Je suis arrivé au service des urgences de l’Hôpital général de Vancouver un jeudi matin. Pas comme patient, mais comme journaliste essayant de comprendre ce qui rend notre système de santé – malgré tous ses défauts – remarquablement résistant au type de fraude systémique qui afflige d’autres pays.
« Ce n’est pas que la fraude n’existe pas ici, » m’a dit la Dre Maya Selvan alors que nous passions devant le bureau de triage. « Mais la structure elle-même rend difficile l’exécution de stratagèmes à grande échelle. » Médecin avec 15 ans d’expérience dans les systèmes de santé canadien et américain, Selvan a été témoin de première main de la façon dont différents modèles de financement créent différentes vulnérabilités.
Contrairement au système américain où des milliards sont perdus chaque année dans des stratagèmes de facturation élaborés, la fraude dans le système de santé canadien tend à être de moindre envergure. Les données de Statistique Canada suggèrent que la fraude en soins de santé coûte à notre système entre 1 et 2 milliards de dollars par an – significatif, mais une fraction de ce que des systèmes comparables affrontent.
La raison réside dans une différence structurelle que la plupart des Canadiens tiennent pour acquise.
« Quand vous éliminez le motif de profit de la prestation de base des soins, » explique Danielle Martin, médecin de famille et experte en politique de santé à l’Hôpital Women’s College de Toronto, « vous éliminez beaucoup des incitatifs qui motivent la fraude dans d’autres systèmes. »
J’ai passé trois mois à enquêter sur la façon dont la structure à payeur unique du Canada crée une prévention naturelle contre la fraude. Ce que j’ai trouvé était à la fois encourageant et préoccupant.
À Whitehorse le mois dernier, j’ai rencontré Jennifer Klugie, qui coordonne la facturation pour un réseau de cliniques nordiques. Son bureau – une salle d’examen convertie avec des classeurs et un ordinateur qui semble dater d’une décennie – est l’endroit où les réclamations au régime d’assurance-maladie territorial sont traitées.
« Les formulaires sont simples, » a dit Klugie, en montrant un modèle de facturation standard. « Il y a simplement moins de place pour la créativité comptable quand tout le monde utilise les mêmes codes et que le même payeur examine tout. »
Cette standardisation crée ce que les enquêteurs de fraude appellent des « opportunités de reconnaissance de motifs. » Quand tout le monde facture via le même canal, les anomalies deviennent visibles.
La Loi canadienne sur la santé elle-même sert de dissuasion structurelle. En établissant l’administration publique des services essentiels, elle élimine le réseau complexe d’intermédiaires qui facilitent souvent la fraude ailleurs. Les ministères provinciaux de la Santé supervisent directement le financement, créant moins de mains par lesquelles l’argent passe – et moins d’occasions de détournement.
« C’est comme la différence entre un tuyau d’arrosage et un système d’arrosage, » m’a dit Michael Decter, ancien sous-ministre de la Santé de l’Ontario, autour d’un café à Toronto. « Plus il y a d’endroits par où l’eau peut s’échapper, plus il est difficile de tenir compte de chaque goutte. »
Cela ne veut pas dire que notre système est impénétrable. Les formes les plus courantes de fraude dans les soins de santé canadiens comprennent:
La double facturation, où les fournisseurs facturent à la fois le régime provincial et les patients directement pour des services assurés. Le Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie-Britannique sanctionne plusieurs médecins chaque année pour cette pratique.
La facturation fantôme – facturer des services jamais rendus. Un audit de 2022 par le ministère de la Santé de l’Ontario a identifié environ 10,4 millions de dollars en facturations douteuses de praticiens qui réclamaient des heures ou des procédures physiquement impossibles.
Les stratagèmes de médicaments sur ordonnance impliquant des médicaments détournés vers les marchés de rue. Santé Canada estime que cela coûte au système environ 500 millions de dollars par an.
Au Centre de santé Providence dans le Downtown Eastside de Vancouver, j’ai observé Sara McKnight, une infirmière praticienne, passer en revue les listes de médicaments avec les patients. Le processus semblait fastidieux – vérifier les noms, les dates et les quantités – mais représente l’un des nombreux points de vérification intégrés au système.
