Alors que les clients du Northmart d’Iqaluit poussaient leurs chariots devant des laitues à 12$ et des cartons de lait à 8$ mardi dernier, Alookie Itorcheak s’est arrêtée pour photographier un paquet de cuisses de poulet à 32$. « Voilà contre quoi nous luttons, » m’a-t-elle confié, en ajoutant l’image à un groupe Facebook communautaire où les Nunavummiut documentent des prix alimentaires qui choqueraient la plupart des Canadiens du sud.
À l’approche des élections fédérales de 2024, la sécurité alimentaire s’impose comme l’enjeu quotidien peut-être le plus pressant pour les électeurs du Nunavut. Les prix des épiceries du territoire sont 2 à 3 fois plus élevés que dans le sud du Canada, un panier d’aliments nutritifs pour une famille de quatre coûtant plus de 18 000$ par année selon le rapport HungerCount 2023 de Banques alimentaires Canada.
« Les politiciens débarquent, s’étonnent de nos prix, promettent des solutions, puis rien ne change, » déplore Itorcheak, qui travaille comme représentante en santé communautaire. « Nous sommes fatigués d’être une opportunité photo. »
Le programme fédéral Nutrition Nord Canada, conçu pour réduire les coûts alimentaires dans les communautés nordiques éloignées, fait l’objet de critiques constantes pour son incapacité à résoudre adéquatement le problème. Le budget annuel de 121 millions de dollars du programme n’a pas suivi l’inflation ni la croissance démographique depuis les améliorations majeures de 2018.
Leetia Eegeesiak, directrice du Centre alimentaire communautaire Qajuqturvik à Iqaluit, m’explique que la demande pour leur programme de repas a augmenté de près de 40% depuis 2022. « Certaines familles consacrent 50 à 60% de leurs revenus à l’alimentation seule, » dit-elle. « Le système est fondamentalement brisé. »
Nutrition Nord offre aux détaillants des subventions sur les denrées alimentaires admissibles expédiées vers les communautés nordiques isolées sans accès routier à l’année. Les critiques soutiennent que le programme manque de transparence quant à la façon dont les économies sont répercutées aux consommateurs et ne s’attaque pas aux défis infrastructurels sous-jacents.
Lors d’une étape de campagne à Yellowknife la semaine dernière, le chef conservateur Pierre Poilievre a qualifié l’approche actuelle « d’échec bureaucratique » et promis une refonte complète axée sur le développement des infrastructures nordiques. « Les habitants du Nord n’ont pas besoin de plus de programmes conçus à Ottawa, » a déclaré Poilievre. « Ils ont besoin de routes, de ports et de la capacité à bâtir leur propre économie. »
Le ministre libéral Dan Vandal a défendu le bilan du gouvernement, soulignant la Subvention aux chasseurs-cueilleurs introduite en 2019 et les améliorations pendant la pandémie qui ont ajouté les produits de nettoyage aux articles admissibles. « Nous avons augmenté le financement de Nutrition Nord de 30% depuis notre arrivée au pouvoir, » a noté Vandal, tout en reconnaissant « qu’il reste clairement du travail à faire. »
Le NPD a proposé d’élargir la portée du programme pour inclure les articles ménagers et les matériaux de construction tout en mettant en œuvre des mesures de responsabilisation plus strictes pour les détaillants. « Nous avons besoin de plafonds de prix et de limites de marge bénéficiaire, » a déclaré la candidate néo-démocrate Lori Idlout lors d’une récente réunion communautaire à Rankin Inlet.
Pour de nombreux Nunavummiut, ces promesses politiques sonnent creux après des décennies d’engagements similaires. Les données de Statistique Canada montrent que l’insécurité alimentaire touche environ 57% des ménages au Nunavut – le taux le plus élevé au Canada par une marge considérable.
« La réalité est que toute solution doit aborder plusieurs facteurs simultanément, » explique la Dre Kelly Skinner, chercheuse à l’Université de Waterloo spécialisée dans les systèmes alimentaires nordiques. « Les infrastructures de transport, les impacts du changement climatique, les pénuries de logements, les monopoles de détail – tout est interconnecté. »
La nourriture traditionnelle du terroir reste cruciale pour de nombreuses familles, mais le changement climatique et les coûts élevés de l’équipement de chasse créent des obstacles supplémentaires. Une motoneige peut coûter plus de 15 000$, plus des milliers de dollars pour le carburant, l’entretien et les fournitures.
L’Association inuite Qikiqtani a récemment lancé un programme de distribution d’aliments traditionnels qui achète aux chasseurs locaux et distribue la viande aux communautés. « Soutenir les pratiques traditionnelles de récolte ne concerne pas seulement la nourriture sur la table, » affirme le président de la QIA, Olayuk Akesuk. « Il s’agit de continuité culturelle et de bien-être communautaire. »
De retour au Northmart, je rencontre Jenna Kilabuk, mère de trois enfants qui occupe deux emplois pour joindre les deux bouts. Elle me montre ses stratégies d’achat – acheter en gros quand c’est possible, se concentrer sur les soldes, compléter avec des aliments traditionnels quand ils sont disponibles. « Je dépense environ 400$ par semaine en épicerie, et c’est en faisant attention, » dit-elle.
Quand je l’interroge sur les prochaines élections, Kilabuk exprime un sentiment que j’ai entendu à maintes reprises à travers le Nunavut : un espoir prudent mêlé d’un profond scepticisme. « Nous voterons, nous défendrons nos intérêts, mais nous prenons aussi les choses en main, » explique-t-elle, faisant référence aux congélateurs communautaires et aux réseaux de partage alimentaire qui sont devenus des mécanismes essentiels de survie.
Le gouvernement territorial a lancé plusieurs initiatives, notamment des serres communautaires et des programmes de déjeuners scolaires, mais les responsables soulignent que des solutions durables nécessitent un partenariat fédéral et un investissement à long terme.
Alors que les plateformes électorales prennent forme, les Nunavummiut comme Eegeesiak veulent des engagements qui vont au-delà des promesses habituelles. « Nous avons besoin d’une politique globale qui aborde les infrastructures de transport, soutient la production alimentaire locale et respecte le savoir inuit, » argumente-t-elle. « Plus important encore, nous avons besoin de responsabilité – des objectifs spécifiques, des rapports réguliers et des conséquences lorsque les progrès stagnent. »
Pour les électeurs les plus septentrionaux du Canada, cette élection représente une autre occasion de mettre la sécurité alimentaire à l’ordre du jour national. La question qui demeure dans tous les esprits, alors qu’ils continuent de naviguer dans les allées d’épicerie les plus chères du pays, est de savoir si cela se traduira par un changement significatif.