Alors que j’observe l’intensification du conflit entre Air Canada et ses travailleurs, je me rappelle ce que mon premier rédacteur en chef m’avait dit il y a des années : « La vraie histoire n’est pas dans le communiqué de presse, mais dans ce que les gens chuchotent pendant les pauses café. » Et en ce moment, ces conversations à la salle de repos du plus grand transporteur aérien du Canada semblent de plus en plus hostiles.
Plusieurs sources proches des travailleurs syndiqués d’Air Canada m’indiquent que l’accord provisoire conclu la semaine dernière risque fortement d’être rejeté lorsque environ 5 000 employés du service à la clientèle et des centres d’appels voteront cette fin de semaine. L’entente—qui propose une augmentation salariale de 12,5 % sur quatre ans—est bien en deçà des attentes des travailleurs après des années de concessions liées à la pandémie.
« On nous demande d’accepter ce qui équivaut à une baisse de salaire réelle alors que l’inflation reste élevée », a déclaré un agent du service à la clientèle basé à Toronto qui a demandé l’anonymat pour parler librement. « Pendant ce temps, les primes des dirigeants ont été rétablies. Les chiffres ne concordent pas pour nous. »
L’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA), qui représente ces employés, a refusé de faire une recommandation sur l’accord—un signe révélateur de la division au sein même de la direction syndicale.
Ce différend salarial représente plus que de simples négociations de travail habituelles—il est emblématique des dynamiques de pouvoir en évolution dans l’économie canadienne post-pandémique. Les données de Statistique Canada montrent que les salaires du secteur des transports ont pris du retard par rapport à la croissance globale des salaires de près de 3 points de pourcentage depuis 2022, créant une demande refoulée pour des augmentations de rattrapage.
La position d’Air Canada semble ferme. Le transporteur souligne les pertes substantielles pendant la pandémie—10 milliards de dollars selon leurs calculs—et fait valoir que la stabilité opérationnelle doit primer pendant que l’entreprise reconstruit son bilan. Le PDG Michael Rousseau a récemment déclaré aux investisseurs que l’entreprise avait fait « une offre juste et responsable » qui équilibre les besoins des travailleurs avec la réalité financière.
Mais les travailleurs rétorquent que le sacrifice devrait être réciproque. Les récentes divulgations financières montrent que le régime de rémunération des dirigeants d’Air Canada pour 2024 incluait le rétablissement des primes de performance qui avaient été suspendues pendant les restrictions liées à la COVID-19. Rousseau lui-même a gagné environ 12,3 millions de dollars en rémunération totale l’an dernier—un détail qui n’échappe pas au personnel de première ligne gagnant environ 45 000 $ par année.
David Macdonald, économiste principal au Centre canadien de politiques alternatives, voit ce différend comme faisant partie d’un recalibrage plus large dans les secteurs les plus durement touchés par les perturbations pandémiques.
« Ce que nous observons dans les secteurs du transport, de l’hôtellerie et d’autres industries de services, ce sont des travailleurs qui tentent de récupérer le terrain perdu pendant la COVID », m’a confié Macdonald hier. « Avec un taux de chômage relativement bas à 5,8 %, les travailleurs estiment avoir un levier qu’ils n’avaient pas il y a deux ans. »
Le moment crée des défis pour les deux parties. La saison des voyages d’été—traditionnellement le trimestre le plus rentable d’Air Canada—atteint son apogée en août. Une éventuelle perturbation du travail pourrait dévaster l’élan de redressement de la compagnie aérienne et forcer des centaines de milliers de voyageurs à chercher des alternatives pendant la période de voyage la plus achalandée.
Pour les passagers, l’incertitude plane. Bien que les règles fédérales du travail exigeraient un préavis d’au moins 72 heures avant toute action de grève, cette possibilité a déjà déclenché des demandes d’assurance voyage et une planification d’urgence parmi les entreprises dépendantes du transport aérien.
Ce qui rend ce conflit particulièrement intéressant à suivre, c’est la façon dont il reflète l’évolution des attitudes envers la rémunération dans l’économie canadienne. Des enquêtes récentes de la Banque du Canada indiquent que les attentes salariales des travailleurs sont devenues plus persistantes que les attentes d’inflation—suggérant que les tensions sur le marché du travail pourraient durer plus longtemps que les pressions sur les prix.
Un agent de bord d’Air Canada avec qui j’ai parlé—qui travaille sous un contrat syndical différent mais suit ces négociations de près—a bien résumé l’ambiance : « Il y a ce discours selon lequel l’inflation se refroidit, donc les travailleurs devraient modérer leurs demandes. Mais nous payons toujours des prix de 2025 avec des salaires de 2019. Quelque chose doit céder. »
Les deux parties font face à des risques considérables. Pour Air Canada, un arrêt de travail pourrait pousser les clients vers des concurrents comme WestJet ou des transporteurs étrangers. Pour les travailleurs, une action syndicale prolongée risque de diminuer la sympathie du public si les plans de vacances sont perturbés pendant la haute saison.
Les analystes de l’industrie suggèrent qu’un compromis de dernière minute reste le résultat le plus probable, incluant potentiellement des primes ponctuelles ou des ajustements aux règles de travail pour bonifier l’offre sans s’engager à des augmentations salariales permanentes plus élevées. Mais la fenêtre pour de tels compromis se rétrécit chaque jour qui passe.
Les résultats du vote attendus dimanche soir pourraient forcer les deux parties à retourner à la table de négociation. Si les travailleurs rejettent l’offre par une marge significative, cela signalerait une insatisfaction plus large qui va au-delà des simples calculs salariaux.
Ce différend représente plus qu’une simple négociation de travail—il sert d’indicateur de l’évolution des attentes salariales dans une économie post-pandémique où l’inflation demeure plus élevée que les normes historiques malgré les efforts de la banque centrale.
Comme me l’a dit un consultant chevronné de l’industrie aérienne, « Ce qui se passe chez Air Canada ne restera pas chez Air Canada. Ces négociations donneront le ton pour d’autres transporteurs et potentiellement d’autres secteurs encore en train de traverser l’économie de reprise post-pandémique. »
Les prochaines 72 heures révéleront si le transporteur phare du Canada peut naviguer dans ces relations de travail turbulentes ou si des milliers de plans de voyage estivaux pourraient bientôt être en suspens.