Le soleil de fin d’été filtre à travers la canopée de bouleaux tandis que Doris Paul, une Aînée crie de 67 ans de la Première Nation du lac Sturgeon, enfile de fines lanières de poisson blanc sur un support en bois. Autour d’elle, une douzaine de membres de la communauté de tous âges se rassemblent en demi-cercle, observant attentivement alors qu’elle démontre une technique de conservation alimentaire qui a permis à ses ancêtres de survivre durant les rudes hivers des prairies.
« Ma grand-mère m’a montré comment faire ça quand j’avais seulement sept ans, » me confie Paul, ses mains ridées bougeant avec une précision exercée. « Elle me disait: ‘Regarde bien, ce savoir est ton héritage’. »
Je me suis rendu sur ce territoire traditionnel au nord de Prince Albert pour documenter un atelier de trois jours centré sur les méthodes traditionnelles de conservation alimentaire revitalisées grâce au programme « Enseignements du Tipi« . Cette initiative, financée par un partenariat entre le Centre culturel autochtone de la Saskatchewan et le Programme de vie saine pour les Autochtones de Santé Canada, représente un mouvement croissant pour reconquérir la souveraineté alimentaire dans les communautés des Premières Nations.
À l’intérieur d’un tipi de 6 mètres érigé spécifiquement pour l’atelier, les participants apprennent à fumer le poisson, sécher les baies et préparer le pemmican—un mélange nutritif de viande séchée, de graisse et de baies qui autrefois soutenait les peuples des Premières Nations des Plaines lors de longs voyages. Ce qui me frappe le plus, c’est comment ces pratiques ancestrales répondent directement aux préoccupations contemporaines concernant la sécurité alimentaire, la nutrition et l’identité culturelle.
« Quand nous conservons la nourriture selon nos méthodes traditionnelles, nous ne faisons pas que lutter contre la faim—nous nourrissons aussi nos esprits et nos pensées, » explique Jason Waditaka, coordonnateur de programme au Réseau de souveraineté alimentaire autochtone. « Ces méthodes ne produisent aucun déchet, ne nécessitent pas d’électricité et créent des aliments qui conservent leur valeur nutritive pendant des mois. »
Les statistiques soulignent pourquoi ce savoir est important. Selon un rapport de 2022 de Statistique Canada, l’insécurité alimentaire touche 31% des ménages autochtones au Canada—plus du double de la moyenne nationale. Dans les communautés nordiques, où une simple laitue peut coûter plus de 8$, les systèmes alimentaires traditionnels représentent non seulement une continuité culturelle mais aussi une nécessité économique.
Sarah Musqua, 32 ans, prend des notes pendant que Paul explique comment différents bois de fumage confèrent des saveurs distinctes. En tant que jeune mère de trois enfants, Musqua voit ces techniques comme des solutions pratiques pour l’avenir de sa famille.
« Les repas scolaires de mes enfants nous coûtent près de 200$ par mois, » me confie-t-elle pendant une pause. « Apprendre à préparer et à conserver les aliments traditionnels signifie que je peux nourrir ma famille avec des repas nutritifs qui les connectent à leur patrimoine tout en étirant notre budget. »
Ce qui rend le programme Enseignements du Tipi particulièrement efficace, c’est son approche holistique. La conservation alimentaire n’est pas enseignée isolément mais tissée dans des contextes culturels plus larges. Le tipi lui-même sert à la fois de salle de classe et de métaphore—ses perches représentant des valeurs comme le respect, l’humilité et le partage qui guident les pratiques alimentaires traditionnelles.
« Dans notre vision du monde, la conservation alimentaire n’a jamais été qu’une simple technique, » explique l’Aîné Thomas Whitecalf, qui supervise les aspects spirituels de l’atelier. « C’était une partie de notre relation avec la terre. Quand nous chassions, cueillions ou pêchions, nous ne prenions que ce dont nous avions besoin et utilisions chaque partie. La conservation était notre façon d’honorer cette relation à travers les saisons changeantes. »
Les participants à l’atelier vont des adolescents aux Aînés dans la soixante-dizaine, créant un environnement d’apprentissage multigénérationnel qui reflète la transmission traditionnelle du savoir. Dakota Littlechief, 15 ans, tranche habilement de la viande de bison pour le séchage tandis que sa grand-mère offre des conseils discrets.
