La dernière pièce où Gérard Thibault s’attendait à dormir après des décennies à payer ses impôts était un couloir de l’Hôpital de la Miséricorde Sainte-Claire. Pourtant, pendant huit jours, c’est exactement là que ce Terre-Neuvien de 74 ans s’est retrouvé – un lit improvisé dans un corridor, entouré du bip constant des machines et des pas du personnel qui défilait.
« Papa voulait simplement un peu de dignité, » m’a confié sa fille Denise Thibault lorsque j’ai rendu visite à la famille dans leur modeste maison de Saint-Jean la semaine dernière. La table de la salle à manger était couverte de flacons de médicaments, de cartes de rendez-vous et d’un carnet où Denise avait documenté la détérioration de la santé de son père pendant dix-huit mois de visites médicales et de symptômes qui s’aggravaient.
L’épreuve de Gérard serait restée une simple lutte silencieuse dans le système de santé surchargé de Terre-Neuve-et-Labrador sans ce qui s’est passé ensuite. Après avoir vu la santé de son père décliner malgré des tentatives répétées pour obtenir des soins appropriés, Denise s’est tournée vers Facebook avec une publication brute et émotionnelle qui a touché une corde sensible dans toute la province.
« Voilà à quoi ressemblent les soins de santé pour les aînés à T-N-L, » a-t-elle écrit au-dessus des photos de son père dans un couloir d’hôpital. « Mon père de 74 ans a travaillé toute sa vie, n’a jamais rien demandé, et maintenant ne peut même pas avoir une chambre convenable pendant qu’il souffre. »
En quelques heures, la publication avait été partagée des milliers de fois. Le lendemain matin, elle était parvenue au bureau du ministre provincial de la Santé.
L’expérience de la famille Thibault est devenue un projecteur inconfortable sur ce que de nombreux défenseurs des soins de santé décrivent comme un système en crise. Dr. Michel Lapointe, directeur de gériatrie au Système de santé Sinaï et voix importante sur les soins aux aînés au Canada, affirme que des situations comme celle de Gérard mettent en évidence des problèmes fondamentaux dans la façon dont notre système de santé sert les Canadiens âgés.
« Ce qui est arrivé à M. Thibault n’est pas seulement malheureux – c’est symptomatique d’un système qui n’a pas été conçu en tenant compte de notre population vieillissante, » a expliqué Dr. Lapointe lors de notre conversation téléphonique. « Quand près de 20% de la population de Terre-Neuve-et-Labrador a plus de 65 ans, mais que l’infrastructure hospitalière et le personnel n’ont pas suivi le rythme, ces scénarios de médecine de couloir deviennent inévitables. »
Selon les données de l’Institut canadien d’information sur la santé, Terre-Neuve-et-Labrador dépense environ 8 190 $ par personne en soins de santé annuellement – plus que la moyenne nationale de 7 068 $. Pourtant, la province continue de lutter contre les longs temps d’attente, les pénuries de médecins et les problèmes de capacité en lits.
Le parcours de Gérard à travers le système révèle ces failles en détail. Ses symptômes ont commencé par ce qui semblait être une fatigue routinière et des douleurs en janvier 2022. Les visites chez le médecin de famille ont mené à des analyses sanguines, puis à des références, puis à des listes d’attente. Au moment où il a finalement obtenu un rendez-vous avec un spécialiste dix mois plus tard, son état s’était considérablement aggravé.
« Nous avons regardé papa se détériorer en attendant les rendez-vous, » a expliqué Denise. « Il est passé d’indépendant à peine capable de monter les escaliers, mais nous n’avons pas réussi à faire prendre la situation au sérieux jusqu’à ce qu’il s’effondre à la maison. »
Cet effondrement a conduit à une visite aux urgences où Gérard a attendu 11 heures avant d’être admis – non pas dans une chambre, mais dans un lit de couloir. Les pénuries de personnel signifiaient une surveillance irrégulière. L’emplacement dans le couloir signifiait peu de sommeil et moins d’intimité, particulièrement difficile pendant les moments de soins personnels.
