Alors que la Colline du Parlement se prépare à un vote crucial sur les réformes postales la semaine prochaine, les Canadiens ordinaires s’inquiètent de plus en plus de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir opérationnel de Postes Canada lors des élections fédérales de l’année prochaine.
Le moment ne pourrait être plus problématique. Alors que les préparatifs électoraux doivent commencer dans quelques mois à peine, les récentes perturbations de service ont soulevé de sérieuses questions sur la capacité de la société d’État à gérer l’afflux de cartes d’information aux électeurs, de bulletins de vote par correspondance et de matériel de campagne qui transitent habituellement par le système pendant les périodes électorales.
« Nous sommes face à un parfait concours de circonstances, » affirme Élisabeth Warren, ancienne directrice régionale d’Élections Canada pour l’Ontario. « Le service postal a toujours été l’épine dorsale de notre infrastructure électorale. Quand il faiblit, nos processus démocratiques deviennent vulnérables. »
L’interruption de service de trois jours le mois dernier au Manitoba et dans certaines parties de la Saskatchewan – attribuée à des équipements de tri obsolètes – a offert un aperçu inquiétant de ce qui pourrait se produire lors d’une élection nationale. Plus de 350 000 envois ont été retardés, y compris des correspondances gouvernementales et des résultats d’analyses médicales.
Le vote parlementaire à venir porte sur le projet de loi C-87, qui allouerait 1,2 milliard de dollars pour la modernisation de Postes Canada, mais introduirait également des mesures controversées que les syndicats prétendent pouvoir réduire les effectifs jusqu’à 15 % grâce à des incitations à la retraite anticipée et à l’automatisation.
« Les Canadiens ne réalisent pas à quel point ils dépendent de nous jusqu’à ce que le service soit compromis, » déclare Jean Levesque, un postier de Trois-Rivières qui travaille depuis 22 ans chez Postes Canada. « Pendant les élections, nous manipulons des millions de pièces supplémentaires. Si nous manquons de personnel ou utilisons des équipements peu fiables, les électeurs en ressentiront directement l’impact. »
À Moncton, Tracy Nguyen, propriétaire d’une petite entreprise, a déjà subi les effets en cascade des incertitudes postales. « J’envoie des échantillons de bulletins de vote et des trousses d’information aux électeurs pour plusieurs candidats municipaux, » explique-t-elle en organisant des piles de matériel de campagne dans son imprimerie. « Les retards du mois dernier m’ont coûté près de 3 000 $ en réimpressions lorsque des documents urgents ne sont pas arrivés avant un débat de candidats. »
Élections Canada rapporte qu’environ 18 % des électeurs canadiens – plus de 4,5 millions de personnes – ont reçu des informations électorales uniquement par courrier lors des dernières élections fédérales. Pour les aînés et les communautés rurales, la livraison postale demeure essentielle plutôt qu’optionnelle.
La controverse a également pris des dimensions partisanes. Les critiques conservateurs soutiennent que le gouvernement libéral a négligé la modernisation de Postes Canada, soulignant une augmentation de 28 % des plaintes de service depuis 2019. Pendant ce temps, les représentants du NPD ont exprimé leurs préoccupations que les réformes proposées privilégient la réduction des coûts au détriment de la qualité du service.
« Nous avertissons de cette situation depuis des années, » déclare Marc Thompson, porte-parole du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes. « On ne peut pas simultanément réduire les effectifs, retarder les mises à niveau d’équipement et s’attendre à ce que le système supporte la charge supplémentaire d’une élection fédérale. »
À Yellowknife, Sarah Denton, responsable électorale territoriale, s’inquiète pour les communautés éloignées. « Dans de nombreuses communautés nordiques, il n’y a pas d’alternative à Postes Canada. Si le service postal échoue pendant une période électorale, ces électeurs se retrouvent effectivement privés de leurs droits, » me dit-elle lors d’un entretien téléphonique alors qu’elle prépare une élection partielle locale.
Les enjeux vont au-delà de la simple livraison du courrier. Élections Canada s’appuie sur Postes Canada pour ce qu’elle appelle le « courrier démocratique » – les procédures spéciales de manipulation des documents électoraux qui garantissent que les bulletins restent confidentiels et sécurisés. Ces procédures nécessitent du personnel formé et familiarisé avec les protocoles électoraux.
Les sondages récents suggèrent que les Canadiens y prêtent attention. Une enquête Léger menée le mois dernier a révélé que 63 % des répondants ont exprimé des préoccupations quant à la fiabilité postale pendant le prochain cycle électoral, ce chiffre grimpant à 78 % parmi les résidents ruraux.
À Peggy’s Cove, en Nouvelle-Écosse, William MacDonald, retraité, a voté par correspondance lors des trois dernières élections fédérales. « À mon âge, se rendre à un bureau de vote n’est pas toujours facile, » explique-t-il en examinant sa dernière facture téléphonique – arrivée avec dix jours de retard. « Si je ne peux pas être sûr que mon bulletin arrivera à temps, je risque de perdre ma voix dans notre démocratie. »
Le gouvernement fédéral maintient que des plans d’urgence existent. Un porte-parole du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a déclaré à Mediawall.news que « plusieurs options de livraison » sont à l’étude pour garantir que les documents électoraux parviennent aux Canadiens, quel que soit l’état du service postal.
Cependant, les documents internes d’Élections Canada – obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information – dressent un tableau plus préoccupant. Une évaluation de février a noté des « vulnérabilités significatives » dans les canaux de distribution et recommandé une « action immédiate » pour sécuriser des méthodes de livraison alternatives pour les documents électoraux critiques.
Pour les travailleurs de Postes Canada eux-mêmes, la situation semble de plus en plus précaire. « Nous sommes fiers de manipuler correctement le matériel électoral, » déclare Darren Wong, facteur à Winnipeg. « Mais le moral est au plus bas. Les gens partent plus vite que nous ne pouvons former des remplaçants, et cette connaissance institutionnelle est importante lors d’un événement aussi critique qu’une élection. »
Le prochain vote parlementaire pourrait déterminer si Postes Canada recevra les ressources nécessaires pour répondre à ces préoccupations avant que les préparatifs électoraux ne commencent sérieusement. Avec des sondages suggérant qu’une autre situation de gouvernement minoritaire est probable en 2025, la fiabilité de notre infrastructure postale pourrait s’avérer plus importante que de nombreux Canadiens ne le réalisent.
Comme le dit Warren, l’ancienne responsable d’Élections Canada : « La livraison du courrier n’est pas seulement une question de commodité – il s’agit de garantir que chaque électeur admissible a un accès égal à notre processus démocratique. C’est quelque chose qui mérite qu’on y investisse. »