Les agents de bord d’Air Canada ont abandonné leurs chariots de service pour prendre des pancartes ce matin alors qu’environ 10 000 membres d’équipage de cabine ont débrayé à l’échelle nationale après l’échec des négociations entre leur syndicat et la compagnie aérienne durant la nuit.
Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente ces travailleurs, a confirmé que la grève a commencé à minuit une minute après des mois de discussions de plus en plus tendues qui n’ont pas abouti à un accord sur des questions clés, notamment les salaires, les horaires et les conditions de travail.
Pour les voyageurs du plus grand réseau de transport aérien du Canada, la grève entraîne d’importantes perturbations en pleine saison estivale, affectant potentiellement des dizaines de milliers de passagers chaque jour. Air Canada a déjà annoncé son intention de fonctionner à environ 55 % de sa capacité, en privilégiant les routes principales tout en annulant de nombreux vols régionaux et internationaux.
« Nous avons été poussés à cette extrémité après des années de sacrifices pendant la pandémie et après avoir vu l’entreprise redevenir rentable sans répondre aux préoccupations fondamentales des employés, » a déclaré un représentant du SCFP à l’aéroport international Pearson de Toronto, où des centaines d’agents de bord ont formé des piquets de grève avant l’aube.
Le moment ne pourrait être plus difficile pour l’écosystème du voyage au Canada. Août représente l’un des mois les plus rentables pour l’industrie aérienne, avec les voyages de vacances encore en plein essor et les déplacements professionnels qui commencent leur hausse saisonnière. Les analystes financiers estiment qu’Air Canada pourrait perdre entre 15 et 20 millions de dollars par jour pendant l’arrêt de travail.
Ce qui rend cette action syndicale particulièrement significative, c’est la façon dont elle expose les tensions économiques profondes qui remodèlent le paysage du travail post-pandémique au Canada. Les agents de bord, qui ont accepté d’importantes concessions pendant la COVID-19 lorsque les voyages aériens se sont effondrés, se retrouvent maintenant à l’avant-garde des travailleurs exigeant des ajustements de rémunération qui reflètent à la fois l’inflation actuelle et leurs contributions au redressement de l’entreprise.
Air Canada a déclaré un bénéfice de 2,1 milliards de dollars en 2023, un revirement spectaculaire par rapport aux pertes pandémiques. Pourtant, les travailleurs de première ligne affirment que cette prospérité n’a pas été équitablement répartie.
« Quand nous perdions des millions chaque jour pendant la COVID, nous avons tous serré la ceinture, » note l’analyste de l’industrie aérienne Cameron Reid de Transport Market Intelligence. « Maintenant que les revenus se sont rétablis, il y a un débat légitime sur la façon dont ces gains devraient être partagés entre les actionnaires, les dirigeants et les employés qui sont en contact direct avec les clients. »
Pour l’économie canadienne au sens large, la grève introduit des complications au-delà des perturbations de voyage. Les opérateurs touristiques, les organisateurs de conférences et les secteurs d’activité qui dépendent d’une connectivité aérienne fiable subissent tous les effets d’une capacité réduite.
Le gouvernement fédéral a jusqu’à présent résisté aux appels visant à légiférer pour que les travailleurs reprennent leur emploi, le ministre du Travail Seamus O’Regan déclarant que « les meilleures ententes se font à la table des négociations. » Cette approche non interventionniste marque un changement par rapport aux interventions fédérales précédentes dans les conflits de travail dans les transports et reflète l’évolution des calculs politiques concernant le pouvoir de négociation des travailleurs sur le marché du travail tendu du Canada.
Ce qui est particulièrement intéressant dans ce conflit, c’est la façon dont il met en évidence l’évolution de la nature du travail de service dans notre économie. Les agents de bord – autrefois présentés principalement comme des prestataires de service à la clientèle – ont de plus en plus mis l’accent sur leurs rôles essentiels en matière de sécurité à bord des avions. Cette reformulation s’inscrit dans le cadre de discussions plus larges sur la façon dont nous valorisons les travailleurs essentiels après la pandémie.
« Il y a eu un changement fondamental dans la façon dont les diverses professions sont valorisées, » explique Dr. Yvonne Chen, économiste du travail à l’Université de Toronto. « Les emplois qui étaient auparavant classés comme des postes de ‘compétences relationnelles’ sont maintenant reconnus pour leur expertise technique et leurs fonctions essentielles. Cette grève représente cette remise en question plus large. »
Pour les investisseurs qui suivent Air Canada, cotée à la Bourse de Toronto, l’arrêt de travail introduit de la volatilité après des années de redressement régulier. Le cours de l’action de la société a chuté de 3,8 % hier alors que les probabilités de grève augmentaient, les analystes s’attendant à une pression supplémentaire si le conflit se prolonge au-delà de plusieurs jours.
Des transporteurs alternatifs comme WestJet ont déjà annoncé une capacité accrue sur les routes concurrentes, bien que les experts de l’industrie préviennent que la concentration du marché aérien canadien signifie que les alternatives restent limitées pour de nombreux voyageurs.
Au-delà des perturbations immédiates, cette action syndicale a des implications pour les tendances plus larges de croissance des salaires au Canada. Après des années de compression salariale suite à la pandémie, 2024 a vu des positions de négociation plus agressives dans plusieurs secteurs.
Les données de la Banque du Canada montrent une croissance des salaires moyenne de 4,2 % au premier semestre 2024, dépassant l’objectif d’inflation de 2 % de la banque, mais reflétant ce que de nombreux travailleurs décrivent comme des augmentations de rattrapage après des années de retard sur la croissance des prix à la consommation.
Pour les voyageurs pris entre deux feux, Air Canada a mis en place un portail de réservation et affirme avoir contacté les passagers concernés. Cependant, les réseaux sociaux et les terminaux d’aéroport racontent une histoire différente, avec de nombreux rapports faisant état de lacunes de communication et de longs temps d’attente pour obtenir de l’aide.
La question est maintenant de savoir combien de temps les deux parties peuvent maintenir leurs positions. Les représentants du SCFP indiquent que les fonds de grève peuvent soutenir les membres « aussi longtemps que nécessaire », tandis que le plan d’exploitation partielle d’Air Canada suggère une préparation à une perturbation potentiellement prolongée.
Les efforts de médiation se poursuivant, le différend repose en fin de compte sur la recherche d’un point d’équilibre entre la rentabilité de l’entreprise, la rémunération de la main-d’œuvre et le besoin du public voyageur d’un service fiable.
Pour l’histoire de la reprise économique du Canada, la façon dont ce différend de haut profil sera résolu pourrait indiquer si la prospérité post-pandémique sera plus largement partagée que les cycles économiques précédents – ou si nous revenons à des modèles familiers de gains concentrés.