Les ambitions numériques du Québec se heurtent à la dure réalité financière
Les murmures concernant les ambitions numériques du Québec qui s’écrasent contre les récifs de la réalité fiscale se sont transformés en un chœur public retentissant. Alors que les audiences de la Commission Gallant entraient dans leur troisième semaine hier, les révélations sur les dépassements budgétaires ont brossé un tableau préoccupant de la responsabilité aux plus hauts niveaux du gouvernement.
L’ancien ministre de la Transformation numérique, Éric Caire, a témoigné, faisant face à des questions pointues sur sa connaissance des coûts croissants associés aux initiatives de cybersécurité du Québec. Sous serment, Caire a reconnu qu’il était au courant des dépassements budgétaires potentiels dès octobre 2022 – des mois avant que le public ne découvre l’ampleur réelle des erreurs de calcul financières.
« J’ai reçu des rapports indiquant que nous pourrions dépasser les projections initiales, » a témoigné Caire, visiblement mal à l’aise. « Mais l’ampleur totale n’était pas immédiatement claire. »
La commission, dirigée par l’ancien juge Louis Gallant, a été chargée de démêler comment le budget de transformation numérique de la province est passé de 1,2 milliard $ à plus de 2,4 milliards $ en seulement 18 mois. Ce qui avait commencé comme un plan ambitieux pour moderniser l’infrastructure numérique vieillissante du Québec est plutôt devenu un cas d’école de mauvaise gestion fiscale.
Martin Coiteux, président du Conseil du trésor, a suivi les procédures avec une inquiétude visible. « Chaque dollar dépensé au-delà du budget est un dollar détourné de la santé, de l’éducation ou d’autres services essentiels, » a déclaré Coiteux aux journalistes à l’extérieur de la salle d’audience. « Les conclusions de cette commission guideront notre façon de remodeler les mesures de responsabilisation dans tous les ministères. »
Pour les résidents des communautés rurales du Québec, les implications vont au-delà des chiffres budgétaires abstraits. « Ils nous ont promis un meilleur accès en ligne aux services gouvernementaux, » a déclaré Marie Tremblay, qui gère une petite entreprise au Saguenay. « Au lieu de cela, nous nous demandons où tout cet argent est passé alors que nous luttons toujours avec les mêmes systèmes désuets. »
Le témoignage a révélé une déconnexion troublante entre la surveillance ministérielle et la mise en œuvre du projet. Des documents internes présentés lors de l’audience ont montré que le personnel technique avait signalé d’importantes préoccupations de coûts aux chefs de département dès l’été 2022. Ces avertissements semblent s’être arrêtés avant d’atteindre les discussions au niveau du cabinet.
Les critiques de l’opposition se sont emparées de ces révélations. Vincent Marissal de Québec Solidaire n’a pas mâché ses mots : « Ce n’était pas seulement un cas de mauvaise planification. Cela ressemble de plus en plus à une dissimulation délibérée des réalités financières au public et aux autres législateurs. »
La commission a déjà entendu dix-sept témoins, y compris des consultants techniques qui ont décrit une culture « d’expansion continue de la portée » sans révisions budgétaires correspondantes. Un entrepreneur en TI, s’exprimant sous couvert d’anonymat, m’a confié après son témoignage : « C’était comme regarder quelqu’un commander un repas à cinq services en sachant qu’il n’avait que assez d’argent pour une entrée. »
L’intérêt du public pour les audiences a été remarquablement fort, la diffusion en direct de la commission attirant régulièrement plus de 10 000 spectateurs. Les procédures ont touché une corde sensible dans une province où l’efficacité gouvernementale et la responsabilité fiscale demeurent des enjeux brûlants à l’approche des élections municipales de l’année prochaine.
Les analystes budgétaires notent que la composante cybersécurité ne représente qu’une partie du casse-tête plus large de la transformation numérique du Québec. Les initiatives ambitieuses du corridor d’IA et les efforts de modernisation du système de santé de la province pourraient faire l’objet d’un examen accru à la lumière de ces révélations.
Selon les données de Statistique Canada publiées le mois dernier, le Québec dépense déjà 12 % de plus par habitant en technologies de l’information que la moyenne nationale, tout en obtenant des évaluations de satisfaction des services numériques inférieures à celles de l’Ontario voisin.
Pour le premier ministre François Legault, les enjeux politiques ne pourraient être plus élevés. Son gouvernement a fait campagne sur des promesses de modernisation sans dépenses inutiles. Il fait maintenant face à la tâche difficile d’expliquer pourquoi les coûts de transformation numérique ont doublé alors que les améliorations tangibles restent insaisissables pour de nombreux Québécois.
La Commission Gallant devrait se poursuivre pendant encore quatre semaines, avec des hauts fonctionnaires des finances qui devraient témoigner lundi prochain. Le juge Gallant a indiqué que son rapport final comprendra à la fois des conclusions sur la responsabilité et des recommandations pour des réformes structurelles afin de prévenir des dépassements similaires à l’avenir.
Alors que les audiences se poursuivent, la question qui préoccupe beaucoup n’est pas seulement qui savait quoi et quand, mais si les ambitions numériques du Québec peuvent être sauvées dans des contraintes fiscales raisonnables. Pour une province qui tente de se positionner comme un leader technologique nord-américain, les réponses pourraient déterminer si cette vision reste viable ou devient un autre mirage politique coûteux.