J’entre dans le sous-sol du Centre culturel de la Nation Tsleil-Waututh au moment où l’Aîné Ernest George commence à parler. Sa voix remplit la petite salle avec des histoires en hən̓q̓əmin̓əm̓, la langue que sa grand-mère lui a enseignée dans son enfance. Derrière lui, un enregistreur numérique capture chaque mot, préservant ce qui était autrefois interdit.
« Quand j’étais jeune, parler notre langue en dehors de la maison pouvait t’attirer des ennuis, » me confie Ernest pendant une pause de la séance d’enregistrement. « Maintenant, nous courons contre la montre pour sauver ce qui reste. »
Cette scène se déroule à seulement 30 minutes du centre-ville de Vancouver, où la Nation Tsleil-Waututh s’est associée au Conseil culturel des Premières Nations pour numériser et archiver les langues autochtones à travers la Colombie-Britannique—une partie d’un mouvement grandissant qui transforme la préservation linguistique partout au Canada.
Pendant des générations, les langues autochtones ont été systématiquement ciblées pour élimination à travers les pensionnats et les politiques gouvernementales. Aujourd’hui, avec la plupart des quelque 70 langues autochtones du Canada considérées comme en danger, la technologie numérique devient une bouée de sauvetage cruciale dans les efforts de revitalisation.
Tracey Herbert, directrice générale du Conseil culturel des Premières Nations, explique l’urgence: « Toutes les quelques semaines, nous perdons un autre locuteur fluent d’une langue en danger critique. Quand ils nous quittent, ils emportent avec eux un savoir irremplaçable—pas seulement des mots, mais des façons entières de comprendre le monde. »
Le processus de numérisation dont je suis témoin aujourd’hui combine les protocoles culturels traditionnels avec une technologie de pointe. Des équipes enregistrent les locuteurs fluents en audio et vidéo haute définition, capturant non seulement le vocabulaire et la grammaire, mais aussi les chansons, les histoires et les contextes culturels qui donnent à la langue sa profondeur.
Dans le coin, je remarque Cheyenne Cunningham, 23 ans, l’arrière-petite-nièce d’Ernest, qui manipule un équipement d’enregistrement sophistiqué tout en prenant des notes. « Avant la colonisation, nos langues étaient nos bibliothèques, » me dit-elle. « Elles contenaient notre science, notre histoire, notre relation avec la terre. L’archivage numérique nous aide à protéger ce qui reste tout en le rendant accessible aux jeunes générations. »
Le gouvernement canadien a engagé 89,9 millions de dollars sur trois ans pour soutenir les langues autochtones à travers la Loi sur les langues autochtones adoptée en 2019. Ce financement permet aux communautés de déterminer leurs propres priorités de préservation—qu’il s’agisse de créer des dictionnaires numériques, de développer des applications d’apprentissage linguistique, ou de construire des archives sonores comme celle que je visite.
À l’Université de l’Alberta, l’Institut canadien de développement des langues et de l’alphabétisation autochtones (CILLDI) s’est associé à des communautés pour créer des outils numériques adaptés à des langues spécifiques. Leur approche combine l’expertise linguistique avec les connaissances communautaires.
« Les archives numériques les plus réussies ne sont pas seulement des dépôts—ce sont des ressources vivantes que les communautés peuvent accéder et utiliser, » explique Jordan Lachler, directeur du CILLDI. « L’objectif n’est pas la préservation pour les musées; c’est la revitalisation pour l’usage quotidien. »
La technologie déployée va du basique au sophistiqué. Certaines communautés commencent par de simples enregistrements sur téléphones intelligents, tandis que d’autres utilisent des logiciels spécialisés comme SayMore et FLEx, qui aident à organiser des données linguistiques complexes. L’Université de Colombie-Britannique a développé des claviers personnalisés pour les systèmes d’écriture autochtones non pris en charge par la technologie standard.
Ce qui rend ces archives numériques distinctement autochtones, c’est leur structure. Alors que les archives occidentales organisent typiquement l’information par ordre alphabétique ou chronologique, les archives de langues autochtones organisent souvent les connaissances par rapport au territoire, aux saisons, ou aux pratiques culturelles.
« Notre langue ne sépare pas les mots en noms et verbes de la même façon que l’anglais, » explique Marilyn Shirt, gardienne de la langue crie de l’Alberta. « Notre dictionnaire numérique organise les mots par relation et action, reflétant notre vision du monde. La technologie doit s’adapter à notre langue, et non forcer notre langue à s’adapter à la technologie. »
À Iqaluit, le Centre Pirurvik a créé Tusaalanga, une plateforme numérique complète pour apprendre l’inuktitut qui comprend des enregistrements audio, des vidéos et des leçons interactives. Ce qui le rend exceptionnel, c’est la manière dont il préserve les dialectes régionaux et intègre des connaissances culturelles spécifiques aux différentes communautés inuites.
« La langue n’est pas seulement communication—c’est l’identité, » affirme Leena Evic, cofondatrice du centre. « Quand nous numérisons notre langue, nous préservons notre façon de nous voir et notre place dans le monde. »
Les préoccupations de confidentialité et de propriété demeurent des défis centraux. De nombreuses communautés ont mis en œuvre des protocoles numériques pour protéger les connaissances sacrées tout en rendant la langue quotidienne largement disponible. Certaines archives utilisent des systèmes d’accès à plusieurs niveaux, permettant à certaines connaissances culturelles de rester restreintes conformément aux protocoles traditionnels.
Le Conseil national de recherches du Canada a développé des technologies linguistiques autochtones, y compris des systèmes de reconnaissance vocale spécifiquement formés sur les langues autochtones. Cela permet la création d’outils de transcription automatisés qui peuvent traiter des centaines d’heures d’enregistrements d’archives qui, autrement, prendraient des années à transcrire manuellement.
« La technologie seule n’est pas la réponse, » prévient Onowa McIvor, experte en revitalisation des langues autochtones à l’Université de Victoria. « Les archives numériques doivent soutenir—et non remplacer—l’objectif principal de créer de nouveaux locuteurs par l’immersion et la transmission intergénérationnelle. »
Alors que ma journée à la Nation Tsleil-Waututh touche à sa fin, je regarde Ernest examiner certains des enregistrements numériques avec son arrière-petite-nièce. Ils écoutent ensemble sur une tablette, s’arrêtant occasionnellement pour discuter d’un mot ou d’une expression particulière. La technologie crée un pont entre leurs générations, créant un moment de connexion que la grand-mère d’Ernest n’aurait jamais pu imaginer.
« Ces enregistrements me survivront, » dit Ernest doucement. « Mais maintenant, ma langue aussi. »
En quittant le centre culturel, je suis frappé par la façon dont l’archivage numérique représente non seulement une innovation technologique, mais un acte profond de résistance et de guérison. Après des générations de politiques conçues pour effacer les langues autochtones, ces archives numériques créent des dépôts permanents et accessibles de connaissances qui ne pourront plus jamais être enlevés.
Pour les communautés à travers le Canada, l’avenir de leurs langues anciennes inclut désormais des lignes de code, de l’espace serveur et des interfaces numériques—des outils modernes préservant les voix les plus anciennes de ce territoire.