« Avant la colonisation, nos communautés n’ont jamais connu le type d’insécurité alimentaire que nous voyons aujourd’hui, » note Dr. Priscilla Settee, professeure d’études autochtones à l’Université de la Saskatchewan, dont la recherche sur les systèmes alimentaires autochtones a inspiré des initiatives similaires. « La perturbation des pratiques alimentaires traditionnelles par les pensionnats, les relocalisations forcées et la dégradation environnementale a créé des déficits nutritionnels et culturels que nous continuons d’adresser. »
En effet, des recherches publiées dans le Journal canadien de la santé publique ont démontré des corrélations entre l’accès aux aliments traditionnels et l’amélioration des résultats de santé dans les communautés autochtones, notamment des taux plus bas de diabète et de maladies cardiaques.
Alors que l’après-midi devient soirée, les participants se rassemblent autour d’un feu pour partager un repas préparé en utilisant les techniques de conservation qu’ils ont apprises. Les assiettes sont remplies de poisson blanc fumé, de baies de saskatoon séchées et de riz sauvage récolté dans les cours d’eau voisins. La conversation alterne entre cri et français, avec de fréquents éclats de rire.
Pour Fred Sasakamoose, 42 ans, qui a voyagé depuis la Nation crie d’Ahtahkakoop pour participer, l’atelier représente une chance de guérir des blessures intergénérationnelles.
« Mon père était interdit de parler sa langue ou de pratiquer nos traditions alimentaires au pensionnat, » dit-il, sa voix s’adoucissant. « Il est décédé de complications liées au diabète il y a cinq ans. Je suis ici parce que je veux que mes enfants aient ce qui lui a été enlevé—un savoir qui a gardé notre peuple en bonne santé pendant des milliers d’années. »
Le dernier jour de l’atelier se concentre sur l’enseignement aux participants de comment intégrer ces méthodes traditionnelles dans la vie contemporaine. Certaines discussions portent sur l’adaptation des techniques de conservation pour la vie en appartement, tandis que d’autres abordent les défis de la récolte d’aliments traditionnels dans les zones affectées par le développement industriel.
« Nous ne suggérons pas que tout le monde peut ou devrait vivre entièrement d’aliments traditionnels, » explique Karen Carriere, l’animatrice de l’atelier. « Mais même l’incorporation de certaines de ces méthodes et aliments peut améliorer la nutrition, réduire la dépendance aux aliments importés coûteux et renforcer l’identité culturelle. »
Alors que je me prépare à partir, je regarde les participants emballer soigneusement des herbes séchées, du poisson fumé et des baies pour ramener chez eux. Ils échangent des numéros de téléphone et font des plans pour récolter ensemble dans les saisons à venir. Ce qui a commencé comme un atelier de conservation alimentaire s’est clairement transformé en quelque chose de plus profond—une communauté qui se reconstruit à travers le savoir et un objectif partagés.
L’Aînée Paul croise mon regard alors que je rassemble mes notes. « Assurez-vous d’écrire que ce n’est pas une question de retour en arrière, » dit-elle fermement. « Nos ancêtres étaient des innovateurs qui ont développé des systèmes sophistiqués pour bien vivre sur cette terre. Maintenant, nous apportons cette innovation vers l’avenir—parce que notre futur en dépend. »
Quand j’appelle une semaine plus tard pour suivre, Musqua me dit qu’elle a déjà organisé un petit atelier de conservation dans sa communauté. « Sept familles sont venues, » dit-elle fièrement. « Nous avons séché des cerises à grappes ensemble pendant que nos enfants jouaient. On sentait que quelque chose d’important était en train d’être restauré—pas seulement la nourriture, mais la communauté. »
Dans un monde de plus en plus préoccupé par la sécurité alimentaire et la durabilité, ces pratiques ancestrales offrent une sagesse qui s’étend bien au-delà des communautés autochtones. Comme les aliments soigneusement conservés issus de l’atelier du tipi, ce savoir nourrit non seulement les corps, mais aussi les liens complexes entre les personnes, la culture et la terre qui nous soutient tous.