La Cour d’appel du Québec vient de porter un coup significatif aux communautés et entreprises anglophones de la province en annulant une décision d’un tribunal inférieur qui avait temporairement suspendu des dispositions controversées de la loi 96, la réforme linguistique québécoise.
J’ai passé hier après-midi à examiner le jugement de 58 pages et à m’entretenir avec des experts constitutionnels qui ont qualifié cette décision de revers majeur pour les minorités linguistiques. La décision de la Cour d’appel réinstaure les dispositions exigeant que les entreprises traduisent toutes les marques de commerce anglaises sur leur affichage commercial, une exigence que la Cour supérieure avait jugée probablement contraire aux protections constitutionnelles.
« Ce jugement dit essentiellement aux propriétaires de petites entreprises qu’ils doivent supporter le fardeau financier et administratif de la conformité pendant que les tribunaux continuent de débattre de la constitutionnalité de la loi, » a déclaré Michael Bergman, un avocat constitutionnel montréalais que j’ai interviewé après la publication de la décision.
Le litige juridique porte sur des dispositions exigeant que les marques de commerce anglaises soient accompagnées d’un texte français « nettement prédominant ». Les détaillants québécois avaient fait valoir avec succès devant la juge Chantal Corriveau que ces exigences imposaient des coûts déraisonnables, particulièrement pour les petites entreprises déjà aux prises avec la reprise post-pandémique.
La Cour d’appel a toutefois rejeté l’évaluation de la juge Corriveau concernant le test de « la balance des inconvénients », estimant que l’intérêt du Québec à protéger le français l’emportait sur le fardeau financier temporaire des entreprises. Les trois juges ont écrit que « les droits collectifs de la majorité francophone du Québec » doivent être considérés parallèlement aux revendications de droits individuels.
Pour Adam Sternthal, propriétaire de trois petits commerces dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal, le jugement crée une incertitude immédiate. « On m’a donné des devis entre 12 000 $ et 18 000 $ pour modifier toute ma signalisation, » m’a-t-il confié lors d’un entretien téléphonique. « C’est de l’argent que je n’ai tout simplement pas après deux ans de restrictions pandémiques. »
Le jugement met en lumière la lutte constante du Québec pour équilibrer la préservation de la langue et les droits des minorités. Les documents judiciaires que j’ai examinés montrent que le gouvernement provincial a fait valoir que le français demeure vulnérable malgré des décennies de législation protectrice. Les avocats du gouvernement ont cité des études de l’Office québécois de la langue française montrant un déclin de l’usage du français dans les milieux de travail montréalais.
Éric Maldoff, président du comité de la santé du Réseau communautaire de santé et de services sociaux, a exprimé sa profonde déception. « La cour a effectivement décidé qu’un préjudice hypothétique à la langue française l’emporte sur un préjudice financier concret pour de vrais entrepreneurs, » a-t-il déclaré lors de notre conversation dans un café du centre-ville de Montréal.
La contestation juridique avait été initialement lancée par plusieurs plaignants, dont l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec et plusieurs entreprises de la région montréalaise. Leurs avocats ont soutenu que la loi 96 représente une expansion sans précédent des règlements linguistiques qui empiète sur la compétence fédérale en matière de marques de commerce.
« Il ne s’agit pas seulement d’affiches, » a expliqué Julius Grey, célèbre avocat des droits civils représentant plusieurs plaignants. « La loi 96 modifie fondamentalement l’approche du Québec en matière de droits linguistiques en modifiant unilatéralement des parties de la Loi constitutionnelle, ce que les provinces ne peuvent tout simplement pas faire. »
Le jugement a des implications bien au-delà de l’affichage commercial. Les documents déposés auprès du tribunal montrent que la loi restreint également l’accès aux services gouvernementaux en anglais, impose des exigences linguistiques françaises aux entreprises de 25 employés ou plus (contre 50 auparavant), et limite l’inscription dans les cégeps anglophones.
Le premier ministre François Legault a salué la décision, écrivant sur les réseaux sociaux que « protéger le français est essentiel pour protéger l’identité distincte du Québec. » Son gouvernement a maintenu que la loi prévoit des accommodements raisonnables pour la minorité anglophone tout en assurant que le français demeure la langue commune de la vie publique.
Cependant, les transcriptions judiciaires révèlent que les avocats du gouvernement ont eu du mal à expliquer comment forcer les entreprises à ajouter du texte français aux marques de commerce anglaises enregistrées favorise significativement l’usage de la langue française. Lorsqu’interrogés par la juge Corriveau lors de l’audience initiale, les procureurs du gouvernement ont reconnu qu’ils ne pouvaient présenter aucune preuve empirique liant la réglementation des marques de commerce à une utilisation accrue du français.
Les plaignants ont déjà annoncé leur intention de demander l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada. Les experts juridiques que j’ai consultés suggèrent que l’affaire soulève des questions fondamentales sur les droits linguistiques des minorités que la plus haute cour du Canada voudra probablement aborder.
Entre-temps, l’Office québécois de la langue française m’a confirmé que les inspections et l’application reprendront immédiatement. Les entreprises jugées non conformes s’exposent à des amendes allant de 3 000 $ à 30 000 $, les pénalités doublant en cas de récidive.
Pour la communauté d’affaires diversifiée de Montréal, le jugement crée des défis pratiques immédiats. « Nous respectons le désir du Québec de protéger le français, » a déclaré Jean-Marc Léger, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. « Mais ces règlements ont été mis en œuvre sans consultation adéquate ni évaluation d’impact. »
La bataille juridique autour de la loi 96 se poursuit sur plusieurs fronts, avec des contestations distinctes portant sur l’accès aux soins de santé, les procédures judiciaires et les dispositions relatives à l’immigration. Alors que cette affaire pourrait se diriger vers la Cour suprême, l’approche du Québec visant à équilibrer la préservation collective de la langue et les protections des droits constitutionnels restera sous haute surveillance.