Les chiffres étaient censés s’additionner correctement. Selon le ministre des Finances de l’Ontario, Peter Bethlenfalvy, la province avançait régulièrement vers l’équilibre fiscal prévu pour 2025. Mais le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario (BRF) vient de jeter un froid sur cette projection, suggérant que la feuille de route financière de la province relève davantage du vœu pieux que de la réalité mathématique.
Dans un rapport publié jeudi, l’organisme de surveillance prévoit que l’Ontario fera face à un déficit de 5,1 milliards de dollars en 2025-2026 – et non le budget équilibré promis par le gouvernement Ford. C’est un écart de plus de 5 milliards entre ce que prétend le gouvernement et ce que calcule le bureau indépendant.
« Il semble y avoir un décalage fondamental entre les plans de dépenses de la province et la réalité du maintien des services publics, » affirme Stephen LeClair, directeur de la responsabilité financière de l’Ontario. « Notre analyse suggère que la trajectoire actuelle ne s’aligne tout simplement pas avec le calendrier d’équilibre budgétaire auquel le gouvernement s’est engagé. »
Le rapport du BRF souligne que, bien que le gouvernement Ford prévoie de limiter la croissance des dépenses de programmes à seulement 1,3 % par année au cours des trois prochaines années, ce taux est nettement inférieur au minimum de 3,7 % nécessaire pour maintenir les niveaux de service actuels tout en tenant compte de la croissance démographique et de l’inflation.
Comment expliquer cet écart massif? L’organisme de surveillance pointe du doigt des projections de revenus optimistes et une restriction des dépenses potentiellement irréaliste dans les calculs du gouvernement.
Le ministère des Finances a rapidement réagi. Un porte-parole du ministre Bethlenfalvy a déclaré que le gouvernement « est respectueusement en désaccord avec les hypothèses du BRF » et reste « confiant dans notre chemin vers l’équilibre. » Ils ont souligné leur bilan en matière de gestion fiscale, notant qu’ils ont constamment dépassé leurs propres projections de déficit ces dernières années.
Ce bras de fer fiscal a des implications réelles pour les Ontariens. Si le BRF a raison, la province fait face à des choix difficiles: soit réduire les services plus profondément que prévu, soit augmenter les impôts, soit abandonner son calendrier d’équilibre budgétaire.
Les soins de santé se trouvent particulièrement dans la ligne de mire. Le BRF prévoit que le maintien des niveaux de service actuels nécessiterait une croissance annuelle de 3,5 % des dépenses de santé. Les plans du gouvernement prévoient seulement 1,9 % – ce qui pourrait entraîner des temps d’attente plus longs et des services réduits alors que la population de l’Ontario vieillit et croît.
L’éducation fait face à des contraintes similaires. Les conseils scolaires de toute la province ont déjà commencé à mettre en garde contre d’éventuelles réductions de programmes et de personnel alors qu’ils sont aux prises avec des augmentations de financement limitées qui ne correspondent ni à l’inflation ni à la croissance des inscriptions.
« On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, » déclare Sheila Block, économiste principale au Centre canadien de politiques alternatives. « Soit les services se détérioreront, soit les projections de déficit sont irréalistes. Les mathématiques ne fonctionnent tout simplement pas autrement. »
Le différend met en lumière la tension fondamentale dans les finances de l’Ontario. La province a l’une des dépenses de programmes par habitant les plus faibles au Canada, tout en maintenant des niveaux d’imposition relativement bas par rapport aux autres provinces.
Cet exercice d’équilibre devient de plus en plus difficile à mesure que les pressions démographiques s’intensifient. La population de l’Ontario croît et vieillit rapidement, et les coûts des soins de santé devraient s’accélérer à mesure que davantage de baby-boomers entrent dans leurs années de besoins les plus élevés.
Le moment de ce désaccord est remarquable. Avec les prochaines élections ontariennes prévues pour 2026, la promesse d’équilibre fiscal du gouvernement Ford représente un engagement politique clé – qui fait maintenant face à d’importants défis de crédibilité.
Ce qui rend ce différend particulièrement intéressant, c’est qu’il ne s’agit pas simplement de prévisions économiques différentes. Le BRF et le ministère des Finances s’accordent largement sur les projections de revenus. Le désaccord fondamental porte sur la question de savoir si la restriction des dépenses du gouvernement est viable sans réductions significatives des services.
« Historiquement, les gouvernements ont tendance à sous-estimer les déficits à l’approche des élections et à les surestimer après avoir gagné, » note Mike Moffatt, économiste à l’Institut Smart Prosperity. « Les incitations politiques autour des prévisions fiscales sont puissantes. »
Pour les Ontariens ordinaires, ce débat technique a des implications pratiques. Si les services se détériorent alors que le déficit persiste, les contribuables obtiennent effectivement le pire des deux mondes – payer pour un équilibre fiscal sans l’atteindre, tout en subissant une réduction des services publics.
Le gouvernement Ford a constamment mis l’accent sur l’abordabilité, en soulignant des mesures comme l’élimination des frais de plaque d’immatriculation et les congés de taxe sur l’essence. Les critiques soutiennent que ces mesures populaires mais coûteuses ont contribué aux défis fiscaux de la province tout en offrant des avantages relativement modestes à la plupart des ménages.
Ce qui se passera ensuite dépendra largement de facteurs économiques échappant au contrôle du gouvernement. Une économie plus forte que prévu pourrait stimuler les revenus et faciliter le chemin vers l’équilibre. À l’inverse, tout ralentissement économique élargirait probablement le déficit au-delà même des projections du BRF.
Alors que l’Ontario navigue dans ces eaux fiscales, une chose devient claire – les chiffres doivent concorder. Que ce soit par des augmentations de revenus, des ajustements de dépenses ou des révisions de calendrier, l’écart entre aspiration et arithmétique devra éventuellement être réconcilié.
Pour l’instant, les Ontariens se demandent quelle vision de l’avenir fiscal de la province s’avérera correcte – et quels services pourraient être en jeu.