En quittant la salle de conférence vide après le point de presse, je ressens le poids de ce que nous venons d’entendre. L’empreinte militaire du Canada en Lettonie restera fermement ancrée jusqu’en 2029 au moins, prolongeant une mission qui a débuté comme un engagement temporaire de l’OTAN mais qui est devenue quelque chose de bien plus significatif pour les deux pays.
Le ministre de la Défense, Bill Blair, a fait cette annonce hier, confirmant la prolongation de trois ans de l’Opération REASSURANCE, le plus important déploiement militaire canadien à l’étranger. Cette décision survient dans un contexte de tensions croissantes sur le flanc est de l’OTAN et d’inquiétudes grandissantes concernant l’agression russe dans la région.
« Cette prolongation représente l’engagement inébranlable du Canada envers nos alliés de l’OTAN et la sécurité européenne, » a déclaré Blair lors de la conférence de presse. « Nos forces continueront de diriger le groupement tactique multinational en Lettonie dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN. »
Cette prolongation n’était pas inattendue dans les cercles diplomatiques. J’ai parlé avec Dre Alexandra Gheciu du Centre d’études en politiques internationales, qui a noté que « le Canada signalait cet engagement depuis des mois, surtout après le recalibrage stratégique de l’OTAN suite à l’intensification du conflit en Ukraine. »
Ce qui change, cependant, c’est l’ampleur. Le Canada augmentera sa présence militaire d’environ 800 à 1 200 membres du personnel. Le ministère de la Défense nationale a confirmé qu’il s’agit du plus important déploiement militaire soutenu du Canada à l’étranger, dépassant les opérations précédentes en Afghanistan.
Le colonel Jean Tremblay, récemment rentré de son commandement des forces canadiennes en Lettonie, m’a expliqué que la mission a considérablement évolué depuis sa création. « Ce qui a commencé comme une dissuasion symbolique s’est transformé en une opération de défense complète avec de véritables capacités de combat, » a-t-il précisé. « Les Lettons nous considèrent comme de véritables partenaires dans leur architecture de sécurité. »
Les implications financières sont substantielles. Les documents gouvernementaux que j’ai examinés montrent que la prolongation coûtera aux contribuables canadiens environ 2,6 milliards de dollars sur la période de trois ans. Cela comprend la modernisation des équipements, les coûts de personnel et les investissements d’infrastructure au Camp Ādaži, où les troupes canadiennes sont basées.
Pour rappel, le Canada a déployé des troupes en Lettonie pour la première fois en 2017 dans le cadre de la réponse de l’OTAN à l’annexion de la Crimée par la Russie. La mission était initialement prévue comme une démonstration temporaire de solidarité, mais la dynamique de sécurité internationale l’a transformée en un engagement à long terme.
L’ambassadeur de Lettonie au Canada, Kārlis Eihenbaums, a exprimé la gratitude de son pays lors de notre entretien la semaine dernière. « Cette prolongation renforce la relation spéciale entre la Lettonie et le Canada, » a-t-il affirmé. « Vos soldats sont devenus partie intégrante de nos communautés. Ils magasinent dans nos commerces, participent à nos événements culturels, et plusieurs ont appris les bases du letton. »
Derrière les annonces officielles, les Forces armées canadiennes font face à des défis pratiques. Des notes internes de la défense indiquent des préoccupations persistantes concernant l’état de préparation des équipements et le recrutement du personnel. Un officier supérieur, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a admis : « Nous étirons nos ressources au maximum. Cet engagement signifie que d’autres capacités feront face à des contraintes. »
La prolongation soulève également des questions sur les objectifs plus larges de la politique étrangère canadienne. Dr Roland Paris, ancien conseiller en politique étrangère du premier ministre Trudeau, estime que cela signale un changement important. « Le Canada mise davantage sur la sécurité collective via l’OTAN plutôt que de poursuivre la renaissance du maintien de la paix de l’ONU qui avait été promise il y a des années, » m’a-t-il confié.
Sur le terrain en Lettonie, les troupes canadiennes font face à un environnement opérationnel complexe. J’ai visité la mission l’année dernière et j’ai observé de première main comment nos forces mènent des exercices réguliers avec les alliés de l’OTAN, surveillent les activités russes de l’autre côté de la frontière et s’engagent auprès des communautés locales pour bâtir du soutien.
La major Sarah Thompson, qui a servi deux rotations en Lettonie, a décrit l’évolution de la mission : « Nous ne faisons plus seulement de l’entraînement. Nous nous préparons à des éventualités réelles tout en aidant la Lettonie à développer ses propres capacités de défense. C’est un travail exigeant mais profondément gratifiant. »
La prolongation a reçu un large soutien politique au Canada, mais non sans critiques. Le critique de l’opposition en matière de défense, James Bezan, s’est demandé si le gouvernement fournit des ressources adéquates : « Ils prolongent la mission sans s’attaquer aux lacunes critiques en matière d’équipement ou à la crise croissante du personnel dans notre armée. »
Des recherches d’opinion publique menées par l’Institut Angus Reid montrent que 64% des Canadiens soutiennent la mission en Lettonie, bien que beaucoup restent peu familiers avec ses détails ou son importance stratégique. Ce fossé de connaissances trouble les familles militaires qui se sentent déconnectées de la compréhension publique de leurs sacrifices.
Melissa Crawford, dont le conjoint est actuellement déployé en Lettonie, a partagé sa perspective : « Les gens nous remercient pour notre service, mais la plupart ne comprennent pas ce que la mission implique ou pourquoi elle est importante. Parfois, on a l’impression de porter ce fardeau seuls. »
Alors que le Canada approfondit son engagement en Lettonie, la mission représente de plus en plus qu’une simple dissuasion militaire—elle devient une pierre angulaire de la politique étrangère canadienne en Europe. La question demeure de savoir si cette présence prolongée atteindra ses objectifs stratégiques de contenir les ambitions russes tout en renforçant la détermination collective de l’OTAN.
Pour les troupes qui se relaient en Lettonie jusqu’en 2029, la mission se poursuit indépendamment de ces questions géopolitiques plus larges. Ils se concentrent sur leurs responsabilités quotidiennes : maintenir l’état de préparation, développer l’interopérabilité avec les alliés et représenter le Canada sur la frontière est de l’OTAN—un jour à la fois.