Mauro Chies, l’ancien PDG des Services de santé de l’Alberta (AHS), a déposé des documents judiciaires pour faire rejeter une poursuite en diffamation intentée contre lui par Rob Anderson, chef de cabinet de la première ministre Danielle Smith. Cette bataille juridique marque un nouveau chapitre dans les tensions persistantes entre les personnes nommées par le politique et les administrateurs de la santé dans le système de soins de santé albertain.
La poursuite porte sur des commentaires que Chies a faits lors d’une conférence de presse en décembre 2022, où il répondait aux allégations selon lesquelles des responsables de l’AHS auraient miné la politique gouvernementale pendant la pandémie de COVID-19. Anderson prétend que ces déclarations ont nui à sa réputation, tandis que Chies maintient que ses remarques étaient factuelles et faites dans le cadre de ses fonctions officielles.
« Les fonctionnaires devraient pouvoir parler franchement de questions d’intérêt public sans crainte de représailles juridiques », a déclaré Emily Laidlaw, professeure de droit à l’Université de Calgary spécialisée dans les affaires de diffamation. « Cette affaire soulève d’importantes questions sur les limites du discours protégé pour les employés du gouvernement. »
Les documents judiciaires que j’ai examinés montrent que Chies a déposé une demande en vertu de la Loi sur la divulgation d’intérêt public de l’Alberta, soutenant que la poursuite devrait être rejetée car elle cible un discours protégé sur des questions d’intérêt public. Cette loi, semblable à la législation anti-SLAPP (poursuites stratégiques contre la participation publique) dans d’autres provinces, vise à prévenir les litiges qui pourraient refroidir le discours public.
Le différend a émergé pendant une période de réorganisation importante au sein du système de santé albertain. La première ministre Smith avait précédemment critiqué la direction de l’AHS pour sa gestion de la réponse à la pandémie, suggérant que certains responsables avaient délibérément sapé les directives gouvernementales concernant les restrictions et les politiques de vaccination.
Dans son affidavit, Chies déclare: « Mes commentaires ont été faits en réponse à des questions directes de journalistes concernant de graves allégations contre l’organisation que j’étais chargé de diriger. J’avais à la fois le droit et le devoir d’aborder ces allégations en toute honnêteté. »
La poursuite d’Anderson allègue que les déclarations de Chies l’ont dépeint comme malhonnête et non professionnel. Son équipe juridique soutient que les commentaires sont allés au-delà du commentaire équitable et contenaient des inexactitudes factuelles qui ont nui à sa réputation professionnelle.
L’affaire met en lumière l’équilibre délicat entre la supervision politique et l’indépendance opérationnelle dans les systèmes de santé publique. Dr Noel Gibney, ancien médecin de soins intensifs et analyste de politique de santé, m’a confié: « Les administrateurs de soins de santé doivent maintenir une indépendance professionnelle tout en demeurant responsables devant les élus. Quand cette relation devient conflictuelle, ce sont ultimement les soins aux patients qui en souffrent. »
Les tribunaux albertains sont de plus en plus appelés à résoudre les tensions entre le gouvernement provincial et les autorités sanitaires. Depuis 2022, au moins trois affaires majeures impliquant des responsables de l’AHS ou des médecins ont fait leur chemin dans le système juridique, reflétant des défis de gouvernance plus profonds.
L’Association médicale de l’Alberta a exprimé son inquiétude quant à l’effet paralysant que de telles poursuites pourraient avoir sur les professionnels de la santé qui s’expriment publiquement sur des problèmes systémiques. « Les leaders médicaux doivent se sentir en sécurité lorsqu’ils fournissent des évaluations honnêtes sans crainte de conséquences juridiques », indique leur déclaration publiée le mois dernier.
Les experts juridiques suggèrent que l’affaire pourrait dépendre de la question de savoir si les déclarations de Chies sont qualifiées de commentaire équitable sur des questions d’intérêt public. La Cour suprême du Canada a précédemment établi des protections robustes pour ce type de discours dans des arrêts marquants comme Grant c. Torstar Corp.
Le juge Colin Feasby a prévu une audience le mois prochain pour examiner la demande de rejet de Chies. Si l’affaire devait aller jusqu’au procès, elle impliquerait probablement le témoignage de plusieurs responsables de l’AHS et l’examen des communications internes pendant la période de réponse à la pandémie.
Cette bataille juridique se déroule dans un contexte de réforme continue des soins de santé en Alberta, y compris la restructuration de la gouvernance de l’AHS et une attention renouvelée sur la réduction des temps d’attente. Les critiques soutiennent que ces conflits détournent l’attention des défis urgents de prestation de soins de santé auxquels fait face la province.
Pour les travailleurs de la santé de première ligne, ces différends de haut niveau ajoutent une couche supplémentaire de complexité à un système déjà sous pression. « Nous essayons de nous concentrer sur les soins aux patients pendant que la direction est prise dans ces batailles politiques et juridiques », a déclaré une infirmière des urgences qui a demandé l’anonymat en raison de préoccupations concernant les répercussions sur son lieu de travail.
À l’approche de la date d’audience, les deux parties continuent de préparer leurs arguments dans une affaire qui pourrait établir d’importants précédents sur la façon dont les fonctionnaires communiquent pendant les crises sanitaires. Quel que soit le résultat, la poursuite souligne la nature de plus en plus politisée de l’administration des soins de santé en Alberta et soulève des questions sur la façon dont les désaccords entre la direction politique et opérationnelle devraient être résolus.