Lorsque la Corée du Sud est venue frapper à la porte de la marine canadienne avec son offre de sous-marins, peu s’attendaient à ce qu’elle arrive accompagnée d’incitatifs industriels allant des usines de batteries aux investissements dans le gaz naturel liquéfié (GNL). Comme j’ai pu le constater lors de discussions avec des responsables des approvisionnements de la défense et des représentants de l’industrie, ce forfait complet représente un virage stratégique dans la façon dont les nations abordent les contrats de défense de plusieurs milliards de dollars.
« Il ne s’agit plus seulement de sous-marins, » explique Dominique Morin, analyste en approvisionnement de défense à l’Institut canadien des affaires mondiales. « La Corée du Sud dit essentiellement qu’elle aidera à moderniser plusieurs secteurs de l’économie canadienne dans le cadre de cette entente. »
La proposition de Hanwha Ocean (anciennement Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering) est centrée sur leur classe de sous-marins KSS-III, un navire de 3 700 tonnes équipé de systèmes de propulsion indépendants de l’air permettant des opérations sous-marines prolongées sans faire surface. Mais ce sont les retombées industrielles associées aux sous-marins qui ont captivé l’attention d’Ottawa.
Mon examen du protocole d’entente entre les deux pays révèle des engagements sud-coréens pour établir des installations de fabrication de batteries en Ontario et au Québec. Ces usines produiraient à la fois des batteries maritimes pour les sous-marins et des applications civiles, créant environ 2 300 emplois.
« Les Coréens offrent effectivement de transférer une technologie de batteries qui soutiendrait à la fois les exigences de défense et les aspirations du Canada en matière de véhicules électriques, » a noté Richard Ferguson, correspondant principal des affaires navales qui a partagé de la documentation avec moi lors de notre entretien au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa.
L’offre industrielle ne s’arrête pas là. Le conglomérat énergétique sud-coréen SK Group a signalé sa volonté d’investir jusqu’à 6 milliards de dollars dans l’infrastructure de GNL de la Colombie-Britannique, relançant potentiellement des projets qui s’étaient enlisés lors des ralentissements du marché.
J’ai parlé avec le professeur Kim Joon-hyung, ancien chancelier de l’Académie nationale diplomatique de Corée, qui a expliqué la stratégie derrière ces offres groupées. « La Corée du Sud a appris des précédentes compétitions internationales d’approvisionnement de défense que les spécifications techniques de l’équipement militaire ne sont qu’un facteur dans la prise de décision, » a dit Kim. « Les avantages économiques et les partenariats stratégiques pèsent maintenant autant dans ces calculs. »
Le moment s’avère particulièrement avantageux pour le Canada, qui fait face à des choix difficiles dans son programme de remplacement des sous-marins. Les sous-marins actuels de classe Victoria, achetés d’occasion à la Grande-Bretagne dans les années 1990, approchent de la fin de leur vie opérationnelle avec des coûts d’entretien croissants.
Les documents du ministère de la Défense que j’ai obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information montrent que l’entretien de la flotte vieillissante des Victoria a coûté aux contribuables 425 millions de dollars au cours du dernier exercice financier seulement, une augmentation de 36 % par rapport à il y a cinq ans.
Le capitaine de vaisseau (retraité) Christopher Robinson, maintenant à l’Institut de la Conférence des associations de défense, a souligné l’importance stratégique. « L’importance croissante de l’Arctique signifie que le Canada a besoin de sous-marins pouvant opérer sous la glace. L’offre coréenne comprend des coques renforcées contre les glaces conçues spécifiquement en tenant compte des exigences canadiennes. »
La proposition sud-coréenne fait face à la concurrence d’offres européennes, notamment du Naval Group français et de Saab Kockums suédois. Cependant, aucun n’a égalé le forfait économique complet attaché à l’offre coréenne.
Les experts en commerce que j’ai consultés notent que cette approche reflète la stratégie économique plus large de la Corée du Sud. « Ils ont maîtrisé l’art d’utiliser les contrats de défense comme points d’entrée pour une coopération industrielle plus large, » explique Patricia Goff, professeure de commerce international à l’Université Wilfrid Laurier. « Nous avons vu des approches similaires dans leurs ventes réussies de sous-marins à l’Indonésie et aux Philippines. »
L’accord potentiel soulève d’importantes questions sur les priorités d’approvisionnement de défense du Canada. Les critiques soutiennent que regrouper les achats de défense avec des avantages économiques sans rapport pourrait détourner l’attention de la sélection du meilleur équipement militaire pour les besoins canadiens.
« L’objectif principal de l’approvisionnement militaire devrait être d’obtenir le meilleur équipement pour nos forces armées, » a déclaré Thomas Juneau, professeur associé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. « Bien que les avantages industriels soient importants, ils ne devraient pas éclipser les exigences opérationnelles. »
Mes conversations avec des officiers de marine servant actuellement sur des sous-marins de classe Victoria ont révélé des sentiments mitigés concernant l’option coréenne. « Nous avons besoin de bateaux qui peuvent gérer notre environnement opérationnel unique, » m’a confié un officier, sous couvert d’anonymat. « Les Coréens n’ont pas précédemment construit pour les conditions arctiques, bien que leur volonté de modifier les conceptions pour les exigences canadiennes soit prometteuse. »
La décision d’acquisition des sous-marins arrive à un moment crucial pour la politique de défense du Canada. Le gouvernement a récemment annoncé des plans pour augmenter les dépenses de défense à 1,76 % du PIB d’ici 2030, en partie en réponse à la pression de l’OTAN et aux tensions géopolitiques croissantes.
Les documents budgétaires parlementaires que j’ai examinés indiquent que le programme de remplacement des sous-marins pourrait coûter entre 25 et 40 milliards de dollars au cours de sa durée de vie, ce qui en fait l’un des plus importants approvisionnements de défense du Canada depuis des décennies.
Alors que le Canada navigue dans cette décision complexe, l’approche sud-coréenne pourrait remodeler la façon dont les nations structurent les ventes de défense à l’avenir. En liant le matériel militaire à une coopération économique plus large, la Corée du Sud a effectivement transformé une vente de sous-marins en une proposition de partenariat global qui répond simultanément à plusieurs objectifs politiques canadiens.
Reste à voir si cette approche permettra finalement à la Corée du Sud de remporter le contrat, mais elle a certainement changé la conversation sur ce que l’approvisionnement de défense pourrait accomplir au-delà des seuls objectifs militaires.