Alors que le Canada envisage la possibilité d’une seconde administration Trump, les récentes déclarations de Mark Carney sur la stratégie commerciale ont suscité un regain d’intérêt pour ce que certains vétérans de la politique pourraient reconnaître comme une renaissance moderne de l’approche de la « Troisième Option ».
S’exprimant la semaine dernière lors d’un forum économique à Toronto, Carney, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, maintenant candidat libéral, a esquissé ce qu’il considère comme la voie nécessaire pour le Canada face au protectionnisme américain croissant.
« Nous ne pouvons pas simplement espérer le meilleur avec notre plus grand partenaire commercial, » a déclaré Carney à l’audience de chefs d’entreprise et d’économistes. « Le Canada a besoin de relations commerciales résilientes qui peuvent résister aux vents politiques, quelle que soit leur direction. »
Ces commentaires surviennent alors que les responsables canadiens préparent des plans d’urgence pour d’éventuels nouveaux tarifs américains sous une seconde présidence Trump. Des documents gouvernementaux internes obtenus par des demandes d’accès à l’information révèlent des scénarios prévoyant des tarifs allant de 10% à 25% sur les exportations canadiennes.
Pour de nombreux observateurs politiques, le positionnement de Carney ressemble à une version actualisée de la stratégie de la « Troisième Option » proposée par le gouvernement Trudeau – celui de Pierre Elliott Trudeau – au début des années 1970. Cette approche visait à réduire la dépendance économique canadienne envers les États-Unis en diversifiant les relations commerciales, particulièrement avec l’Europe et l’Asie.
Dr. Jacqueline Matthews, spécialiste du commerce international à l’Université de Toronto, voit des parallèles évidents. « Le langage est différent, mais le défi fondamental reste le même – comment le Canada peut-il maintenir sa souveraineté économique tout en vivant à côté de son plus grand marché? »
Ce qui rend l’intervention de Carney particulièrement remarquable est son accent sur des mesures pratiques plutôt que sur un positionnement idéologique. Durant ses remarques, il a souligné trois approches spécifiques: diversifier les marchés d’exportation, renforcer les chaînes d’approvisionnement nationales, et investir dans les secteurs où le Canada maintient des avantages compétitifs.
Les données de Statistique Canada montrent l’urgence derrière ces préoccupations. Malgré de nombreux accords de libre-échange signés au cours de la dernière décennie, les États-Unis représentent toujours environ 75% des exportations canadiennes, un chiffre qui a à peine changé depuis la mise en œuvre de l’ALENA.
Cette dépendance crée une vulnérabilité, particulièrement alors que la politique commerciale américaine devient de plus en plus imprévisible. James Peterson, ancien ministre du Commerce international sous Paul Martin, m’a confié le mois dernier que « le Canada fait face à un dilemme fondamental – nous ne pouvons pas ignorer le marché américain, mais nous ne pouvons pas non plus nous y fier exclusivement. »
Le gouvernement libéral actuel a poursuivi la diversification commerciale à travers des accords comme l’AECG avec l’Europe et le PTPGP avec les nations du Pacifique. Pourtant, les modèles d’exportation ont été lents à changer, en partie à cause de la réalité géographique et des chaînes d’approvisionnement nord-américaines profondément intégrées.
Lors d’une assemblée publique à Winnipeg mardi dernier, j’ai observé plusieurs propriétaires de petites entreprises exprimer leur frustration face aux défis pratiques de la diversification au-delà des marchés américains. « Ça semble bon en théorie, » a déclaré Samira Dhaliwal, dirigeante manufacturière, « mais les coûts et les complications pour atteindre les marchés asiatiques sont considérables pour une entreprise de notre taille. »
L’entrée de Carney en politique apporte une nouvelle voix à ce défi canadien de longue date. Ses références en tant que banquier central et leader en finance climatique lui confèrent une crédibilité unique dans les cercles d’affaires et politiques.
Cependant, certains critiques se demandent si son approche représente un changement significatif par rapport aux stratégies précédentes. Michael Chong, critique conservateur en matière de commerce, a soutenu que les libéraux n’ont pas réussi à renforcer la position de négociation du Canada avec des mesures pratiques comme l’amélioration des infrastructures et l’harmonisation réglementaire.
« Nous entendons de grands discours sur la diversification depuis des années, » a déclaré Chong dans une récente déclaration. « Ce dont les entreprises ont besoin, c’est d’actions concrètes pour rendre le commerce international plus accessible et moins coûteux. »
Les leaders provinciaux ont également pris position. Le premier ministre québécois François Legault a récemment souligné l’importance de protéger le secteur de l’aluminium du Québec contre d’éventuels tarifs américains, tandis que Doug Ford de l’Ontario a appelé à un front uni au-delà des lignes partisanes pour défendre la fabrication canadienne.
La possibilité de nouveaux tarifs américains résonne particulièrement dans les communautés encore en train de se remettre des droits sur l’acier et l’aluminium imposés pendant le premier mandat de Trump. À Hamilton, où j’ai visité des aciéries l’année dernière, les travailleurs se souviennent vivement de l’incertitude de cette période.
« Nous avons perdu des contrats et de l’élan, » m’a confié Syed Rahman, président local des Métallurgistes unis. « Même quand les tarifs ont été levés, certaines relations d’affaires avaient changé de façon permanente. »
Les sondages publics suggèrent que les Canadiens sont préoccupés par les relations économiques avec les États-Unis mais divisés sur les solutions. Un récent sondage Angus Reid a révélé que 68% des répondants s’inquiétaient de potentiels nouveaux tarifs américains, tandis que seulement 42% exprimaient leur confiance dans la capacité du gouvernement actuel à protéger les intérêts canadiens.
Alors que le débat se déroule, certains économistes suggèrent que la terminologie d’une « Troisième Option » pourrait être dépassée dans l’économie mondiale complexe et interconnectée d’aujourd’hui. « Il ne s’agit plus de choisir entre l’Amérique ou le reste du monde, » explique Dr. Matthews. « La stratégie commerciale moderne nécessite de maintenir de solides liens continentaux tout en renforçant la résilience par une diversification stratégique. »
L’intervention de Carney représente un moment significatif dans le discours commercial canadien. Reste à voir si son approche se traduira par une politique efficace, mais sa voix ajoute du poids à une conversation qui façonnera sans doute l’avenir économique du Canada.
Pour les communautés de Windsor à Winnipeg, les débats théoriques sur la stratégie commerciale ont des implications très réelles. Comme me l’a dit un fabricant de pièces automobiles à Oakville, « Peu importe comment ils appellent la politique – nous avons juste besoin de stabilité et d’accès aux marchés. »
Alors que le Canada navigue dans ces eaux difficiles, les échos des approches précédentes nous rappellent que, bien que les défis spécifiques évoluent, la question fondamentale reste constante: comment maintenir l’indépendance économique tout en bénéficiant de la proximité avec la plus grande économie du monde.