Alors que le soleil d’automne projette de longues ombres sur la Colline du Parlement, le mécanisme souvent négligé du régime canadien de sanctions commerciales fait face à une pression sans précédent. Les experts juridiques et les initiés de l’industrie tirent des sonnettes d’alarme de plus en plus urgentes concernant ce qu’ils décrivent comme un système d’application « dangereusement sous-financé » qui menace de saper les engagements internationaux du Canada.
« Nous demandons aux gens de surveiller une frontière avec une lampe de poche alors qu’ils ont besoin de projecteurs, » affirme Martha Connelly, avocate spécialisée en conformité commerciale avec plus de vingt ans d’expérience dans le domaine des sanctions canadiennes. « L’expertise existe, mais les ressources ne correspondent tout simplement pas à l’élargissement du mandat. »
Cet avertissement survient alors que le Canada a considérablement élargi son portfolio de sanctions ces dernières années, ciblant des régimes en Russie, en Iran et au Myanmar, tandis que le financement pour leur application est resté largement stagnant. Selon les allocations du Conseil du Trésor publiées le trimestre dernier, l’unité d’application des mesures économiques spéciales n’a vu qu’une augmentation budgétaire de 3 % malgré une hausse de 47 % des entités sanctionnées nécessitant une surveillance.
J’ai passé la matinée d’hier à une table ronde organisée par l’Association du Barreau canadien, où des avocats spécialisés en commerce de tout le pays se sont réunis à Ottawa pour discuter de ce que beaucoup ont décrit comme une tempête parfaite qui se prépare dans nos capacités d’application des sanctions. Leurs préoccupations transcendent les clivages partisans habituels qui caractérisent tant notre discours politique.
« Il ne s’agit pas de politique, mais de savoir si le Canada pense ce qu’il dit sur la scène mondiale, » explique Dominic Chen, ancien conseiller d’Affaires mondiales Canada et maintenant associé chez Blackwell Trade Advisory. « Quand nous annonçons de nouvelles sanctions en grande pompe mais que nous ne pouvons pas les appliquer correctement, nous signalons aux acteurs malveillants que nos engagements sont peut-être plus symboliques que substantiels. »
Cette tension est particulièrement visible à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui assume une responsabilité importante dans l’interception des marchandises sanctionnées. Les agents avec qui j’ai parlé décrivent une réalité frustrante où des outils de dépistage sophistiqués restent sur les listes de souhaits plutôt qu’en opération.
« Nous essayons de détecter des stratagèmes d’évasion complexes avec des systèmes conçus pour une époque plus simple, » confie un haut responsable de l’ASFC qui a demandé l’anonymat. « Pendant ce temps, ceux qui cherchent à contourner les sanctions emploient des méthodes de plus en plus sophistiquées pour dissimuler les origines et les chaînes d’approvisionnement. »
Les défis auxquels fait face le régime de sanctions du Canada reflètent une tendance plus large où les agences fédérales d’application peinent à suivre le rythme des mandats en expansion. Un récent sondage d’Abacus Data suggère que 72 % des Canadiens soutiennent de fortes sanctions internationales contre les violateurs des droits humains, mais seulement 23 % expriment leur confiance dans l’efficacité du Canada à appliquer ces mesures.
À Windsor, où le commerce transfrontalier constitue le poumon économique de la communauté, les leaders d’affaires locaux expriment une frustration croissante. « Nous voulons faire ce qu’il faut et nous conformer pleinement à toutes les exigences en matière de sanctions, » déclare Juliette Moreau, directrice de la Chambre de commerce régionale de Windsor-Essex. « Mais quand les directives sont floues et que l’application semble incohérente, cela crée une incertitude commerciale inutile. »
Le manque de financement affecte plus que les opérations frontalières. Les unités de renseignement financier chargées de traquer les actifs sanctionnés se disent débordées par le volume de cas. Des documents obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information révèlent que CANAFE, l’unité de renseignement financier du Canada, a signalé son « écart critique de ressources » au ministère des Finances trois fois au cours de l’année dernière.
Pour les Canadiens ordinaires, le monde ésotérique des sanctions commerciales peut sembler éloigné des préoccupations quotidiennes. Pourtant, les implications touchent tout, des investissements des fonds de pension à la disponibilité des biens de consommation, et ultimement notre posture de sécurité nationale.
« Quand nous ne parvenons pas à appliquer correctement les sanctions, nous ne compromettons pas seulement notre politique étrangère, nous permettons potentiellement aux produits de la corruption ou des conflits de circuler dans notre économie, » avertit la sénatrice Pauline Martin, membre du Comité de la sécurité nationale et de la défense.
La situation a créé d’étranges alliances, les groupes d’affaires et les organisations de droits humains trouvant une cause commune. Les deux veulent une application plus prévisible et mieux dotée en ressources, bien que pour des raisons différentes.
Lors des audiences du comité parlementaire le mois dernier, des représentants d’Amnistie Internationale Canada étaient assis aux côtés des dirigeants d’associations industrielles, tous appelant à un financement accru. La communauté d’affaires recherche clarté et cohérence, tandis que les défenseurs des droits souhaitent une application significative des mesures ciblant les auteurs de violations des droits humains.
« Lorsque les sanctions sont correctement appliquées, elles peuvent aider à protéger les populations vulnérables confrontées à l’oppression, » a témoigné Maria Alvarez du Centre canadien pour la justice internationale. « Mais les gestes vides finissent par nuire à ces mêmes populations en créant de faux espoirs. »
Les responsables du ministère des Finances défendent leur approche, soulignant les récents investissements dans l’analyse avancée et la coopération transfrontalière. « Nous développons des outils plus sophistiqués pour identifier les modèles d’évasion, » a déclaré le sous-ministre Richard Groves dans un récent communiqué ministériel. « Mais nous reconnaissons qu’il s’agit d’un domaine où le renforcement des capacités reste essentiel. »
Pourtant, pour ceux en première ligne, l’écart entre la rhétorique et les ressources reste frappant. Les courtiers en douane signalent des retards croissants dans le filtrage des expéditions par rapport à des listes de sanctions de plus en plus complexes. Les banques peinent à surveiller des milliers de sociétés écrans potentielles qui pourraient dissimuler des entités sanctionnées.
« La banque canadienne de taille moyenne ne dispose tout simplement pas des outils nécessaires pour détecter efficacement les contournements sophistiqués des sanctions, » note l’expert en conformité financière Tariq Mohammed. « Les réglementations exigent un niveau d’examen que les ressources actuelles ne peuvent pas fournir. »
Alors que le Parlement se réunit à nouveau la semaine prochaine, plusieurs comités devraient se saisir de la question. Les associations commerciales ont soumis une proposition conjointe appelant à une augmentation de 40 % du financement pour l’application des sanctions, une meilleure coordination entre les agences et des directives plus claires pour les entreprises qui naviguent dans les exigences de conformité.
La question de savoir si ce problème peut gagner du terrain parmi les priorités concurrentes reste ouverte. Mais alors que les tensions mondiales s’intensifient et que le Canada prend des positions de plus en plus audacieuses sur la scène mondiale, l’écart entre nos promesses diplomatiques et nos capacités d’application devient plus conséquent de jour en jour.
Pour l’instant, ceux qui sont responsables du respect des engagements du Canada en matière de sanctions continuent de faire plus avec moins—une situation qui, de l’avis des experts de tout le spectre politique, ne peut pas continuer indéfiniment sans miner notre crédibilité internationale.