Près des deux tiers des Canadiens cherchent des preuves plus concrètes avant d’accepter pleinement les affirmations concernant les tombes anonymes à l’ancienne école résidentielle indienne de Kamloops, selon un récent sondage qui a intensifié une conversation nationale déjà délicate.
L’enquête, menée par Maru Public Opinion, a révélé que 64% des répondants estiment qu’une enquête supplémentaire est nécessaire pour vérifier l’annonce de 2021 selon laquelle un radar à pénétration de sol avait détecté ce qui semblait être 215 tombes non marquées sur le site. Cette conclusion intervient alors que la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc poursuit ses travaux et n’a pas encore publié son rapport technique final sur la découverte qui a choqué la nation il y a deux ans.
« Ce que nous voyons n’est pas nécessairement du déni, mais plutôt des Canadiens qui se demandent comment traiter ce qui serait l’une des révélations les plus profondes de notre histoire nationale, » explique Dr. Karla Thompson, historienne à l’Université de Colombie-Britannique spécialisée dans les relations entre Autochtones et colons. « Les gens veulent de la certitude avant d’intérioriser pleinement ces vérités douloureuses. »
Les résultats du sondage arrivent à un moment particulièrement délicat. Les dirigeants de Tk’emlúps te Secwépemc ont répété à plusieurs reprises qu’ils ont besoin de temps pour compléter leur travail avec dignité et selon les protocoles culturels. Leur approche implique une consultation minutieuse avec les familles et communautés touchées avant de publier des résultats complets.
La Cheffe Rosanne Casimir a répondu aux demandes des médias plus tôt ce mois-ci, soulignant l’importance d’une enquête approfondie et respectueuse. « Nous comprenons l’intérêt du public, mais nous devons privilégier un travail fait correctement plutôt que rapidement, » a-t-elle déclaré. « Ce ne sont pas seulement des artefacts historiques mais potentiellement les lieux de repos d’enfants dont les familles sont toujours en deuil. »
Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a enregistré 4 118 enfants décédés dans des pensionnats à travers le Canada. Les experts croient que le nombre réel pourrait être significativement plus élevé en raison de la tenue incomplète des dossiers et de la destruction délibérée de documents.
Murray Sinclair, qui a présidé la Commission de vérité et réconciliation, a mis en garde contre l’exigence de preuves d’une manière qui rejette les expériences autochtones. « L’histoire des pensionnats au Canada en est une où les preuves ont été systématiquement détruites, » a-t-il noté dans une récente entrevue à Radio-Canada. « S’attendre à une documentation parfaite d’un système conçu pour cacher ses crimes, c’est mal comprendre le problème fondamental. »
Le sondage a également révélé d’importantes différences régionales et démographiques dans les perspectives canadiennes. Les répondants du Québec ont montré le plus grand scepticisme, 72% demandant plus de preuves, tandis que les résidents de la Colombie-Britannique étaient plus susceptibles d’accepter les conclusions initiales, 41% estimant qu’aucune preuve supplémentaire n’était nécessaire.
Les Canadiens de moins de 35 ans étaient nettement plus enclins à accepter les résultats préliminaires du radar par rapport à ceux de plus de 55 ans, suggérant un fossé générationnel dans la façon dont ces révélations historiques sont traitées.
Marc Edwards, qui a participé au sondage, a expliqué sa position : « Je ne remets pas en question que des choses terribles se sont produites dans les pensionnats. C’est un fait établi. Je veux juste comprendre exactement ce que nous avons trouvé avant de tirer des conclusions sur ces sites spécifiques. »
Les défenseurs autochtones notent que le scepticisme concernant les tombes anonymes rouvre des blessures pour les survivants. « Chaque fois que ces questions surgissent, les survivants revivent un traumatisme, » affirme Linda Gray, directrice de la Fondation de guérison autochtone. « Ils n’ont pas besoin de radar pour confirmer ce que leurs communautés savent depuis des générations. »
La réponse politique au sondage a été mesurée. La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a reconnu les questions du public mais a réaffirmé l’engagement du gouvernement à soutenir les enquêtes des Premières Nations. « Les communautés doivent mener ce processus selon leurs propres conditions et calendriers, » a-t-elle déclaré lors de la période des questions la semaine dernière.
La cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, a exprimé sa frustration face aux débats continus sur les preuves. « Des enfants sont morts dans ces institutions. Leurs restes n’ont pas été renvoyés chez eux. Ce sont des faits documentés, » a-t-elle déclaré dans un communiqué publié lundi.
Pour les communautés qui mènent des recherches, les défis techniques demeurent importants. Le radar à pénétration de sol fournit des images nécessitant une interprétation experte, et des conditions comme la composition du sol peuvent affecter les résultats. L’excavation complète, bien que potentiellement plus concluante, soulève de profondes préoccupations éthiques et spirituelles pour de nombreuses communautés autochtones.
Sarah Carlton, archéologue spécialisée dans l’investigation non invasive de sites, a expliqué : « Cette technologie montre des anomalies correspondant à des tombes, mais elle ne peut pas vous dire qui y est enterré ou comment ces personnes sont décédées. C’est pourquoi les communautés procèdent prudemment avec des méthodes de vérification supplémentaires. »
Alors que le Canada est aux prises avec ce chapitre de son histoire, le débat reflète des questions plus larges sur la réconciliation et sur les normes de preuve qui prévalent dans le traitement des injustices historiques.
Dr. Thomas Berger, professeur d’études canadiennes à l’Université McGill, observe : « Nous assistons à la collision entre les normes de preuve occidentales et les histoires orales autochtones. La réconciliation exige de trouver un moyen d’honorer les deux tout en reconnaissant les déséquilibres de pouvoir qui ont privilégié l’un par rapport à l’autre. »
Entre-temps, les Tk’emlúps te Secwépemc poursuivent leur travail minutieux, équilibrant l’intérêt public avec leur responsabilité envers ceux qui pourraient reposer dans des tombes anonymes – des enfants dont les histoires, quel que soit le nombre final, représentent un héritage douloureux qui continue de façonner notre identité nationale.