Dans ce qui semblait impensable il y a quelques mois, l’ancien président américain Donald Trump et le président russe Vladimir Poutine se sont assis face à face à une table en acajou à Anchorage hier, entourés de leurs délégations respectives, avec en toile de fond les montagnes enneigées de l’Alaska. Ce sommet, organisé à la hâte suite aux revers militaires ukrainiens, marque les premières négociations de paix directes entre les deux dirigeants depuis le début de l’invasion russe à grande échelle.
« Nous faisons des progrès énormes, vraiment énormes, » a déclaré Trump lors de la brève séance photo accordée aux journalistes avant le début des sessions à huis clos. Poutine, plus réservé, s’est contenté d’un léger hochement de tête tout en maintenant l’attitude stoïque qui caractérise ses apparitions publiques tout au long des 30 mois de conflit.
La simple image de cette rencontre a immédiatement suscité la controverse à Washington. Le sénateur Lindsey Graham a qualifié la réunion de « capitulation prématurée », tandis que le leader de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, a remis en question l’autorité constitutionnelle d’un ancien président pour mener une diplomatie de cette ampleur. La Maison Blanche a publié une déclaration laconique soulignant que Trump « ne représente que lui-même, pas le gouvernement américain. »
Pour les Ukrainiens qui suivent depuis Kyiv, le sommet évoque à la fois espoir et crainte. « Ils décident de notre sort sans nous à la table, » a déclaré Oleksandra Matviichuk, qui dirige le Centre pour les libertés civiles, lauréat du prix Nobel de la paix pour avoir documenté les crimes de guerre russes. « On a l’impression de revivre Munich 1938. »
Selon des sources proches des discussions préliminaires, le cadre général en discussion comprend un cessez-le-feu le long des lignes de front actuelles, la Russie conservant environ 20% du territoire ukrainien. En échange, l’OTAN formaliserait un moratoire sur l’adhésion de l’Ukraine pour au moins 25 ans.
« Poutine obtient exactement ce qu’il voulait depuis le début, » a déclaré Michael McFaul, ancien ambassadeur américain en Russie sous l’administration Obama. « Ce n’est pas la paix, c’est une capitulation déguisée en diplomatie. »
Le calendrier du sommet coïncide avec des développements critiques sur plusieurs fronts. Au Congrès, les Républicains ont efficacement bloqué de nouvelles aides à l’Ukraine, tandis que des sondages récents du Chicago Council on Global Affairs indiquent que le soutien du public américain à l’assistance militaire continue est passé sous la barre des 50% pour la première fois. Pendant ce temps, les forces ukrainiennes ont été repoussées sur le front est, perdant des positions stratégiques dans le Donetsk et faisant face à des pénuries de munitions que les analystes militaires décrivent comme « critiques. »
La réponse européenne a été fragmentée. Le chancelier allemand Olaf Scholz a prudemment salué « toute initiative diplomatique » tandis que le président français Emmanuel Macron a publiquement remis en question la légitimité des pourparlers. La Pologne et les États baltes ont publié une déclaration commune mettant en garde contre « la paix à tout prix. »
Les marchés de l’énergie ont immédiatement réagi à la nouvelle du sommet, les contrats à terme sur le gaz naturel chutant de 12% sur les bourses européennes. « Les marchés anticipent la fin de l’incertitude liée à la guerre, » a expliqué Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie. « Mais ils sont peut-être prématurément optimistes quant à la mise en œuvre effective de tout accord. »
Les experts militaires restent sceptiques quant à la durabilité d’un accord. « Aucun des deux camps n’a atteint ses objectifs fondamentaux, » a déclaré le général à la retraite Ben Hodges, ancien commandant général de l’armée américaine en Europe. « La Russie veut une soumission totale de l’Ukraine, et l’Ukraine veut son intégrité territoriale complète. Un conflit gelé profite à Moscou tout en laissant Kyiv perpétuellement vulnérable. »
Depuis les tranchées près de Kramatorsk, le soldat ukrainien Maksym Petrenko a exprimé un sentiment partagé par beaucoup de ses compatriotes : « Nous n’avons pas combattu pendant deux ans et demi pour abandonner nos terres. Si les politiciens cèdent notre territoire, ils trahissent le sang de chaque Ukrainien mort pour le défendre. »
La motivation de Trump pour organiser ces pourparlers reste un sujet de spéculation intense. Certains analystes évoquent son désir de renforcer ses références de pacificateur avant l’élection de novembre, tandis que d’autres suggèrent qu’il prépare le terrain pour un potentiel second mandat. L’absence de responsables américains actuels crée une dynamique diplomatique sans précédent.
« C’est complètement non orthodoxe, » a noté Richard Haass, président émérite du Council on Foreign Relations. « Un simple citoyen, bien qu’ancien président, mène une diplomatie aux enjeux considérables qui pourrait fondamentalement modifier l’architecture de sécurité européenne. »
Pour les habitants des territoires occupés comme Melitopol et Marioupol, le sommet génère des émotions complexes. « Bien sûr que nous voulons que les bombardements cessent, » a déclaré Dmytro, un enseignant qui a fui Marioupol en 2022 et a demandé que son nom de famille soit gardé confidentiel pour des raisons de sécurité. « Mais l’occupation russe permanente signifie absence de liberté, disparition de la langue ukrainienne, et impossibilité de retour pour des millions de réfugiés. »
Alors que la neige tombait doucement à l’extérieur du pavillon isolé d’Alaska où se poursuivent les négociations, le sommet représente soit une percée historique, soit une dangereuse capitulation — tout dépend entièrement de la perspective et, plus important encore, de la nationalité de chacun. Ce qui reste indéniable, c’est que l’avenir de l’Europe de l’Est est en train d’être reconfiguré en temps réel, avec des conséquences qui se répercuteront pendant des générations.