une des histoires les plus douloureuses de notre nation, une histoire que de nombreux Canadiens n’ont jamais apprise.
La semaine dernière, je me tenais dans une salle de réunion ensoleillée au siège de Postes Canada à Ottawa alors que la société d’État dévoilait son timbre commémoratif 2025 reconnaissant les opérations d’internement qui ont touché des milliers de civils au Canada pendant la Première Guerre mondiale. Entre 1914 et 1920, plus de 8 500 personnes ont été déplacées de force vers 24 camps d’internement à travers le pays, notamment dans l’intérieur de la Colombie-Britannique et dans des régions reculées du nord de l’Ontario.
« Ce timbre représente la reconnaissance d’un chapitre sombre dont beaucoup de Canadiens ne savent rien, » affirme Lubomyr Luciuk, qui m’accompagnait lors du dévoilement. En tant que membre fondateur de l’Association ukrainienne-canadienne des libertés civiles, Luciuk a passé plus de trois décennies à plaider pour la reconnaissance des opérations d’internement. « Mon propre grand-père a évité de justesse l’internement en fuyant aux États-Unis. »
La majorité des internés étaient des immigrants ukrainiens qui avaient été invités au Canada avec des promesses de liberté et de prospérité, pour être ensuite étiquetés comme « ressortissants ennemis » lorsque la guerre a éclaté. Mais les camps détenaient également des Allemands, des Autrichiens, des Hongrois, des Polonais, des Croates, des Serbes et d’autres personnes originaires des empires austro-hongrois, allemand et ottoman.
À Castle Mountain dans le parc national de Banff, les internés étaient forcés de construire des routes et de défricher des terres dans des conditions difficiles. À Spirit Lake, au Québec (maintenant La Ferme), les familles étaient séparées, les hommes effectuant des travaux pénibles tandis que les femmes et les enfants vivaient dans des quartiers surpeuplés. De nombreux internés ont perdu leur emploi, leurs biens et leurs économies pendant leur confinement.
« Ma mère n’avait que six ans lorsque son père a été emmené, » raconte Mary Manko Haskett, aujourd’hui âgée de 97 ans, que j’ai interviewée par téléphone depuis son domicile montréalais. Son père a été interné à Spirit Lake pendant deux ans. « Ma petite sœur y est morte. Elle n’avait que deux ans et demi. »
Les histoires de survivants comme la famille de Haskett auraient pu être complètement oubliées sans le plaidoyer persistant de la communauté ukrainienne-canadienne. En 2008, le gouvernement canadien a créé le Fonds canadien de reconnaissance de l’internement durant la Première Guerre mondiale avec une dotation de 10 millions de dollars pour soutenir des projets d’éducation et de commémoration. La publication du timbre fait suite à des années de travail du Fonds et des organisations communautaires.
Postes Canada s’est associée au Fonds pour développer le timbre, qui présente une œuvre de l’illustratrice torontoise Jori Bolton. « Nous voulions capturer à la fois la nature institutionnelle de l’internement et son coût humain, » explique Bolton. « La silhouette de la famille contre les barbelés crée cette tension. »
Le design du timbre est particulièrement important car il voyagera à travers le Canada et à l’international, apportant cette histoire aux boîtes aux lettres et aux collections du monde entier. Selon les données de Postes Canada, les timbres commémoratifs atteignent environ 2,5 millions de collectionneurs dans le monde, servant de petits ambassadeurs de l’histoire canadienne.
La Dre Kassandra Luciw, historienne à l’Université de l’Alberta spécialisée dans l’histoire ukrainienne-canadienne, note que l’importance du timbre va au-delà de la reconnaissance des torts passés. « Il s’agit de reconnaître des schémas qui peuvent se répéter, » me dit-elle alors que nous examinons ensemble le design du timbre. « Les opérations d’internement du Canada ont créé un modèle qui a ensuite été utilisé pour l’internement des Canadiens d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. »
En effet, entre 1942 et 1949, environ 22 000 Canadiens d’origine japonaise ont été déplacés de force, beaucoup vers les mêmes installations qui avaient détenu des internés européens des décennies plus tôt. Cet écho historique rend le message du timbre encore plus résonant.
Le moment de l’annonce du timbre — en période de tensions mondiales accrues et de crises migratoires — semble particulièrement pertinent. Statistique Canada rapporte que le Canada a accueilli plus de 437 000 résidents permanents en 2022, dont beaucoup fuyaient des zones de conflit. Les leçons des opérations d’internement parlent directement de la façon dont les nations traitent les populations vulnérables en temps de peur et d’incertitude.
« Ce qui est arrivé à ces internés n’était pas un accident ou une nécessité de guerre, » explique James Karas, directeur exécutif du Musée canadien de l’immigration au Quai 21 à Halifax. « C’était une décision politique basée sur la xénophobie et l’opportunisme économique déguisés en sécurité nationale. »
Les documents de Bibliothèque et Archives Canada révèlent que de nombreux internés étaient utilisés comme main-d’œuvre forcée sur des projets d’infrastructure, notamment le développement du parc national de Banff. Leur travail non rémunéré a créé une valeur estimée à 25 millions de dollars (en dollars d’aujourd’hui) pour le gouvernement canadien.
Pour les descendants des internés, le timbre représente une reconnaissance attendue depuis longtemps. « Mon grand-père n’a jamais parlé de son séjour au camp de Kapuskasing, » raconte Stefan Petelycky, dont le grand-père a été interné pendant près de deux ans. « Ce timbre aide à valider la souffrance qu’il n’a jamais pu exprimer avec des mots. »
Lorsque le timbre entrera en circulation en avril 2025, cela coïncidera avec le 100e anniversaire de la fermeture du dernier établissement d’internement. Les écoles de tout le Canada recevront du matériel éducatif sur l’histoire de l’internement dans le cadre du programme commémoratif.
En quittant la cérémonie de dévoilement, j’ai remarqué une petite vitrine contenant des artefacts des camps : une gamelle rouillée, un fragment de fil barbelé, une carte d’identification en lambeaux. Ces objets, comme le timbre lui-même, servent de rappels physiques d’une injustice historique.
À notre époque de communication numérique, le courrier physique peut sembler de plus en plus obsolète. Pourtant, il y a quelque chose de puissant dans la capacité d’un timbre à se glisser dans la vie quotidienne, à voyager de main en main, transportant non seulement des lettres mais aussi des vérités difficiles sur notre histoire commune.