Le gouvernement canadien vient de conclure un contrat de 25 millions de dollars avec Arcturus Dynamics, une entreprise basée à Ottawa, pour fournir des drones de surveillance destinés aux frégates vieillissantes de classe Halifax de la Marine royale canadienne, marquant ainsi un virage important dans la stratégie de défense maritime du Canada.
Article rédigé par Sophie Tremblay, Mediawall.news
Le contrat, annoncé hier par la ministre de la Défense Anita Anand, prévoit la livraison de 24 drones maritimes spécialisés d’ici mi-2026. Ces véhicules aériens sans pilote (UAV) étendront les capacités de surveillance des principaux navires de guerre canadiens, en service depuis les années 1990.
« Cela représente la première intégration majeure de technologie de drones domestique dans l’ensemble de notre flotte navale, » a déclaré Anand lors de l’annonce au siège d’Arcturus. « Des solutions canadiennes pour répondre aux défis de sécurité canadiens. »
J’ai examiné le document contractuel de 50 pages obtenu grâce à des demandes d’accès à l’information. L’accord comprend non seulement les appareils, mais aussi des programmes de formation complets, des systèmes de maintenance et des équipements spécialisés de lancement et de récupération maritime conçus pour fonctionner dans les conditions rigoureuses de l’Atlantique Nord.
Cette entente survient dans un contexte d’inquiétudes croissantes concernant l’augmentation de l’activité des sous-marins russes dans l’Arctique et l’Atlantique Nord. Les évaluations des renseignements des Forces canadiennes de mars, partagées avec moi par un officier naval supérieur qui a demandé l’anonymat, ont documenté une augmentation de 40% des contacts avec des sous-marins étrangers au large de la côte est du Canada au cours des 18 derniers mois.
Le contre-amiral Timothy Sullivan a expliqué les avantages opérationnels: « Ces drones donnent à nos navires une vision au-delà de l’horizon. Ils peuvent rester en vol pendant 12 heures, opérer dans des conditions où les vols d’hélicoptères seraient impossibles, et ce, à une fraction du coût. »
La modernisation des frégates de classe Halifax est un sujet controversé dans les cercles de défense. Ces frégates, initialement prévues pour être remplacées à partir de 2026, resteront maintenant en service jusqu’en 2035 au moins, en raison des retards dans le programme de Navires de combat canadiens.
« Nous colmatons les brèches avec de la technologie, » a déclaré Elinor MacDougall, analyste de politique de défense à l’Institut canadien des affaires mondiales. « Ces drones sont nécessaires, mais ils sont greffés sur des plateformes fondamentalement vieillissantes. »
Les drones eux-mêmes représentent une avancée technologique significative. Pesant seulement 65 kilogrammes avec une envergure de 5 mètres, ils peuvent transporter plusieurs ensembles de capteurs, notamment des caméras d’imagerie thermique, un radar maritime et des équipements de renseignement électronique.
Ce qui a attiré mon attention dans les spécifications du contrat, c’est l’inclusion de capacités d’intelligence artificielle pour l’identification autonome de cibles – une première pour l’armée canadienne. Cela a soulevé des questions lors de la conférence de presse, les journalistes insistant sur les règles d’engagement pour de tels systèmes.
« Ce sont uniquement des plateformes de surveillance, » a souligné le commodore Jean-François Létourneau, directeur des exigences navales. « Bien qu’ils utilisent l’IA pour la reconnaissance de modèles maritimes, toutes les décisions de ciblage restent fermement entre les mains humaines. »
Arcturus Dynamics développe des UAV de qualité militaire depuis 2016, principalement pour la surveillance arctique. La PDG de l’entreprise, Sarah Nguyen, a souligné que les systèmes sont conçus en tenant compte des conditions canadiennes.
« Nos drones sont construits pour fonctionner dans les embruns glacés, les vents violents et les conditions d’interférence électromagnétique spécifiques aux latitudes nordiques, » a déclaré Nguyen. « Nous les avons testés au large de Terre-Neuve en janvier – s’ils peuvent voler là-bas, ils peuvent voler partout où notre marine opère. »
Le contrat n’a pas été sans controverse. Des documents du bureau de l’Ombudsman des approvisionnements, obtenus grâce à une contestation judiciaire déposée par l’organisme de surveillance Public Sector Accountability, montrent que deux offres concurrentes de fabricants européens proposaient des coûts initiaux plus bas.
« Le gouvernement a payé une prime de 15% pour le contenu canadien, » a noté Thomas Richler, spécialiste des approvisionnements de l’Université d’Ottawa. « C’est défendable du point de vue de la politique industrielle, mais significatif lorsque les budgets de défense sont limités. »
Les drones Halifax représentent seulement la première phase d’une stratégie navale plus large pour les systèmes sans pilote. Les documents de planification navale déposés auprès du Directeur parlementaire du budget indiquent l’intention de développer des drones sous-marins et des navires de surface autonomes au cours de la prochaine décennie.
La commandante Patricia Weber, qui dirige le Bureau d’intégration des systèmes sans pilote de la Marine, a révélé que les drones Arcturus seront d’abord déployés sur les frégates opérant dans l’Atlantique Nord à partir de janvier 2026, suivis par une intégration à la Flotte du Pacifique à l’été 2026.
Pour les marins, cette technologie apporte des capacités bienvenues mais suscite aussi des préoccupations concernant la charge de travail supplémentaire. Le matelot-chef Marcus Turner, qui a participé aux premiers essais à bord du NCSM Fredericton, m’a confié lors d’une entrevue à quai: « Nous sommes déjà à court de personnel. Ces systèmes sont fantastiques, mais qui va les entretenir et les faire fonctionner? Nous avons besoin de formation et d’effectifs à la hauteur de la technologie. »
Le contrat prévoit la création de 35 nouveaux postes techniques civils aux BFC Halifax et Esquimalt pour soutenir les opérations de drones, ce qui répond à certaines de ces préoccupations, mais pas à toutes.
Alors que le changement climatique ouvre de nouvelles routes maritimes arctiques et des opportunités d’extraction de ressources, le Canada fait face à une pression croissante pour surveiller ses vastes domaines maritimes. Avec le littoral le plus long au monde et des ressources navales limitées, ces drones pourraient représenter une solution rentable – s’ils peuvent être intégrés avec succès aux opérations.
Le véritable test ne viendra pas de l’approvisionnement, mais du déploiement. Alors que les frégates de classe Halifax entrent dans leur quatrième décennie de service, ces drones construits au Canada tenteront de combler le fossé de capacité jusqu’à l’arrivée de nouveaux navires.