La vague de froid est arrivée tôt cet octobre, me forçant à fouiller dans mes bacs de rangement à la recherche de quelque chose de chaud. Au fond de l’un d’eux, j’ai trouvé un chandail bleu délavé portant le logo de Radio-Canada—une relique des jours de radiodiffusion de mon père dans les années 1980. En l’enfilant, l’odeur familière de cèdre et les souvenirs m’ont envahi. Ce soir-là, en me promenant dans le quartier Mount Pleasant de Vancouver, j’ai compté pas moins de sept personnes arborant des insignes canadiens vintage similaires—les rayures de la Baie d’Hudson, d’anciens écussons de Hockey Night in Canada et des vêtements olympiques rétro.
Ce n’est pas une coïncidence. C’est le succès calculé de Retrospect Apparel, une startup vestimentaire basée à Toronto, qui a bâti une entreprise florissante en puisant dans la mémoire collective du Canada.
« Nous vendons plus que des vêtements—nous vendons le confort des repères culturels partagés, » explique Margot Chen, qui a fondé Retrospect en 2019 après avoir quitté son poste en marketing corporatif. « Dans des périodes d’incertitude, les gens se tournent vers les symboles familiers qui leur rappellent des jours plus simples. »
L’entreprise de Chen est passée d’une opération unipersonnelle gérée depuis son appartement à une équipe de vingt-trois personnes avec un entrepôt à Scarborough. Leur spécialité? Des classiques canadiens réinventés: des recréations en série limitée de marchandises de Radio-Canada des années 1970 et 1980, des reproductions fidèles d’uniformes de Postes Canada, et des versions actualisées du maillot d’Équipe Canada de la Série du siècle de 1972.
Les ventes ont augmenté de 340% depuis 2021, selon les données internes que Chen a partagées lors de notre conversation dans leur salle d’exposition. Les murs sont décorés d’éphémères canadiens encadrés—de vieux catalogues Eaton’s, des publicités de Beaver Lumber et des souvenirs de Tim Hortons d’avant que la chaîne ne devienne mondiale.
« Pendant la pandémie, nous avons observé un changement massif, » explique Chen, en ajustant un portant de vestes en velours côtelé ornées du logo original de VIA Rail. « Les gens ne pouvaient pas voyager, ne pouvaient pas voir leur famille. Ces vêtements sont devenus des substituts émotionnels aux liens qui nous manquaient. »
Dr. Arjun Mahadevan, sociologue culturel à l’Université de Colombie-Britannique qui étudie le comportement des consommateurs, croit que cette vague de nostalgie reflète quelque chose de plus profond qu’une simple préférence esthétique.
« Ce que nous voyons n’est pas simplement un cycle de mode qui revient, ce qui arrive toujours, » m’a expliqué Mahadevan. « Il s’agit d’ancrer son identité en période d’incertitude profonde. L’anxiété climatique, la précarité économique, et maintenant les multiples conflits mondiaux ont poussé les Canadiens à rechercher une stabilité symbolique. »
Des recherches de Statistique Canada montrent que la confiance des consommateurs a fluctué de façon dramatique au cours des cinq dernières années, les dépenses dans certaines « catégories de confort »—incluant les produits basés sur la nostalgie—montrant une résilience remarquable même pendant les ralentissements économiques.
Chen me fait visiter leur zone de production, où deux couturières finalisent une série limitée de vestes inspirées de ce que portaient les caméramans de Radio-Canada pendant les Jeux olympiques de Calgary en 1988. L’attention aux détails est remarquable—jusqu’au poids des fermetures éclair.
« Nous nous approvisionnons autant que possible au Canada, » dit-elle. « Les tissus proviennent d’usines au Québec et en Ontario. La production se fait ici. C’est plus cher, mais ça fait partie de notre philosophie—nous célébrons le patrimoine canadien, alors nous devrions soutenir la fabrication canadienne. »
Tout le monde ne voit pas cette tendance comme inoffensive. Certains critiques suggèrent que ces produits représentent une version aseptisée de l’identité canadienne qui passe sous silence des réalités historiques plus complexes.
« Il y a un danger à commercialiser la nostalgie, » affirme Martin Whyte, conservateur au Musée de la culture canadienne à Ottawa. « Ces produits célèbrent souvent le Canada institutionnel—les sociétés d’État et les entités gouvernementales—sans reconnaître comment ces mêmes institutions ont parfois failli aux communautés marginalisées. »
J’ai soulevé cette critique auprès de Chen, qui a hoché la tête pensivement avant de répondre.
« C’est tout à fait valable. Nous travaillons avec des designers autochtones sur une collection qui examine la relation complexe entre les institutions canadiennes et les Premières Nations. Nous ne voulons pas colporter un nationalisme simpliste—nous voulons utiliser ces symboles familiers comme points d’entrée pour des conversations plus profondes sur qui nous sommes. »
L’entreprise a récemment collaboré avec l’artiste crie Meryl Ghostkeeper sur une série qui réimagine les motifs de couvertures de la Baie d’Hudson à travers une perspective autochtone, les recettes soutenant des programmes de revitalisation linguistique.
À l’extérieur de la salle d’exposition de Retrospect, je rencontre Darren Taylor, 42 ans, qui vient d’acheter une veste inspirée des uniformes des gardes de Parcs Canada des années 1970.
« Mon grand-père était gardien de parc à Jasper, » explique-t-il, passant sa main sur l’écusson brodé. « Ce n’est pas exactement comme le sien—le sien avait plus de poches—mais le porter me fait sentir connecté à lui. Nous faisions des randonnées ensemble chaque été jusqu’à mes quinze ans. »
En rentrant à mon appartement ce soir-là, portant toujours le vieux chandail Radio-Canada de mon père, je passe devant un groupe d’étudiants universitaires dans un café. Deux d’entre eux portent la reproduction par Retrospect des vestes d’équipe de l’ONF (Office national du film) des années 1980. Je me demande s’ils ont déjà regardé un documentaire de l’ONF, mais je me reprends dans cette pensée élitiste. Peut-être que porter ces symboles est leur façon de revendiquer une connexion à une identité canadienne qu’ils sont encore en train de définir.
Pour sa part, Chen reste optimiste quant à l’avenir tout en regardant vers le passé. Retrospect prévoit d’ouvrir des emplacements physiques à Vancouver et Montréal l’année prochaine. Ils lancent également un programme où les gens peuvent envoyer des vêtements canadiens bien-aimés pour restauration ou recréation.
« Il y a quelque chose de puissant à porter l’histoire, » dit-elle alors que nous nous disons au revoir. « Ce ne sont pas juste des vêtements. Ce sont des démarreurs de conversation, des déclencheurs de souvenirs et de petits actes de résistance contre une culture mondiale homogénéisée. »
Je regarde mon chandail—le seul véritable artefact parmi les reproductions soigneusement conçues de Retrospect—et je comprends exactement ce qu’elle veut dire.