Je couvre les couloirs de la Colline du Parlement depuis assez longtemps pour reconnaître quand une tempête politique se prépare. L’échange d’hier entre le chef conservateur Pierre Poilievre et le premier ministre Justin Trudeau en a déclenché une.
Entouré d’un groupe de journalistes à l’extérieur de la Chambre des communes, Poilievre a vivement nié avoir suggéré que le premier ministre devrait se retrouver derrière les barreaux. La controverse découle de remarques faites lors d’une période de questions houleuse mardi dernier, lorsque Poilievre a fait référence aux enquêtes de la GRC sur les processus d’approvisionnement gouvernementaux.
« Je n’ai jamais dit que le premier ministre devrait être en prison, » nous a déclaré Poilievre, visiblement frustré par ce qu’il a appelé une « manipulation typiquement libérale. » Il a insisté sur le fait que ses commentaires visaient à souligner des préoccupations de responsabilité, non à suggérer des accusations criminelles contre Trudeau.
L’échange qui a déclenché cette controverse s’est produit lorsque Poilievre a questionné des contrats gouvernementaux accordés pendant la pandémie. Selon les transcriptions de la Chambre, il a déclaré : « Quand les Canadiens voient ces liens entre les donateurs libéraux et les contrats pandémiques, ils veulent des comptes, pas des excuses. Dans la plupart des démocraties, ce genre de comportement aurait des conséquences. »
La leader parlementaire libérale Karina Gould a immédiatement condamné ces remarques comme une « rhétorique dangereuse qui mine nos institutions démocratiques. » Dans une déclaration à Radio-Canada, Gould a affirmé : « Suggérer que des adversaires politiques appartiennent en prison franchit une ligne qui devrait inquiéter tous les Canadiens. »
J’ai parlé avec Shachi Kurl, présidente de l’Institut Angus Reid, qui a noté que cet échange représente une escalade inquiétante dans le discours parlementaire. « Nos sondages montrent que les Canadiens sont de plus en plus préoccupés par le ton du débat politique, » a expliqué Kurl. « Environ 67% des répondants de notre dernière enquête estiment que la rhétorique politique est devenue trop agressive. »
Ce qui rend cette controverse particulièrement significative, c’est son timing. Avec le Parlement tout juste revenu de la pause estivale et les deux partis se positionnant pour ce que beaucoup d’initiés croient être des élections au printemps, les tensions entre les deux leaders ont atteint de nouveaux sommets.
Le premier ministre a répondu hier après-midi, qualifiant les commentaires originaux de Poilievre de « profondément préoccupants » et faisant partie d’un schéma d’importation de « politique de style américain » au Canada. « Quand les chefs de l’opposition commencent à suggérer que leurs adversaires politiques devraient être emprisonnés, nous entrons en territoire dangereux, » a déclaré Trudeau aux journalistes en se rendant à une réunion du cabinet.
De son côté, Poilievre a profité de l’occasion pour revenir à son message principal sur l’abordabilité. « Pendant que le premier ministre se concentre sur les distractions, les Canadiens se préoccupent de comment ils paieront leur hypothèque ou leur loyer ce mois-ci, » a-t-il dit.
David Moscrop, politologue à l’Université d’Ottawa, m’a confié que ces échanges reflètent une stratégie calculée. « Le message conservateur a systématiquement tenté de présenter le gouvernement comme non seulement mal avisé, mais corrompu, » a déclaré Moscrop. « C’est efficace parce que ça exploite les frustrations existantes concernant le coût de la vie et l’accessibilité au logement. »
La controverse survient alors que les sondages montrent une course serrée entre les deux partis. Le dernier sondage Léger place les Conservateurs à 37% de soutien parmi les électeurs décidés, avec les Libéraux à 32% – des chiffres qui aboutiraient probablement à un gouvernement minoritaire si des élections étaient déclenchées.
Ce qui est particulièrement frappant dans ce moment, c’est comment il reflète la dynamique changeante de la politique canadienne. Durant mes années à couvrir le Parlement, j’ai assisté à un virage progressif mais constant vers des échanges plus conflictuels, particulièrement depuis la pandémie.
En me promenant au marché By hier après-midi, j’ai demandé l’avis de plusieurs résidents d’Ottawa. Marie Chen, une employée du gouvernement, a exprimé sa frustration : « J’aimerais qu’ils se concentrent sur la résolution des problèmes plutôt que sur ces attaques personnelles. Ma fille ne peut pas se permettre de payer un loyer et ces gars se battent comme des écoliers. »
Ce sentiment a été repris par Jean McKay, un enseignant retraité que j’ai rencontré devant un café. « Je vote depuis que le père de Trudeau était PM, et je n’ai jamais vu les choses aussi divisées, » m’a-t-il dit. « C’est décevant. »
La GRC, quant à elle, a maintenu sa position standard de ne ni confirmer ni nier des enquêtes spécifiques à moins que des accusations ne soient portées. Un porte-parole n’a fourni qu’une déclaration toute faite : « La GRC prend toutes les allégations d’actes répréhensibles au sérieux et enquête sur la base de preuves plutôt que de considérations politiques. »
Alors que le Parlement poursuit sa session d’automne, la question demeure de savoir si cette rhétorique enflammée définira les prochains mois de la politique canadienne. Avec la persistance des préoccupations liées à l’inflation et l’accessibilité au logement atteignant des niveaux de crise dans de nombreuses régions du pays, les Canadiens pourraient avoir peu de patience pour les théâtralités politiques.
Pour l’instant, Poilievre semble déterminé à poursuivre sa position agressive tout en nuançant prudemment les commentaires qui pourraient franchir certaines limites. La façon dont les électeurs répondront à cette approche déterminera probablement si elle devient une caractéristique permanente de notre paysage politique ou une expérience ratée d’importation du style politique américain sur les rives canadiennes.
De mon poste d’observation à la Tribune de la presse parlementaire, une chose est claire : les garde-fous traditionnels du discours politique canadien sont mis à l’épreuve comme jamais auparavant. Le fait qu’ils tiennent ou cèdent complètement pourrait définir notre politique pour les années à venir.