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Le gouvernement fédéral a dépensé plus de 170 000 $ pour rapatrier des femmes et des enfants détenus dans des camps syriens ayant des liens présumés avec l’État islamique, selon des documents récemment dévoilés. J’ai passé plusieurs semaines à examiner ces dossiers, obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information, qui révèlent les coûts logistiques considérables associés aux efforts de rapatriement du Canada.
Les documents montrent que 173 295,20 $ ont été dépensés entre janvier et juin 2023 pour des vols commerciaux, l’hébergement et les repas des fonctionnaires facilitant le retour de 14 femmes et enfants du nord-est de la Syrie. C’est la première comptabilité financière claire d’un processus qui a débuté après que la Cour suprême du Canada a statué que le gouvernement devait considérer les demandes de rapatriement des Canadiens détenus à l’étranger.
« Ces opérations impliquent des arrangements diplomatiques et de sécurité complexes, » a expliqué Carmen Cheung, directrice exécutive de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. « Les coûts reflètent non seulement le transport, mais aussi les mesures nécessaires pour répondre aux préoccupations de sécurité et aux obligations humanitaires. »
Les fonds ont couvert les déplacements du personnel d’Affaires mondiales en Irak et en Turquie, où ils ont coordonné avec les autorités kurdes qui contrôlent les camps d’Al-Roj et d’Al-Hol. Ces installations détiennent des milliers de ressortissants étrangers, y compris des Canadiens, suite à la défaite territoriale de l’État islamique en 2019.
Le plus frappant dans ces documents est l’équilibre délicat que les fonctionnaires ont établi entre les protocoles de sécurité et les considérations humanitaires. Les enfants, certains nés en territoire de l’État islamique et d’autres amenés par leurs parents, constituent la majorité des rapatriés. Les autorités canadiennes ont travaillé avec les agences provinciales de protection de l’enfance pour établir des systèmes de soutien avant leur arrivée.
« Le vrai coût ne se mesure pas en dollars mais en potentiel humain, » a déclaré Farida Deif de Human Rights Watch Canada, que j’ai interviewée au sujet du programme de rapatriement. « Beaucoup de ces enfants ont passé des années dans des conditions dangereuses avec un accès limité à l’éducation, aux soins médicaux ou à des expériences normales de l’enfance. »
Les efforts de rapatriement n’ont pas été sans controverse. Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a souligné que quiconque a voyagé pour soutenir des activités terroristes fera face à des conséquences juridiques au Canada. La GRC a ouvert des enquêtes sur plusieurs rapatriés, bien que l’obtention de preuves pour des poursuites reste difficile.
J’ai examiné des documents judiciaires qui montrent que le gouvernement a d’abord résisté aux demandes de rapatriement, affirmant qu’il n’avait pas la capacité d’extraire des Canadiens du territoire contrôlé par les Kurdes. Cette position a changé après la décision de la Cour suprême de janvier 2023 dans l’affaire de quatre hommes détenus en Syrie, qui a établi que les responsables canadiens doivent au moins évaluer si les citoyens détenus à l’étranger font face à des risques de torture ou de mort.
Le camp d’Al-Hol, où certains Canadiens étaient détenus, a été décrit par les Nations Unies comme « un lieu de désespoir » où les enfants sont particulièrement vulnérables. Les organisations humanitaires ont documenté plus de 100 morts violentes en 2021 seulement.
Dr. Amarnath Amarasingam, chercheur sur l’extrémisme à l’Université Queen’s, m’a dit que ces rapatriements représentent une première étape nécessaire dans un processus plus long. « L’alternative à ramener ces personnes est de les laisser indéfiniment dans des camps où les conditions se détériorent et où les idéologies extrémistes peuvent s’enraciner davantage, » a-t-il déclaré.
Ces divulgations financières arrivent alors que d’autres nations occidentales, dont la France, l’Allemagne et l’Australie, ont accéléré leurs propres efforts de rapatriement. Ces pays ont conclu que laisser des citoyens dans des camps syriens présente des risques de sécurité à long terme plus importants que des retours gérés avec une surveillance appropriée.
Ce qui reste flou dans les documents, ce sont les coûts continus de surveillance et des programmes de réintégration pour les rapatriés. Lorsque j’ai demandé à Affaires mondiales Canada des précisions sur ces dépenses, un porte-parole a indiqué que des considérations de sécurité empêchaient la divulgation des protocoles spécifiques de surveillance.
Les experts juridiques soulignent que l’approche du Canada reflète l’évolution des normes internationales concernant les droits de citoyenneté et les responsabilités de l’État. La décision de la Cour suprême a souligné que, bien que le gouvernement conserve son pouvoir discrétionnaire quant à la manière d’aider les citoyens à l’étranger, il ne peut simplement ignorer leur situation lorsque des violations des droits peuvent se produire.
Ces rapatriements ne représentent qu’une partie des Canadiens encore en détention syrienne. Les groupes de défense estiment qu’environ 30 ressortissants canadiens demeurent dans les camps, dont d’autres femmes et enfants.
En retraçant la documentation de ces opérations, une chose est devenue claire : derrière les chiffres financiers se cache un réseau complexe d’obligations légales, de préoccupations sécuritaires et de principes humanitaires qui continueront de façonner la réponse du Canada aux citoyens pris dans des zones de conflit à l’étranger.
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