Les valises semblaient ordinaires parmi les centaines qui passaient par la zone douanière de l’aéroport international Pearson de Toronto ce jour-là. Mais lorsque les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) les ont ouvertes, ils ont découvert plus de 23 kilogrammes de khat – une plante dont les feuilles contiennent de la cathinone, un stimulant interdit par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances du Canada.
Cette saisie, annoncée par les responsables de l’ASFC la semaine dernière, représente l’une des plus importantes interceptions de khat à l’aéroport le plus achalandé du Canada cette année. Selon les documents judiciaires que j’ai examinés, le passager, dont l’identité reste protégée en attendant des accusations formelles, était arrivé sur un vol en provenance d’Afrique de l’Est avec ce qu’il avait initialement déclaré comme « feuilles de thé » et « herbes à usage personnel ».
« Le khat demeure une priorité en matière d’application de la loi en raison de sa classification comme substance de l’annexe IV », m’a expliqué Marilyn Boucher, directrice régionale des opérations de l’ASFC pour la région du Grand Toronto. « Mais ces cas impliquent souvent des considérations culturelles complexes qui ne correspondent pas nécessairement aux perceptions publiques du trafic de drogues. »
Mon enquête sur cette affaire révèle la tension entre la politique canadienne en matière de drogues et les pratiques culturelles répandues dans plusieurs communautés d’Afrique de l’Est et du Moyen-Orient. Le khat – connu sous le nom de « qat » ou « miraa » en Somalie, en Éthiopie et au Yémen – est utilisé socialement depuis des siècles dans ces régions, de façon similaire au café dans les sociétés occidentales.
Dr. Abdirizak Mohamed, anthropologue à l’Université McGill qui étudie les communautés diasporiques, m’a confié : « Beaucoup de nouveaux arrivants au Canada sont véritablement surpris d’apprendre que le khat est illégal ici. Dans des pays comme la Somalie ou le Yémen, mâcher des feuilles de khat est une activité sociale normale – comme les Canadiens qui se retrouvent pour prendre un café ou une bière. »
Les données de l’ASFC obtenues grâce à une demande d’accès à l’information montrent que les agents de l’aéroport Pearson ont saisi environ 412 kilogrammes de khat au cours du dernier exercice financier. La plante se détériore rapidement après la récolte, ce qui rend le transport rapide essentiel – un facteur qui influence les méthodes de contrebande.
Lorsqu’il est frais, le khat contient de la cathinone, la substance qui crée son effet stimulant léger. Les utilisateurs mâchent généralement les feuilles et les tiges pendant plusieurs heures. Selon la division d’analyse des substances de Santé Canada, les effets comprennent une légère euphorie, une vigilance accrue et une suppression de l’appétit. Ces propriétés ont conduit à la classification du khat aux côtés de substances comme les stéroïdes anabolisants dans l’annexe IV de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Les sanctions légales pour la possession et l’importation de khat peuvent être sévères. En vertu de la loi canadienne, l’importation de khat peut entraîner jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Pourtant, les poursuites aboutissent souvent à des peines beaucoup plus légères, reflétant ce que certains experts juridiques décrivent comme une compréhension évolutive du contexte culturel par le système de justice pénale.
« Il y a une reconnaissance croissante parmi les procureurs de la Couronne que de nombreux cas de khat ne correspondent pas à l’intention du Parlement lorsqu’il a établi les peines pour importation de drogues », a déclaré Marie-Claude Landry, avocate de la défense qui a représenté des clients dans des affaires similaires. « Les tribunaux distinguent de plus en plus l’usage culturel des opérations de trafic commercial. »
J’ai examiné les décisions de détermination de la peine dans cinq affaires similaires devant les tribunaux de l’Ontario. Dans quatre cas, les délinquants primaires ont reçu des absolutions conditionnelles ou des peines avec sursis lorsque les quantités suggéraient un usage personnel ou communautaire limité plutôt qu’une distribution commerciale.
L’approche de l’ASFC en matière d’application de la loi sur le khat soulève des questions sur l’allocation des ressources dans la stratégie de sécurité frontalière du Canada. Le document interne sur les priorités d’application de l’ASFC de l’année dernière, que j’ai obtenu par l’intermédiaire d’une source au sein de l’agence, classe l’interception de khat à un niveau significativement inférieur à celui du fentanyl, de la cocaïne et des opérations de contrebande d’armes.
« Nous maintenons une approche fondée sur les risques en matière d’application de la loi aux frontières », a noté le porte-parole de l’ASFC, Jean-Pierre Fortin, lorsqu’il a été interrogé sur cette priorisation. « Bien que toutes les substances interdites soient réglementées, nos ressources sont déployées stratégiquement en fonction des mesures de réduction des méfaits et des évaluations du renseignement. »
Cette dernière saisie survient alors que certains pays reconsidèrent leur approche du khat. Le Royaume-Uni a fait passer le khat d’une substance légale à une drogue contrôlée de classe C en 2014, tandis que plusieurs juridictions européennes ont maintenu son statut d’interdiction. Cependant, le Centre national de recherche sur les drogues et l’alcool d’Australie a récemment recommandé une révision de la classification du khat sur la base de recherches suggérant que son profil de nocivité ressemble davantage à celui de la caféine qu’à celui des stimulants plus puissants.
Pour la communauté canado-somalienne de Toronto, ces saisies ont des impacts concrets. Hassan Ahmed, directeur de la Coalition des services communautaires est-africains, a expliqué : « Quand quelqu’un est arrêté pour du khat, cela affecte des familles entières. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi quelque chose utilisé ouvertement dans leur pays d’origine entraîne de graves sanctions pénales ici. »
La criminalisation crée des obstacles supplémentaires pour les nouveaux arrivants qui font déjà face à des défis d’intégration dans la société canadienne. Les dossiers judiciaires montrent que les accusations liées au khat touchent de façon disproportionnée les immigrants d’Afrique de l’Est, ce qui soulève des préoccupations quant à l’application équitable des politiques de lutte contre les drogues.
La saisie de 23 kilogrammes à Pearson fait toujours l’objet d’une enquête. Les responsables de l’ASFC ont confirmé que l’analyse en laboratoire a vérifié la présence de cathinone dans le matériel végétal saisi, et des accusations devraient être formellement annoncées la semaine prochaine.
Alors que cette affaire progresse dans le système judiciaire, elle met en lumière l’intersection complexe entre les lois canadiennes sur les drogues, la politique d’immigration et les pratiques culturelles. Pour les agents frontaliers, elle représente une action d’application réussie. Pour les communautés touchées, elle souligne les défis permanents de la navigation entre les traditions culturelles et les cadres juridiques canadiens.