L’acquisition potentielle de l’usine de fabrication de batteries Northvolt au Québec a créé des remous dans la chaîne d’approvisionnement émergente des véhicules électriques en Amérique du Nord. Plusieurs sources proches des négociations ont confirmé qu’un conglomérat industriel américain, dont le nom n’a pas été divulgué, a entamé des discussions préliminaires pour acheter les opérations canadiennes du fabricant suédois de batteries en difficulté.
Le projet de 7 milliards de dollars, autrefois considéré comme la pierre angulaire de la stratégie industrielle verte du Québec, a fait face à d’importants vents contraires depuis le début des travaux en Montérégie l’an dernier. Les retards de construction, associés à la détérioration de la situation financière de Northvolt en Europe, ont compliqué la progression de cette installation ambitieuse.
« Ce que nous voyons, c’est la phase de réalité dans l’expansion de la fabrication de batteries en Amérique du Nord, » explique Catherine Fortin-LeBlanc, analyste en technologies propres chez BMO Marchés des capitaux. « L’euphorie initiale a cédé la place aux réalités du marché – une concurrence intense des fabricants chinois, des coûts d’emprunt en hausse et une dynamique complexe de la chaîne d’approvisionnement. »
L’usine québécoise, qui a reçu près de 2,7 milliards de dollars de soutien combiné des gouvernements fédéral et provincial, devait créer environ 3 000 emplois directs et produire des cellules de batterie pour jusqu’à un demi-million de véhicules électriques annuellement d’ici 2028. L’acheteur américain – décrit par une source comme « un acteur majeur de l’automatisation industrielle avec des intérêts croissants dans l’écosystème des VÉ » – voit apparemment une valeur stratégique dans l’acquisition de l’installation partiellement achevée à ce qui pourrait être un rabais significatif.
Pour les responsables du développement économique du Québec, la perspective d’une prise de contrôle américaine représente à la fois un sauvetage potentiel et un handicap politique. Le gouvernement du premier ministre François Legault avait investi un capital politique considérable pour positionner le Québec comme un pôle de production de batteries autonome, tirant parti des abondantes ressources hydroélectriques de la province et de la proximité des gisements de minéraux critiques.
« La proposition de valeur fondamentale n’a pas changé, » soutient Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie du Québec, lorsqu’on l’a contacté pour obtenir ses commentaires. « Que ce soit Northvolt ou un autre opérateur, le Québec offre de l’énergie propre, une main-d’œuvre qualifiée et des chaînes d’approvisionnement intégrées. Ce qui compte le plus, c’est que le projet se poursuive. »
Le moment est particulièrement délicat alors que Washington et Ottawa naviguent dans une coordination de politique industrielle de plus en plus complexe. La Loi sur la réduction de l’inflation de l’administration Biden a fondamentalement reconfiguré le paysage manufacturier de l’énergie propre en Amérique du Nord, avec ses généreux crédits d’impôt attirant les investissements vers le sud.
« Nous assistons à la phase de consolidation de la fabrication de batteries, » affirme Joanna Kyriazis, directrice du programme d’énergie propre chez Clean Prosperity. « Tous les projets annoncés n’atteindront pas leur achèvement, et le capital américain est positionné pour acquérir des actifs stratégiquement précieux, particulièrement ceux qui ont déjà obtenu le soutien gouvernemental. »
Les difficultés de Northvolt reflètent des défis plus larges dans le secteur des batteries. Malgré avoir reçu plus d’un milliard d’euros de financement de la Banque européenne d’investissement et attiré des bailleurs de fonds majeurs comme Volkswagen et Goldman Sachs, l’entreprise a eu du mal à accélérer la production dans sa gigafactory suédoise. Des rapports récents de Bloomberg indiquaient que l’entreprise cherchait des financements supplémentaires pour résoudre ses problèmes de trésorerie.
La vente potentielle de l’installation québécoise met en évidence la concurrence de plus en plus féroce dans le paysage de la fabrication de batteries nord-américain. L’analyse de l’industrie par S&P Global montre que la capacité de fabrication de batteries annoncée dépasse maintenant significativement la demande prévue jusqu’en 2030, suggérant qu’une consolidation supplémentaire est inévitable.
Pour les travailleurs de la région de la Montérégie, l’incertitude concernant l’avenir de l’usine a créé de l’anxiété. « On nous a promis des opportunités d’emploi générationnelles, » dit Martin Tremblay, qui se forme comme technicien de production de batteries. « Maintenant, nous nous demandons si ces emplois se matérialiseront, et si oui, sous quelle direction. »
Les syndicats représentant les travailleurs de la construction sur le site rapportent que l’activité a déjà considérablement ralenti. « Nos membres sont réaffectés à d’autres projets, » confirme Jean-Philippe Cliche de la Fédération des travailleurs du Québec. « La communication de la direction a été minimale. »
Le Fonds stratégique pour l’innovation du Canada, qui a contribué 1,34 milliard de dollars au projet Northvolt, comprend des dispositions exigeant des objectifs spécifiques d’emploi et de production. On ne sait pas encore si ceux-ci seraient transférés à un nouveau propriétaire, bien que les responsables fédéraux insistent sur le fait que toute vente devrait honorer les accords existants.
L’économiste en énergie Marie-Claude Beaulieu de l’Université Laval souligne des défis structurels plus profonds: « L’Amérique du Nord tente de comprimer des décennies de développement de la fabrication de batteries en quelques années. Inévitablement, nous verrons émerger des gagnants et des perdants à mesure que le marché se rationalisera. »
Pour les décideurs politiques canadiens, l’acquisition américaine potentielle représente un test de réalité complexe. La chaîne d’approvisionnement continentale intégrée signifie que le capital ira vers son utilisation la plus efficace, indépendamment des stratégies industrielles nationales.
L’acheteur américain non identifié effectue apparemment une vérification diligente et pourrait faire une offre formelle d’ici début septembre. Pendant ce temps, des sources indiquent que Northvolt continue de chercher des arrangements de financement alternatifs qui pourraient lui permettre de maintenir le contrôle de l’installation québécoise.
Pour les résidents de la Montérégie, le résultat déterminera si leur région devient une puissance manufacturière verte ou un autre chapitre dans le récit édifiant des ambitions de politique industrielle confrontées aux réalités du marché.