À l’ouverture de la session d’automne du Parlement hier, la Chambre des communes a été témoin de ce que plusieurs considèrent comme un moment déterminant dans la politique canadienne – le premier échange en face-à-face entre le Premier ministre Mark Carney et le chef de l’opposition Pierre Poilievre. Cette confrontation très attendue a été à la hauteur des attentes, donnant le ton à ce qui promet d’être des mois de théâtre politique intense.
La chambre bondée bourdonnait d’une énergie nerveuse lorsque Carney s’est levé pour prononcer son discours d’ouverture. Fraîchement revenu d’une série de réunions internationales, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada semblait calme malgré la pression. Plusieurs députés libéraux avec qui j’ai parlé ont décrit un mélange d’anticipation et d’inquiétude quant à la façon dont leur nouveau chef gérerait les attaques notoirement acérées de Poilievre.
« Nous attendions cette confrontation depuis juillet, » a déclaré le vétéran député d’Ottawa-Centre, Yasir Naqvi. « Deux visions complètement différentes pour le Canada s’affrontent enfin là où ça compte le plus – sur le parquet du Parlement. »
Carney a commencé par des assurances économiques, soulignant les données préliminaires de Statistique Canada montrant une croissance modeste au deuxième trimestre. « Les Canadiens nous ont élus pour stabiliser une économie qui déviait de sa trajectoire, » a affirmé Carney, sa précision de banquier évidente alors qu’il citait l’amélioration des chiffres de l’inflation. « Le travail a commencé, mais la véritable sécurité économique exige un effort soutenu. »
Poilievre, connu pour son flair rhétorique et son style combatif, n’a pas tardé à critiquer le gouvernement Carney, âgé de huit semaines. Se levant au milieu des coups de pupitres approbateurs des bancs conservateurs, il a qualifié le nouveau Premier ministre de « non élu, inconnu des Canadiens ordinaires et réticent à faire face à la réalité économique créée par son parti. »
L’échange s’est rapidement centré sur l’abordabilité du logement, Poilievre brandissant un graphique montrant que le prix moyen des maisons a augmenté de 4,8% depuis la convention à la direction libérale. « Monsieur le Président, pendant que le banquier devenu politicien installait son bureau, 12 000 Canadiens de plus ont perdu leur rêve d’accéder à la propriété, » a lancé Poilievre.
Ce qui a frappé de nombreux observateurs, c’est le contraste stylistique entre les deux leaders. Là où Poilievre déployait une rhétorique populiste et des appels émotionnels concernant les « Canadiens ordinaires, » Carney répondait par des explications politiques mesurées et un humour occasionnellement pince-sans-rire. Lorsque Poilievre l’a accusé d’être « déconnecté des familles qui travaillent, » Carney a fait une pause, a retiré ses lunettes et a répondu: « Je ne prendrai aucune leçon sur la compréhension des Canadiens de quelqu’un qui a passé toute sa vie d’adulte dans cet édifice. »
Cet échange représente plus qu’un simple théâtre politique. Il signale d’importantes batailles politiques à venir, particulièrement sur l’économie, la politique climatique et le financement des soins de santé.
En coulisses, les dynamiques sont plus complexes qu’elles n’y paraissent. Des sources au sein du caucus conservateur me confient que Poilievre s’est intensivement préparé pour ces échanges, son personnel compilant des recherches approfondies sur les déclarations passées de Carney durant son temps à la Banque d’Angleterre et dans diverses institutions financières.
« Il y a une reconnaissance que Carney présente un défi différent des précédents leaders libéraux, » a expliqué un stratège conservateur principal qui a demandé l’anonymat pour parler franchement. « On ne peut pas le rejeter comme inexpérimenté ou financièrement analphabète. La stratégie est de le positionner comme l’initié ultime – un banquier défendant le monde des banquiers. »
Les initiés libéraux, quant à eux, semblent confiants dans la capacité de leur nouveau chef à contrer le message populiste de Poilievre. « Mark sait que ses références économiques sont inégalées dans la politique canadienne, » a déclaré un conseiller principal. « Mais il est également conscient que les références seules ne gagnent pas les Canadiens qui luttent avec les factures d’épicerie et les coûts de logement. »
Ce qui était particulièrement intéressant dans l’échange d’hier, c’était d’observer la réaction des députés. Les bancs libéraux, s’ajustant encore à leur nouveau leader après sept ans sous Justin Trudeau, semblaient dynamisés par la performance de Carney. Les députés conservateurs, en revanche, semblaient tester différentes stratégies de réponse – certains se livrant à des interruptions agressives tandis que d’autres prenaient des notes.
Les chefs du NPD et du Bloc Québécois, positionnés en marge de cette nouvelle rivalité, ont eu du mal à s’insérer dans le récit principal. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a tenté de se positionner comme la voix des travailleurs oubliés dans la « bataille des élites, » tandis que le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, a concentré ses interventions sur des questions d’autonomie québécoise dans les plans d’infrastructure du nouveau gouvernement.
Selon le dernier sondage d’Abacus Data publié ce matin, les Canadiens restent divisés sur le nouveau paysage politique, les Libéraux et les Conservateurs étant effectivement à égalité à 34% et 36% respectivement. Le sondage suggère que bien que Carney jouisse de taux de confiance plus élevés en matière de gestion économique (48% contre 41% pour Poilievre), Poilievre mène substantiellement sur « la compréhension des préoccupations des Canadiens ordinaires » (46% contre 32%).
Alors que la session d’automne se déroule, les approches contrastées seront testées face aux développements du monde réel. Le premier budget du gouvernement est attendu en octobre, tandis qu’une stratégie nationale du logement a été promise avant la fin de l’année. Les niveaux d’immigration, les objectifs climatiques et les arrangements de financement des soins de santé avec les provinces se profilent tous comme des points potentiels de friction.
Pour ceux qui observent depuis les capitales provinciales, cette dynamique présente à la fois des opportunités et des défis. La première ministre de l’Ontario, Bonnie Crombie, qui assistait à la session d’hier depuis la tribune, a déclaré aux journalistes par la suite qu’elle espérait que « les préoccupations légitimes des provinces ne se perdront pas dans le drame d’Ottawa. »
Ce qui reste clair, c’est que la politique canadienne est entrée dans un nouveau chapitre. La dynamique Carney-Poilievre représente quelque chose de relativement rare dans notre système parlementaire – deux leaders avec des visions du monde pleinement formées et les compétences de communication pour les articuler clairement, sinon toujours équitablement.
Comme l’a dit un membre du personnel parlementaire de longue date alors que nous regardions les députés sortir hier: « Nous avons maintenant une véritable confrontation d’idées. Espérons simplement qu’ils débattront réellement des enjeux plutôt que de simplement marquer des points. »
D’après ce que nous avons vu hier, les Canadiens pourraient bien avoir les deux.