Lorsque j’ai interrogé Santé Est au sujet des placements dans les couloirs, la porte-parole Julie Tremblay a reconnu le défi: « Bien que ce ne soit pas idéal, la médecine de couloir est malheureusement devenue nécessaire pendant les périodes de haute capacité. Nous travaillons à résoudre ces défis grâce à notre stratégie de ressources humaines en santé et à des améliorations d’infrastructure. »
Pour Marie-Claude Gagnon, présidente du Syndicat des infirmières et infirmiers, des déclarations comme celles-ci ne reflètent pas la réalité à laquelle font face les travailleurs de première ligne. Lors de notre rencontre à son bureau de Saint-Jean, entourée de piles de plaintes concernant la dotation en personnel, elle a décrit une main-d’œuvre au point de rupture.
« Nos membres font l’impossible chaque jour, » a déclaré Gagnon. « Quand il manque quatre infirmières dans une unité conçue pour huit, des patients comme M. Thibault souffrent malgré les meilleurs efforts de tous. La publication virale a simplement rendu visible ce que les travailleurs de la santé disent depuis des années. »
Le pouvoir des médias sociaux pour créer une responsabilisation en matière de soins de santé suscite à la fois espoir et préoccupation parmi les défenseurs des patients. Le ministre de la Santé de Terre-Neuve, Pierre Bergeron, a répondu à la publication des Thibault en moins d’une journée, ordonnant un examen du cas et appelant personnellement la famille.
« Bien que je sois heureuse que M. Thibault ait reçu de l’attention suite à la pression publique, cela soulève de sérieuses questions d’équité, » a déclaré Martine Doucet, analyste des politiques de santé basée à Saint-Jean que je connais par mes reportages précédents. « Qu’en est-il des patients dont les familles ne maîtrisent pas les médias sociaux ou dont les histoires ne se photographient pas de façon aussi frappante? »
Gérard a été transféré dans une chambre convenable quelques heures après que la publication soit devenue virale. Trois jours plus tard, il a reçu la procédure diagnostique qu’il attendait. L’ironie n’échappe pas à Denise.
« Nous avons passé des mois à suivre toutes les voies officielles – appeler le représentant des patients, parler aux gestionnaires d’unité, écrire des lettres, » a-t-elle dit. « Puis une seule publication Facebook a fait ce que tout cela n’a pas pu faire. »
Deux semaines après sa célébrité virale, j’ai trouvé Gérard assis dans son fauteuil inclinable du salon, ayant l’air considérablement mieux que sur ces photographies de couloir. Une préposée aux soins à domicile venait de partir après l’avoir aidé avec sa routine matinale. L’intervention suivant l’attention des médias sociaux avait conduit à un diagnostic approprié, à un traitement et à des services de soutien.
« Je n’ai jamais voulu me plaindre, » m’a confié doucement Gérard. « Ma génération n’aime pas faire d’histoires. Mais personne ne devrait se retrouver dans un couloir quand il est malade. »
Alors que je me préparais à partir, Denise m’a montré son téléphone – des dizaines de messages d’autres familles partageant des histoires similaires, la plupart craignant de parler publiquement. Elle a commencé un groupe de soutien qui a grandi à plus de 200 membres en quelques jours.
Le gouvernement provincial a promis des réformes, y compris un nouveau poste d’ombudsman des patients et une révision des protocoles de soins aux aînés. Mais pour les Thibault et de nombreux autres à travers Terre-Neuve-et-Labrador, ces promesses arrivent après que les dommages aient déjà été causés.
L’expérience de Gérard soulève des questions inconfortables sur ce qu’il faut pour recevoir des soins appropriés dans notre système surchargé, et si la pression des médias sociaux devrait être nécessaire pour garantir la dignité qui devrait être le droit de chaque patient.
Comme me l’a dit un médecin des urgences, qui a demandé l’anonymat par crainte de répercussions sur son lieu de travail: « Le système ne devrait pas avoir besoin d’être publiquement humilié pour fonctionner correctement. Mais en ce moment, c’est certainement la roue qui grince qui reçoit l’huile. »