« Nous ne cherchons pas explicitement la fraude, » a expliqué McKnight, « mais ces étapes de vérification rendent plus difficile la disparition ou la surprescription de médicaments. »
La centralisation du système permet également des analyses de données sophistiquées. Les Services de santé de l’Alberta ont mis en œuvre un système d’examen des réclamations basé sur l’IA en 2020 qui a déjà identifié des modèles de facturation inhabituels de 28 fournisseurs, menant à des enquêtes plus approfondies.
Ce qui rend les soins de santé canadiens quelque peu uniques, c’est que nos plus grandes vulnérabilités financières proviennent souvent non pas du crime organisé, mais des inefficacités systémiques et du gaspillage administratif.
« L’ironie est que nous sommes bons pour prévenir la fraude pure et simple, » note Ivy Bourgeault, professeure de politique de santé à l’Université d’Ottawa, « mais nous perdons beaucoup plus d’argent en mauvaise coordination, duplication des services et processus administratifs désuets. »
En effet, un rapport de 2021 de l’Institut C.D. Howe estimait que les inefficacités administratives coûtent aux soins de santé canadiens environ 5,4 milliards de dollars par an – près de trois fois ce que nous perdons à cause de la fraude.
Par un après-midi pluvieux à Victoria, j’ai visité le bureau de Colin Fyfe, un ancien enquêteur de crimes financiers de la GRC qui travaille maintenant avec le ministère de la Santé de la C.-B. Son bureau était rempli de dossiers – non pas le travail de réseaux criminels sophistiqués, mais largement des enquêtes sur des praticiens individuels.
« Notre avantage est la centralisation, » a dit Fyfe. « Quand une seule entité paie pour la plupart des services, il est plus facile de repérer l’anormal. Le défi est d’avoir assez d’enquêteurs pour faire le suivi. »
Les provinces varient considérablement dans leur investissement en prévention de la fraude. La RAMQ (Régie de l’assurance maladie du Québec) possède l’une des unités d’enquête les plus robustes, avec plus de 60 employés dédiés. En revanche, certaines provinces plus petites n’ont qu’une poignée d’enquêteurs.
Santé Canada estime que chaque dollar investi dans la prévention de la fraude rapporte entre 7 et 14 dollars en fonds récupérés et pertes évitées – un rendement remarquable qui suggère que nous devrions en faire plus.
Bien que notre structure à payeur unique offre une protection naturelle, les technologies émergentes et l’évolution des modèles de soins présentent de nouveaux défis. Les services de télésanté, qui se sont considérablement développés pendant la pandémie, ont créé des défis de vérification. Comment confirmer qu’une visite virtuelle a réellement eu lieu?
Le ministère de la Santé de l’Ontario a lancé un audit ciblé des facturations de soins virtuels fin 2022, trouvant des modèles préoccupants parmi certains fournisseurs à haut volume. Un médecin avait facturé plus de 400 consultations virtuelles en une seule journée – physiquement impossible s’il fournissait des soins légitimes.
Alors que nous envisageons des réformes pour renforcer les soins de santé canadiens, le maintien d’une prévention robuste de la fraude ne devrait pas être négligé. Les avantages structurels de notre système – paiement centralisé, codification standardisée et surveillance complète – représentent des forces qu’il vaut la peine de préserver même lorsque nous abordons les défis des temps d’attente et d’accès.
Quand j’ai demandé à la Dre Selvan ce qui la maintient au Canada malgré les opportunités de gagner plus ailleurs, sa réponse était révélatrice.
« Dans le système canadien, je me concentre simplement sur les soins aux patients, » a-t-elle dit. « Je n’ai pas besoin d’équipes de spécialistes en facturation ou de m’inquiéter de savoir quel assureur couvre quelle procédure. Cette simplicité ne réduit pas seulement la fraude – elle me permet d’être un meilleur médecin. »
C’est peut-être la plus grande force de notre approche: un système conçu autour des soins plutôt que du profit crée naturellement moins d’incitatifs et d’opportunités d’exploitation. Alors que nous débattons de l’avenir des soins de santé, cela vaut la peine de s’en souvenir.