Le chemin vers l’égalité des genres dans les contributions canadiennes au maintien de la paix a rencontré un obstacle préoccupant. De nouvelles données montrent que la représentation féminine dans nos forces de maintien de la paix de l’ONU est tombée à son niveau le plus bas depuis des années, soulevant des questions sur l’engagement du gouvernement libéral envers son programme de politique étrangère féministe.
Le mois dernier, le contingent canadien de femmes dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU a chuté à seulement 12 personnes, soit à peine 8,5% de notre personnel total de maintien de la paix. Cela représente le pourcentage le plus bas depuis que le gouvernement Trudeau a lancé son Initiative Elsie pour les femmes dans les opérations de paix en 2017.
Ce déclin survient malgré les promesses répétées d’Ottawa d’accroître la participation des femmes aux opérations de paix. Lors de la conférence ministérielle de l’ONU sur le maintien de la paix à Vancouver en 2016, le premier ministre Trudeau s’était personnellement engagé à ce que le Canada montre l’exemple en matière d’intégration des genres.
« Lorsque les femmes jouent un rôle actif dans la résolution des conflits et les processus de paix, la paix est plus durable, » avait alors déclaré Trudeau aux participants. Son gouvernement a suivi avec un engagement de 15 millions de dollars pour stimuler la participation des femmes à l’échelle mondiale.
Pourtant, six ans plus tard, nos actions racontent une histoire différente de notre rhétorique diplomatique.
Walter Dorn, président de l’Association canadienne de recherche pour la paix et professeur au Collège militaire royal, qualifie les chiffres actuels de « décevants mais pas surprenants. »
« On observe une tendance du Canada à faire des déclarations audacieuses sur les priorités du maintien de la paix sans engagements opérationnels correspondants, » m’a confié Dorn lors d’un entretien téléphonique. « La question de la représentation des genres n’est qu’un symptôme d’un retrait plus large des opérations de l’ONU. »
Le porte-parole du ministère de la Défense, Daniel Le Bouthillier, a confirmé ces chiffres mais a souligné que la contribution du Canada doit être vue dans le contexte des efforts de sécurité internationale plus larges. « Bien que le maintien de la paix de l’ONU reste important, le Canada maintient une représentation féminine substantielle dans les opérations de l’OTAN et d’autres initiatives de sécurité multilatérales, » a-t-il déclaré.
Mais les critiques soulignent que le gouvernement a spécifiquement mis en avant le maintien de la paix de l’ONU dans son cadre de politique étrangère féministe. Monique Cuillerier du Mouvement fédéraliste mondial-Canada suggère que ce décalage révèle un problème de crédibilité.
« On ne peut pas se positionner comme un leader mondial sur les femmes dans le maintien de la paix quand vos chiffres réels de déploiement évoluent dans la direction opposée, » a expliqué Cuillerier. « La communauté internationale remarque ces contradictions. »
Le moment est particulièrement gênant. L’année dernière, le Canada a co-organisé la Conférence ministérielle de l’ONU sur le maintien de la paix à Séoul, où la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, a réaffirmé l’engagement du Canada à accroître la participation des femmes aux opérations de paix.
Qu’est-ce qui explique cette tendance inquiétante? Plusieurs facteurs semblent entrer en jeu.
D’abord, la contribution globale du Canada au maintien de la paix reste modeste – actuellement 141 personnes réparties sur diverses missions. Cette base restreinte rend plus difficile l’atteinte d’un équilibre de genre représentatif, car même de petits changements de personnel peuvent affecter considérablement les pourcentages.
Ensuite, des obstacles structurels persistent au sein des Forces armées canadiennes. Bien que les femmes représentent maintenant environ 16,3% du personnel militaire selon les statistiques récentes des FAC, elles restent sous-représentées dans les rôles de combat qui forment généralement l’épine dorsale des opérations de maintien de la paix.
La colonelle (retraitée) Nishika Jardine, qui dirige maintenant le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle des FAC/MDN, souligne les défis culturels persistants. « L’environnement du maintien de la paix implique souvent un déploiement dans des régions présentant d’importantes préoccupations de sécurité. Nous sommes toujours confrontés à des perceptions institutionnelles et sociétales concernant les femmes servant dans ces environnements à haut risque, » a-t-elle noté.
Plus significativement peut-être, les priorités du gouvernement Trudeau en matière de maintien de la paix ont constamment évolué. Après avoir promis jusqu’à 600 militaires et 150 policiers pour les opérations de l’ONU en 2016, les déploiements réels n’ont jamais approché ces objectifs.
Le récent pivot vers la mission de l’OTAN en Lettonie et d’autres engagements de sécurité européens suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a détourné davantage de ressources des opérations de l’ONU en Afrique et ailleurs, où les Casques bleus canadiens pourraient apporter des contributions significatives.
Sarah Taylor, directrice du programme Femmes, Paix et Sécurité à l’Institut international pour la paix, y voit une tendance plus large. « Le Canada n’est pas seul à lutter pour aligner sa rhétorique de politique étrangère féministe avec les réalités opérationnelles, » a-t-elle déclaré. « Mais étant donné la place prépondérante de l’égalité des genres dans l’image internationale du Canada, l’écart entre les paroles et les actes est particulièrement visible. »
Ce déclin soulève également des questions sur l’influence du Canada dans les institutions multilatérales à un moment critique. Avec l’intensification de la concurrence pour les postes de direction clés à l’ONU, notre crédibilité en matière de maintien de la paix affecte notre position diplomatique plus large.
Pour les femmes dans les zones de conflit, la question va au-delà des statistiques. Les preuves montrent constamment que des forces de maintien de la paix diversifiées protègent mieux les populations civiles, particulièrement les femmes et les filles. Les femmes Casques bleus accèdent souvent aux communautés et recueillent des renseignements d’une manière que leurs homologues masculins ne peuvent pas, surtout dans les régions socialement conservatrices.
Une étude de 2021 de l’Institut Georgetown pour les femmes, la paix et la sécurité a révélé que des proportions plus élevées de femmes dans les missions de maintien de la paix étaient corrélées à une amélioration de l’efficacité des missions et à une réduction des cas d’exploitation et d’abus sexuels par les Casques bleus.
Au Parlement, la question a suscité des préoccupations multipartites. Le critique conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, a noté que « ce gouvernement prend régulièrement des engagements internationaux sans plans de mise en œuvre concrets, » tandis que la critique néo-démocrate de la défense, Lindsay Mathyssen, a qualifié ce déclin de « profondément troublant » et a exhorté à une action corrective immédiate.
Pour les Canadiennes et Canadiens ordinaires qui observent nos contributions internationales, la question devient celle de l’alignement des valeurs. Voulons-nous que notre empreinte de maintien de la paix reflète la diversité que nous célébrons au niveau national?