Le gouvernement fédéral prépare discrètement ce qui pourrait être la plus importante restructuration de la direction de la fonction publique canadienne depuis plus d’une décennie. Selon des documents internes du Conseil du Trésor obtenus la semaine dernière, des hauts fonctionnaires élaborent des plans pour réduire le nombre de cadres dans les ministères fédéraux – une démarche qui signale un changement potentiel dans la gestion des rangs bureaucratiques supérieurs d’Ottawa.
Cette initiative survient alors que le gouvernement libéral fait face à une pression croissante pour répondre à ce que certains critiques ont appelé des structures de gestion « trop lourdes » au sein de la fonction publique fédérale. Actuellement, le cadre exécutif de la fonction publique compte environ 7 200 postes, soit une augmentation de près de 21 % depuis 2015, lorsque le gouvernement Trudeau est arrivé au pouvoir.
« Nous devons redimensionner nos fonctions exécutives pour créer une fonction publique plus agile et réactive, » a déclaré la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, lors d’une comparution en comité le mois dernier. « Il ne s’agit pas de réduire les services, mais de s’assurer que nous avons la bonne structure de leadership pour servir les Canadiens. »
Le Secrétariat du Conseil du Trésor, qui supervise la gestion de la fonction publique, a établi un groupe de travail pour examiner la répartition actuelle des postes de direction et identifier où la consolidation pourrait être possible. Des sources familières avec l’initiative suggèrent que l’objectif est de réduire les rangs exécutifs de 10 à 15 % au cours des trois prochaines années par l’attrition, la réorganisation et les départs volontaires.
Cette approche semble conçue pour éviter les coupes plus drastiques observées pendant le plan d’action de réduction du déficit du gouvernement Harper, qui a éliminé des milliers de postes dans la fonction publique entre 2012 et 2015. La stratégie actuelle se concentre plutôt spécifiquement sur les niveaux de haute direction.
Pour de nombreux fonctionnaires, la nouvelle suscite des réactions mitigées. Debi Daviau, présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, a exprimé un soutien prudent à l’initiative, à condition qu’elle soit mise en œuvre de manière réfléchie.
« Si cela signifie moins de couches entre les décideurs et les employés de première ligne, cela pourrait être positif, » a déclaré Daviau lors d’une entrevue téléphonique. « Mais nous surveillerons attentivement pour nous assurer que cela ne crée pas des charges de travail déraisonnables pour les gestionnaires restants ou n’affecte pas la prestation de services. »
La volonté de rationaliser les rangs exécutifs s’inscrit dans un contexte d’évolution des modalités de travail. Depuis la pandémie, environ 60 % des employés fédéraux continuent de travailler dans des environnements hybrides ou à distance, selon les données de Statistique Canada publiées en février. Ce changement a soulevé des questions quant à la nécessité des structures de gestion traditionnelles dans une main-d’œuvre plus dispersée.
« La pandémie nous a forcés à repenser la façon dont nous organisons les équipes et assurons le leadership, » a expliqué Dre Amanda Clarke, professeure associée d’administration publique à l’Université Carleton. « Il y a de plus en plus de preuves que des organisations plus horizontales peuvent être plus efficaces dans des environnements de travail numériques, bien que la transition nécessite une planification minutieuse. »
En coulisses, certains ministères ont déjà commencé un travail préliminaire pour identifier des opportunités potentielles de restructuration. L’Agence du revenu du Canada et Emploi et Développement social Canada – deux des plus grands employeurs fédéraux – mènent apparemment des examens internes de leur personnel de direction.
Pour les Canadiens extérieurs à la bureaucratie, l’impact de ces changements pourrait ne pas être immédiatement visible. Cependant, les experts suggèrent qu’une structure de leadership plus rationalisée pourrait éventuellement conduire à des services gouvernementaux plus réactifs et à des économies potentiellement importantes.
« Les salaires des cadres dans la fonction publique fédérale varient d’environ 125 000 $ à plus de 300 000 $ par an, » a noté Aaron Wudrick, directeur du programme de politique intérieure à l’Institut Macdonald-Laurier. « Lorsqu’on tient compte des avantages sociaux et des coûts de soutien, la réduction de quelques centaines de postes représente des économies substantielles à long terme. »
Le Conseil du Trésor a pris soin de présenter cette initiative comme un effort de modernisation plutôt qu’une mesure de réduction des coûts. Dans une déclaration fournie aux médias, un porte-parole a souligné que l’objectif est de « bâtir une fonction publique structurée pour relever les défis d’aujourd’hui et saisir les opportunités de demain. »
Ce langage reflète les sensibilités politiques entourant la dotation en personnel de la fonction publique. Les conservateurs ont fréquemment critiqué la croissance de la bureaucratie sous le gouvernement libéral, tandis que les syndicats du secteur public restent méfiants à l’égard de toute initiative qui pourrait signaler des réductions plus larges de la main-d’œuvre.
Au-delà des chiffres, cet effort de restructuration pourrait également fournir un aperçu de la vision du gouvernement fédéral pour l’avenir du travail dans la fonction publique. Les documents internes font référence à la nécessité de « nouveaux modèles de leadership adaptés au gouvernement numérique et aux modalités de travail flexibles » – suggérant que cette initiative pourrait faire partie d’un programme de transformation plus large.
Alors que les ministères commencent à planifier d’éventuelles réductions de cadres, des questions demeurent quant aux délais de mise en œuvre et à la façon dont les décisions seront prises concernant les postes à éliminer ou à consolider. Le groupe de travail du Conseil du Trésor devrait présenter ses recommandations d’ici le début de l’automne, avec une mise en œuvre progressive débutant au début de 2024.
Pour un gouvernement qui se dirige vers une année électorale, le calcul politique est délicat. Démontrer une responsabilité fiscale par la rationalisation bureaucratique pourrait séduire certains électeurs, mais les libéraux devront éviter la perception de saper les services publics sur lesquels les Canadiens comptent.
Quelles que soient les implications politiques, l’initiative représente un important moment de réflexion sur la façon dont nos institutions fédérales sont structurées et gérées. Comme l’a dit un haut fonctionnaire qui a demandé l’anonymat : « Cette conversation est attendue depuis longtemps. La question n’est pas seulement de savoir combien de cadres nous avons besoin, mais quel type de leadership servira le mieux les Canadiens dans les années à venir. »