Les conversations autour de la table familiale dans les foyers canadiens prennent un ton de plus en plus inquiet. Alors que les coûts du logement grimpent en flèche et que l’inflation ronge les budgets familiaux, les parents expriment une anxiété grandissante quant à l’avenir financier de leurs enfants – des préoccupations qui transcendent les frontières politiques, géographiques et économiques.
« Chaque fois que je regarde les prix des maisons à Toronto, je me demande comment mes enfants pourront un jour se permettre leur propre logement, » confie Michelle Leung, mère de deux adolescents à Markham, en Ontario. « Nous avons emménagé ici en 2005 et la valeur de notre maison a triplé. Ce n’est pas une opportunité – c’est une barrière pour la prochaine génération. »
Ce sentiment reflète les résultats d’un récent sondage Ipsos qui révèle que 76% des parents canadiens craignent que leurs enfants n’atteignent jamais la même stabilité financière qu’eux. L’enquête, menée du 3 au 8 avril auprès de 1 000 parents à travers le pays, met en lumière un profond changement générationnel dans les attentes économiques.
L’anxiété ne se limite pas au logement. Les coûts de l’éducation, la stabilité de l’emploi et la sécurité de la retraite font tous partie des inquiétudes des parents concernant l’avenir financier de leurs enfants. Près de 70% des répondants ont indiqué prendre des mesures directes pour préparer financièrement leurs enfants – de la mise en place d’épargnes-études à l’aide pour les mises de fonds immobilières.
L’économiste progressiste Armine Yalnizyan souligne les changements structurels dans l’économie canadienne. « Ce que nous observons n’est pas simplement l’inquiétude générationnelle standard. Les données montrent que les jeunes Canadiens font face à des obstacles réels que leurs parents n’ont pas connus – des coûts de logement qui consomment des proportions sans précédent de revenus, des emplois plus précaires et des étapes de vie retardées comme l’accession à la propriété et la fondation d’une famille. »
Les variations régionales racontent une histoire importante. Alors que l’abordabilité du logement dominait les préoccupations en Colombie-Britannique et en Ontario (81% et 78% respectivement), les parents albertains s’inquiétaient davantage de la stabilité d’emploi (65%) pour leurs enfants. Le Québec affichait le niveau de préoccupation global le plus bas (68%) – reflétant potentiellement les programmes sociaux plus complets de la province et les coûts de logement plus bas en dehors de Montréal.
Politiquement, ces préoccupations ont attiré l’attention d’Ottawa. Le gouvernement fédéral a mis l’accent sur le logement dans ses récentes annonces politiques, notamment une proposition visant à éliminer la TPS sur les nouvelles constructions locatives. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a reconnu les défis intergénérationnels lors d’une récente mise à jour économique, déclarant que « garantir aux jeunes Canadiens la possibilité de construire la même sécurité financière que les générations précédentes demeure une priorité politique centrale. »
Les critiques conservateurs rétorquent que les dépenses gouvernementales ont alimenté l’inflation, aggravant la crise d’abordabilité. « Les parents ont raison de s’inquiéter, » affirme le commentateur économique John Ibbitson. « Quand le logement, l’éducation et les nécessités de base dépassent tous la croissance des salaires année après année, nous créons un désavantage structurel pour les jeunes générations que de simples ajustements politiques ne résoudront pas. »
L’inquiétude n’est pas simplement théorique. Les données de Statistique Canada montrent que les primo-accédants sont maintenant plus âgés (âge moyen de 36 ans) que dans les générations précédentes. L’endettement étudiant a atteint des niveaux records, avec une dette moyenne de près de 28 000 $ pour les diplômés canadiens. Et la sécurité de la retraite? Le déclin des régimes de retraite d’employeur signifie que de nombreux jeunes travailleurs font face à une plus grande incertitude pour leurs vieux jours.
Pour de nombreux parents, cela s’est traduit par un soutien financier direct se prolongeant bien au-delà de l’âge adulte de leurs enfants. Le sondage Ipsos a révélé que 43% des parents ayant des enfants adultes continuent de fournir une forme d’aide financière – du paiement des factures téléphoniques à l’aide au loyer ou aux versements hypothécaires.
« Nous n’avions jamais imaginé que nous soutiendrions encore notre fille à 27 ans, » confie Robert Tremblay de Winnipeg. « Elle est éduquée, travaille à temps plein dans le secteur de la santé, mais entre les prêts étudiants et le loyer, elle peut à peine économiser. Il ne s’agit pas d’un sentiment de droit – les chiffres ne fonctionnent simplement pas comme pour notre génération. »
La planificatrice financière Shannon Lee Simmons a observé cette tendance s’accélérer parmi ses clients. « Les parents intègrent de plus en plus les besoins financiers de leurs enfants dans leur propre planification de retraite. Ils posent des questions sur la façon de structurer les héritages plus tôt, comment aider avec le logement sans créer de dépendance, et comment équilibrer leur propre sécurité financière avec les besoins de leurs enfants. »
Les implications politiques de cette anxiété générationnelle restent fluides. Bien que les jeunes électeurs aient traditionnellement montré une participation électorale plus faible, les préoccupations concernant les opportunités économiques pourraient stimuler leur engagement. Les partis de tout le spectre politique ont reconnu ces problèmes, avec diverses approches allant des initiatives de logement abordable aux propositions de réforme fiscale.
Ce qui est clair, c’est que l’attente traditionnelle canadienne – que chaque génération dépasserait financièrement leurs parents – s’est érodée. Les données d’Ipsos suggèrent que 81% des parents croient qu’atteindre la stabilité financière est plus difficile pour les jeunes adultes d’aujourd’hui que pour leur génération.
La réponse communautaire apparaît comme un point positif. Des initiatives locales comme les coopératives d’habitation, les programmes d’éducation financière et les réseaux de mentorat visent à créer des voies alternatives vers la stabilité. Des organisations comme l’Alliance canadienne pour l’éducation financière ont élargi leurs programmes ciblant spécifiquement les jeunes adultes confrontés à ces nouvelles réalités économiques.
À l’approche des cycles électoraux, ces préoccupations familiales concernant la sécurité financière intergénérationnelle joueront probablement un rôle croissant dans les messages de campagne et les plateformes politiques. La question demeure de savoir si des solutions substantielles se matérialiseront pour répondre à ce qui est devenu non seulement une inquiétude personnelle pour les parents, mais un défi économique national déterminant.
L’anxiété financière que ressentent les parents canadiens ne concerne pas seulement l’avenir de leurs enfants – elle reflète des questions fondamentales sur la durabilité de notre modèle économique et sur ce que signifie la prospérité dans le Canada contemporain. Comme l’a commenté un parent dans le sondage Ipsos, « Nous avons toujours dit à nos enfants que le travail acharné mène au succès. Je ne suis plus sûr que ce soit vrai, et c’est déchirant. »