Je pose le pied sur le quai à Kangiqsualujjuaq, une communauté inuite côtière d’environ 900 personnes dans le Nunavik, la région la plus septentrionale du Québec. L’air vif de septembre porte l’odeur du sel et du diesel tandis que j’attends Jimmy Immaroitok, un chasseur local qui a accepté de me montrer comment les cycles saisonniers changent dans ce coin reculé de la province.
« Les moustiques restent plus longtemps maintenant, » me dit Jimmy, plissant les yeux face au soleil de fin d’après-midi. « Quand j’étais jeune, ils disparaissaient en août. Maintenant, ils sont là jusqu’à l’arrivée de la neige. »
Ce n’est pas simplement une question de confort. L’observation de Jimmy souligne ce que les responsables de la santé québécois suivent avec une inquiétude croissante : les changements climatiques redessinent la carte des maladies transmises par les moustiques dans la province, poussant le virus du Nil occidental dans des zones où il était auparavant inconnu.
Le mois dernier, l’Institut national de santé publique du Québec a signalé la présence de moustiques porteurs du virus du Nil occidental dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue pour la première fois, un développement que la Dre Alejandra Irace-Cima, médecin spécialisée en santé environnementale à l’INSPQ, qualifie de « indicateur clair de l’expansion territoriale du virus. »
La maladie, détectée pour la première fois en Amérique du Nord en 1999, s’est lentement installée dans le sud du Québec au cours des deux dernières décennies. Mais son apparition dans des régions plus nordiques signale une tendance préoccupante directement liée au réchauffement des températures.
« Le virus nécessite un certain nombre de journées chaudes pour compléter son cycle de réplication chez les moustiques, » explique la Dre Ariane Dumas, chercheuse en maladies infectieuses à l’Université Laval, lors de notre entretien téléphonique. « Comme nos étés deviennent plus longs et plus chauds, nous voyons le virus survivre et se reproduire dans des endroits qui étaient auparavant trop froids. »
Le virus du Nil occidental est principalement transmis par des moustiques qui ont piqué des oiseaux infectés. Bien qu’environ 80 % des humains infectés ne présentent aucun symptôme, ceux qui en développent peuvent ressentir de la fièvre, des maux de tête, des douleurs corporelles et, dans de rares cas, des complications neurologiques graves. Pour les personnes âgées et celles dont le système immunitaire est affaibli, le virus peut être mortel.
En Abitibi-Témiscamingue, la direction régionale de santé publique a lancé une campagne de sensibilisation après avoir détecté le virus dans des groupes de moustiques. Les autorités sanitaires conseillent aux résidents de prendre des précautions comme porter des manches longues à l’aube et au crépuscule, utiliser un insectifuge et éliminer les eaux stagnantes où les moustiques se reproduisent.
Ce qui rend cette expansion vers le nord particulièrement préoccupante, c’est sa combinaison avec la géographie unique du Québec et la répartition de ses populations. La province s’étend de la frontière américaine jusqu’au cercle arctique, englobant divers écosystèmes et des dizaines de communautés éloignées où l’accès aux soins de santé est déjà difficile.
« Les communautés les moins équipées pour faire face aux nouvelles menaces sanitaires sont souvent celles qui affrontent maintenant ces risques émergents, » affirme Catherine Girard, une écologiste qui étudie les impacts des changements climatiques sur les environnements du nord du Québec. « De nombreuses communautés éloignées disposent d’installations de soins de santé limitées et peuvent manquer de capacité diagnostique pour des maladies qui n’étaient pas présentes auparavant dans leur région. »
Les données climatiques d’Environnement et Changement climatique Canada montrent que les températures moyennes au Québec ont augmenté d’environ 1,5 degré Celsius depuis 1950, le réchauffement étant plus rapide dans les régions nordiques. Cette tendance au réchauffement prolonge la saison active des moustiques et accélère le cycle de réplication du virus en leur sein.
J’ai pu constater certains de ces changements de première main lors de ma visite dans la communauté crie de Chisasibi, le long de la baie James, l’été dernier. Là-bas, des surveillants environnementaux locaux m’ont montré leur programme de surveillance des moustiques, une initiative communautaire visant à suivre l’évolution des populations d’insectes. Les données qu’ils ont recueillies montrent que les espèces de moustiques apparaissent plus tôt au printemps et restent actives plus tard à l’automne.
« Nos aînés nous racontent des histoires sur des rythmes saisonniers qui ne correspondent tout simplement plus à ce que nous voyons aujourd’hui, » explique Jennifer Wapachee, qui coordonne le programme de surveillance. « Quand ces cycles changent, cela affecte tout, des pratiques de chasse traditionnelles aux nouvelles préoccupations sanitaires auxquelles nous devons nous préparer. »
Le ministère de la Santé du Québec a réagi en élargissant les programmes de surveillance des moustiques, qui comptent maintenant 95 stations de surveillance dans toute la province, contre 61 en 2015. Ces stations collectent des moustiques chaque semaine pendant les mois d’été pour détecter le virus du Nil occidental et d’autres pathogènes transmis par les moustiques.
La province a signalé 25 cas humains confirmés d’infection par le virus du Nil occidental l’an dernier, mais les responsables de la santé estiment que le nombre réel pourrait être nettement plus élevé, car les cas légers ne sont souvent pas diagnostiqués. À mesure que le territoire du virus s’étend, les chercheurs s’attendent à une augmentation du nombre de cas, particulièrement dans les régions nouvellement touchées où les résidents sont peut-être moins conscients du risque.
« Le défi auquel nous sommes confrontés est de préparer des communautés qui n’ont jamais eu à faire face à cette maladie auparavant, » indique la Dre Irace-Cima. « Nous devons sensibiliser sans créer d’alarme inutile. »
Cet exercice d’équilibre est compliqué par le fait que les impacts des changements climatiques vont bien au-delà du virus du Nil occidental. Des chercheurs de l’Université McGill ont documenté au moins 14 maladies infectieuses sensibles au climat qui pourraient étendre leur aire de répartition au Québec avec le réchauffement des températures, y compris la maladie de Lyme, qui s’est déjà établie dans des parties de la province où elle était auparavant absente.
De retour à Kangiqsualujjuaq, Jimmy Immaroitok me guide le long d’un sentier étroit derrière la communauté, me montrant des changements environnementaux subtils que la plupart des visiteurs ne remarqueraient pas : différentes espèces de plantes en fleur, nouveaux types d’insectes qui apparaissent, modification des motifs de glace le long de la côte.
« Tout est connecté, » dit-il. « Quand une chose change, tout le reste doit s’adapter. »
Alors que nous nous efforçons de comprendre et d’aborder l’expansion vers le nord du virus du Nil occidental au Québec, la sagesse de Jimmy nous offre un rappel important. Nos systèmes de santé, comme les écosystèmes naturels, doivent s’adapter aux conditions changeantes. La question est de savoir si nous pouvons le faire assez rapidement et efficacement pour protéger les communautés vulnérables alors que ces changements s’accélèrent.
Pour des endroits comme l’Abitibi-Témiscamingue, qui fait face au virus du Nil occidental pour la première fois, et pour d’innombrables communautés nordiques qui observent avec anxiété l’allongement des saisons des moustiques, cette question n’a jamais été aussi urgente.